Passons sur les préliminaires [1]. S’agissant de la presse écrite et notamment du cas de Libération mais aussi de ceux de l’Humanité, France soir et Politis, le délégué national précise que : « Le modèle d’une presse n’appartenant pas à un groupe puissant, qui ne fonde pas sa stratégie sur la seule chasse au marché publicitaire et qui se donne les moyens de son ambition, avec une vraie équipe rédactionnelle, des reporters, de la véritable investigation, ce modèle semble donc enterrée en France. » Cette définition caractérise à l’évidence les titres cités. Mais elle est aussi suffisamment floue pour englober aussi Le Monde, en dépit de ses ambitions. En effet, qu’est-ce qu’une « vraie équipe rédactionnelle » ? Sur quels critères se fonder pour considérer que la stratégie n’est pas basée « sur la seule chasse au marché publicitaire » ?
Stéphane Pellet estime que la défense du « pôle d’indépendance » constitué par ces titres est « l’urgence ». Plus que la concentration dans le secteur des médias, même si « de vastes groupes [...] possèdent les principaux magazine et médias audiovisuels ». Plus que la défense d’un secteur public « qu’il faut muscler et doter d’un projet alternatif à celui du privé. » Cette hiérarchie des priorités pourrait être discutée. Mais elle semble déterminée par le souci de coller à l’actualité immédiate et par une ambiance « électorale »... qu’on ne peut s’empêcher de humer à la lecture des propositions avancées par Stéphane Pellet.
Dans la tribune publiée par Libération, celles-ci sont, en effet, au nombre de cinq :
1. Réformer le système des aides à la presse en le refondant « sur d’autres critères que les seuls chiffres du tirage, et, par exemple, de combiner ceux du nombre de pages rédactionnelles, du nombre de journalistes, du nombre de rubriques d’intérêt général (international, politique, social,...) ». Pourquoi pas ? Mais à cumuler ces critères quantitatifs eux-mêmes discutables [2], ne passe-t-on pas à côté de la distinction principale : celle qui différencie la presse à but lucratif (qui vit de la publicité et en bénéficie et dont les profits réels ou potentiels sont ou peuvent être destinés à des actionnaires privés) de la presse sans but lucratif ?
2. « Permettre les prises de participation individuelles (fiscalité, actions) grâce à des systèmes de déductions pour le citoyen lecteur, ou des sociétés de financement proches de celles qui existent dans le cinéma, le tout permettant l’émergence des sociétés de lecteurs ». Pourquoi pas, en effet, favoriser l’émergence des sociétés de lecteurs ? Mais que viendraient y faire des « sociétés de financement » ?
3. « Revitaliser le lien avec l’enseignement par l’abonnement des établissements et l’éducation aux médias ». Eduquer aux médias ? L’intention est louable... Mais outre que le principe même des abonnements d’office soulève de sérieuses objections, quel serait la presse écrite inscrite dans la liste ? Sur quels critères ?
4 « Faire évoluer le statut des entreprises de presse, que l’on ne peut plus considérer comme de simples activités marchandes et inventer une nouvelle forme juridique qui apporterait plus de garantie d’indépendance, par exemple des fondations, à l’image de ce qui existe ailleurs en Europe » Pourquoi pas ? Mais pourquoi ne pas distinguer alors plus clairement les entreprises de presse constituées en simples sociétés commerciales et les entreprises dotées d’un statut d’entreprise à but non lucratif, comme le projet en a été plusieurs fois présenté par... Hubert Beuve-Méry (en 1966), la Fédération française des sociétés de journalistes (en 1972) et à Claude Julien (alors directeur du Monde diplomatique, en 1984, date à laquelle le PS était au pouvoir) [3].
5. « Revoir totalement le régime fiscal de la presse et même le sortir de l’activité commerciale avec le principe d’une TVA à 0%, assorti néanmoins d’une véritable stratégie pour conquérir de nouveaux lecteurs. » Simple maladresse de formulation ou redoutable ambiguïté ? Pourquoi accorder un nouvel avantage inconditionné quand la presse bénéficie déjà d’un taux de TVA réduit (2,1%) ? Inconditionnée, cette réduction constituerait un cadeau fiscal aux actionnaires des grands groupes et une subvention de fait à des supports de publicité. Ciblée, cette réduction, si elle n’est pas une proposition aussi clientéliste que les promesses de Jacques Chirac aux restaurateurs, suppose une mise en cause de dispositifs européens (dans la mesure où un changement de taux de TVA dans l’Union européenne nécessite l’unanimité des Etats membres). Chiche ?
Peut-être les limites d’une tribune libre ne permettaient-elles pas d’aller plus loin et de tout aborder. Mais la question de l’aide à la presse écrite est indissociable de celles que soulèvent la concentration et la financiarisation des groupes multimédias dont une partie de cette presse fait déjà partie. Raison de plus pour refonder l’aide à la presse sur le critère de l’indépendance à l’égard des finalités fort lucratives de ces groupes, lors même que la presse écrite elle-même ne dégagerait pas de profits.
Ces propositions du PS sur l’aide à la presse visent des « relais d’opinion » (Libération , Le Monde et quelques autres,...) qui pourraient en bénéficier. Souhaitons déjà que leur mise en discussion ne dure pas seulement le temps d’une période électorale...