Accueil > Critiques > (...) > Politiques de la dépolitisation (2) : portraits et icônes

PRESIDENTIELLE 2007

Un banal exercice de dépolitisation dans Le Parisien

par Denis Perais,

Le traitement médiatique de la préparation de l’élection présidentielle a ses figures imposées : surexposition des affrontements entre des personnes et évocation de leur vie privée, au détriment des véritables propositions pourtant débattues collectivement à l’intérieur des différentes formations politiques. L’exploitation de ce filon est une constante de la presse écrite. Le 19 novembre 2006, c’est Le Parisien qui s’y colle.

Le sujet en vogue, c’est la désignation de la candidate du Parti Socialiste à la présidentielle de 2007. A l’instar des hebdomadaires qui font leur « une » sur Ségolène Royal, Le Parisien se livre de manière éclairante à l’exercice de personnalisation et de dépolitisation à outrance, en offrant à ses lecteurs les réponses de François Hollande aux questions posées par certains d’entre eux.

Le titre à la « une » résume clairement le choix éditorial du Parisien : « Ségolène et moi... ». Pourtant, dans le corps d’un article, « Le café du premier secrétaire », le quotidien laisse entrevoir une autre option possible puisque les lecteurs sélectionnés « ont préparé une foule de questions sérieuses : éducation, banlieues, impôts, immigration. » Questions sérieuses systématiquement rejetées par le quotidien...

Lorsqu’on examine les questions retenues, le constat est accablant : sur 22 questions, 11 concernent le rapport privé qu’entretient Hollande avec sa compagne : « Où avez-vous appris le succès de Ségolène Royal ? » ; « Comment vous êtes-vous départagés, pour savoir, de vous deux, qui serait le candidat ? » ; « Le fait d’être une femme a-t-il été un atout majeur ? » ; « Si Ségolène Royal est élue présidente, ne va-t-il pas y avoir conflit d’intérêt entre vous ? » ; « Si Ségolène Royal est élue, où allez-vous habiter ? » ; « Et Ségolène va habiter à l’Elysée ? » ; « Alors, vous n’allez jamais vous voir ? » ; « Que pensez-vous de l’expression qui s’appliquerait à vous : « Premier homme de France » ? » ; « En cas de victoire, vous pourriez entrer dans l’histoire comme le premier couple dont la femme serait présidente de la République ... » ; « Vous avez dit que vous n’iriez pas à l’Elysée ? » [Il s’agit ici de l’Elysée en temps que logement pour François Hollande] ; « Quels vœux formez-vous pour elle ? ».

Certaines questions relèvent purement et simplement de la politique politicienne : « La candidature de Chevènement comporte-t-elle un risque pour la gauche ? » ; « Si le PS gagne les législatives, sera-t-il tenté de gouverner sans les autres partis de l’ex-gauche plurielle ? » ; « Le mot d’ordre de Ségolène Royal était jusqu’ici d’éviter les polémiques. Est-ce que cela restera face à Sarkozy, Villiers, Le Pen ? » ;.... D’autres sont carrément anodines : « Si une femme devient Chef de l’Etat, il faudra trouver un autre mot. » ; « Dans la presse, on a parfois évoqué, au soir de la victoire, la dimension presque mystique de la situation... » ; ... Finalement, une seule question porte réellement sur le fond : « Les enseignants devraient-ils travailler 35 heures ? » Un fond vraisemblablement non dénué de présupposés, puisque le thème de l’éducation est ici réduit à cette seule question qui vise les agents du secteur public, implicitement soupçonnés de chômer...

Résultat : les lecteurs, non invités, n’ont donc rien su des réponses de François Hollande aux « questions sérieuses » sur l’ « éducation », les « banlieues », les « impôts » et « l’immigration », voire à celles qui concernaient d’autres sujets. En revanche, ils auront appris que François Hollande était « habillé de manière ultra-classique (costume bleu foncé, cravate et chemise bleues) », et qu’il est allé « à l’improviste, s’attabler avec quelques journalistes, à la cafétéria de l’entreprise, en prenant un café avec eux ».

Quand elle privilégie ainsi le futile, jugé plus vendeur, à l’essentiel, jugé ennuyeux, la presse d’information généraliste n’a rien à envier à la presse dite « people ».

Denis Perais

 
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