Le sujet en vogue, c’est la désignation de la candidate du Parti Socialiste à la présidentielle de 2007. A l’instar des hebdomadaires qui font leur « une » sur Ségolène Royal, Le Parisien se livre de manière éclairante à l’exercice de personnalisation et de dépolitisation à outrance, en offrant à ses lecteurs les réponses de François Hollande aux questions posées par certains d’entre eux.
Le titre à la « une » résume clairement le choix éditorial du Parisien : « Ségolène et moi... ». Pourtant, dans le corps d’un article, « Le café du premier secrétaire », le quotidien laisse entrevoir une autre option possible puisque les lecteurs sélectionnés « ont préparé une foule de questions sérieuses : éducation, banlieues, impôts, immigration. » Questions sérieuses systématiquement rejetées par le quotidien...
Lorsqu’on examine les questions retenues, le constat est accablant : sur 22 questions, 11 concernent le rapport privé qu’entretient Hollande avec sa compagne : « Où avez-vous appris le succès de Ségolène Royal ? » ; « Comment vous êtes-vous départagés, pour savoir, de vous deux, qui serait le candidat ? » ; « Le fait d’être une femme a-t-il été un atout majeur ? » ; « Si Ségolène Royal est élue présidente, ne va-t-il pas y avoir conflit d’intérêt entre vous ? » ; « Si Ségolène Royal est élue, où allez-vous habiter ? » ; « Et Ségolène va habiter à l’Elysée ? » ; « Alors, vous n’allez jamais vous voir ? » ; « Que pensez-vous de l’expression qui s’appliquerait à vous : « Premier homme de France » ? » ; « En cas de victoire, vous pourriez entrer dans l’histoire comme le premier couple dont la femme serait présidente de la République ... » ; « Vous avez dit que vous n’iriez pas à l’Elysée ? » [Il s’agit ici de l’Elysée en temps que logement pour François Hollande] ; « Quels vœux formez-vous pour elle ? ».
Certaines questions relèvent purement et simplement de la politique politicienne : « La candidature de Chevènement comporte-t-elle un risque pour la gauche ? » ; « Si le PS gagne les législatives, sera-t-il tenté de gouverner sans les autres partis de l’ex-gauche plurielle ? » ; « Le mot d’ordre de Ségolène Royal était jusqu’ici d’éviter les polémiques. Est-ce que cela restera face à Sarkozy, Villiers, Le Pen ? » ;.... D’autres sont carrément anodines : « Si une femme devient Chef de l’Etat, il faudra trouver un autre mot. » ; « Dans la presse, on a parfois évoqué, au soir de la victoire, la dimension presque mystique de la situation... » ; ... Finalement, une seule question porte réellement sur le fond : « Les enseignants devraient-ils travailler 35 heures ? » Un fond vraisemblablement non dénué de présupposés, puisque le thème de l’éducation est ici réduit à cette seule question qui vise les agents du secteur public, implicitement soupçonnés de chômer...
Résultat : les lecteurs, non invités, n’ont donc rien su des réponses de François Hollande aux « questions sérieuses » sur l’ « éducation », les « banlieues », les « impôts » et « l’immigration », voire à celles qui concernaient d’autres sujets. En revanche, ils auront appris que François Hollande était « habillé de manière ultra-classique (costume bleu foncé, cravate et chemise bleues) », et qu’il est allé « à l’improviste, s’attabler avec quelques journalistes, à la cafétéria de l’entreprise, en prenant un café avec eux ».
Quand elle privilégie ainsi le futile, jugé plus vendeur, à l’essentiel, jugé ennuyeux, la presse d’information généraliste n’a rien à envier à la presse dite « people ».
Denis Perais