Des chiffres
Royal face à Sarkozy : sur les 161 invités politiques des matinales (du 4 septembre au 30 novembre), 62 appartiennent au PS et 68 à l’UMP, soit plus de 80% des invités. Les 31 places restantes sont partagées entre l’UDF (12 invitations), l’extrême-gauche et la gauche antilibérale (8) [1], l’extrême droite (6) [2], les Verts (3) et le Mouvement Républicain des Citoyens (2).
Sarkozy face à Royal : les chiffres révèlent que la diversité politique dans les médias s’efface devant ce duo. Le premier tour est déjà plié. Ségolène Royal affrontera Nicolas Sarkozy au second, donc.
Gavant comme des oies les auditeurs des tranches matinales, les radios (et leurs animateurs) ne cessent d’encadrer une parodie de débat politique. Un an et demi après le « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen, les chroniqueurs restent les mêmes, et il n’y a pas de nouvelles voix pour donner un autre son de cloche. Sarkozy-Royal, Royal-Sarkozy...
Avec la campagne de désignation du candidat socialiste, les « ténors » du PS ont pu bénéficier de multiples invitations. Si François Hollande ou Laurent Fabius ont été invités six fois, c’est Dominique Strauss-Kahn qui détient le record sur trois mois, avec huit représentations, soit autant que tous les délégués de la gauche de gauche. Cités quotidiennement dans les journaux d’informations, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy n’ont été invités « que » trois fois chacun, mais leurs bras droits l’ont parfois été plus qu’eux-mêmes. Ainsi François Fillon et Patrick Devedjian (fidèles de Sarkozy) se sont exhibés quatre fois chacun dans les tranches matinales. François Bayrou, grand exclu du bipartisme, dixit lui-même, a toutefois été invité six fois...
Encore des chiffres
RTL et, dans une moindre mesure, RMC sont les radios les moins exclusives, mais contribuent largement comme les autres à la caricature du débat politique en procédant à la circulation circulaire des invitations. Une invitation « fait l’événement » le lundi sur France Inter ; cet « événement » s’amplifie le mardi sur RTL et atteint son apogée la semaine suivante sur Europe 1. Et puis on enchaîne, dans cet ordre ou dans un autre, sur un nouveau défilé.
En septembre, Lionel Jospin a « fait » quatre radios (et des interviews dans la presse écrite et à la télévision). Le 4 sur France Inter, il confirme qu’il est disponible. Mais se présente-t-il officiellement ? Pas de réponse, ni le 14 sur RMC, ni le 25 sur Europe 1. Il faut attendre le 27 sur RTL pour que l’ancien Premier Ministre cesse de faire durer un suspense insoutenable pour la batterie des intervieweurs matinaux. Sa réponse est « non ». Il ne sera plus invité.
Quelques épiphénomènes provoquent des rondes médiatiques particulières. Valéry Giscard d’Estaing sort un livre. Et on le retrouve sur Europe 1 le 28/09, sur RTL le 5/10 et sur RMC le 13/10. Nicolas Hulot sort un livre, des sondages lui sont favorables dans le Journal du Dimanche, Le Monde lui consacre sa « une » et France Inter, Europe 1 et RMC le convient. Etc.
Et la manière...
Les disproportions quantitatives sont renforcées par les distorsions qualitatives. Les invités ne bénéficient pas des mêmes honneurs selon leur appartenance politique. C’est un fait. Jean-Pierre Elkabbach, aux petits soins avec Nicolas Sarkozy [3], ne daigne pas interviewer Marie-George Buffet (la seule candidate de la « gauche antilibérale » invitée sur Europe 1 en trois mois) : il laisse Marc Tronchot accomplir cette (basse ?) besogne (14 novembre). Quand Nicolas Sarkozy pérore sur France Inter [4], la revue de presse prévue à 8h30 est déplacée expressément à 8h50, car le ministre de l’Intérieur doit partir plus tôt. Lorsque Gilles de Robien ne peut terminer sa réponse à 9h, Demorand reprend la parole dans l’émission qui suit et donne la réponse complète de son invité (France Inter, 10 octobre)...
Ces petites faveurs à l’égard des « grands » sont symptomatiques. Même si Demorand se démène face à un Sarkozy dont il ne partage pas certaines orientations, le Ministre-candidat bénéficie d’un traitement digne de son rang : communiqué de France Inter envoyé à l’ensemble de la presse, exclusion quasi-totale des auditeurs, etc. En revanche, les représentants des « petits partis » ne bénéficient pas du même ramdam médiatique. Ni des mêmes égards. Moins expérimentés que les ténors de la politique, ils doivent faire face à des sommations : sur France Inter, Brigitte Jeanperrin ordonne à Clémentine Autain de répondre à sa question (20 novembre). Une fois, deux fois.
Lors de la venue de Clémentine Autain justement, un auditeur appelle : « Bonjour France Inter et merci pour vos émissions. J’espère qu’après avoir aidé à la campagne du Parti Socialiste, vous allez aider à la campagne de la gauche anti-libérale... » Rire jaune de Nicolas Demorand : « Ah, ah, ah, nous n’avons aidé à rien du tout Daniel. Nous avons juste couvert des évènements. Allez, posez votre question. » Couvrir des évènements... Qu’est-ce qu’un évènement ? Qui le détermine comme tel ? Pourquoi la désignation du candidat de la « gauche antilibérale » ne serait pas un évènement ? Ce sont les intervieweurs et chroniqueurs qui co-produisent les « événements », les montent en épingle, et justifient la nécessité de les « couvrir » puisque ...ce sont des évènements.
En réalité, le seul évènement médiatique de la pré-campagne présidentielle est le suivant : du début septembre à la fin novembre, sur 161 invités politiques, 130 appartenaient au PS ou à l’UMP. Point.
Mathias Reymond
PS à l’attention des Inrockuptibles (et de leurs très éventuels imitateurs) : si vous reprenez ce chiffrage, merci de citer vos sources [5]