Archi monopolistique en Vendée, l’ogre breton ne recule devant rien pour vendre son quotidien. N’hésitant pas à jouer avec le cliché admis qui veut que ce département rime avec l’ancien temps.
C’était en septembre dernier. En plein été indien vendéen. Les encarts pub ont fleuri aux quatre coins de La Roche-sur-Yon. Massifs, provocants. « Le portage : un privilège ouvert à tous », susurre un noble empoudré. Vraiment ? Allons voir ce qui se cache derrière cette provocation publicitaire. On a vu. On en est convaincu. Le seigneur de la presse quotidienne régionale sous-traite ce service à des nobliaux locaux. A eux de trouver des gueux. Dégueu.
La bouche ronde comme un cul de poule. La perruque frisottée dégoulinant sur un manteau bleu, orné de lys blanc. Canne et Ouest-France dans la main gauche... Monseigneur n’en revient toujours pas ! Diantre, avoir son journal chez soi, avant 7 h 30, sans supplément de prix. Youpi ! « Le portage : un privilège ouvert à tous ! » vantait, en septembre dernier, le quotidien breton à grand renfort d’affiches 4 x 3 et d’encarts publicitaires. Vraiment ? Oui. Sauf pour les 45 serfs qui, toutes les nuits, se lèvent à 4 h du mat’ pour contenter tout ce joli petit monde. Toujours les mêmes dont le réveil sonne comme le glas. Qu’ont pas toujours le cœur à chanter « lalali, lalala ». Parmi ces courageux, on ne trouve pas d’habitués du satin. C’est plutôt l’école du mal au dos, de la corne aux mains, du mal aux reins. Tout ça pour un revenu d’appoint n’excédant pas les 300 euros par mois.
Pour en avoir le cœur net, il suffit d’appeler « Ouest-France portage ». Le coup de fil atterrit à Rennes, au siège social du journal. Là, une hôtesse vous redirige vers une société locale, selon que vous habitez la Normandie, l’Ille-et-Vilaine ou la Vendée. Première surprise qui n’en est pas vraiment une, Ouest-France soustraite ce service. Le roi confie cette tâche à des seigneurs locaux. A eux de trouver des gueux. En l’occurrence des personnes qui cumulent les petits boulots pour se maintenir la tête hors de l’eau. Des « working poor » comme on dit chez les CSP+. Le sous-traitant soustraite à son tour. Et se fait plus exigeant. La pub vend une arrivée « chez vous avant 7 h 30 ». Ce sera donc « avant 7 h » pour tout le monde. Tout le monde ?
Près de 200 clients par porteur. Sept jours sur sept. Pour un défraiement kilométrique de 0,144 euros. Et, libéralisme oblige, une kyrielle de primes pour ceux qui sont prêts à se faire exploiter jusqu’à la moelle : prime au nombre de clients, prime au poids (supplément TV, hors-série). Tout ça à dos de mobylette ou dans le coffre de son auto. Par tous les temps. 365 jours par an. Et tant pis pour les amortisseurs. Du moment que Ouest-France amortisse ses coûts au plus bas. Cerise sur le gâteau : depuis le rachat du pôle ouest de la Socpresse (Vendée-Matin, Presse-Océan, Le Courrier de l’Ouest, Le Maine-Libre) par l’ogre breton, les porteurs distribuent maintenant deux titres de presse pour des clopinettes. Un privilège qu’on vous dit...
Des méningeurs...
C’est bien connu, le patron de presse est un type prévenant, toujours à l’écoute de ses salariés. Généreux quoi ! Alors quand celui qui a en charge Le Journal du Pays Yonnais - hebdomadaire couvrant la couronne de La Roche-sur-Yon - a vu ses journalistes et metteurs en page si moroses en cet été indien qui n’en finissait pas, il a décidé de les faire déménager. Pour leur bien. Oh, pas loin, non. Juste à quelques dizaines de mètres de leurs anciens locaux. Dans un dédale de couloirs et de petits bureaux. Dans un bâtiment de plain-pied. C’est sûrement pour ça qu’il n’a pas jugé bon embaucher une équipe de déménageurs aguerris. Déjà payés au lance-pierre, les salariés de l’hebdo ont donc pris un après-midi pour s’exécuter. Cartons et ordinateurs sous le bras. Etagères en ferraille sur le dos. Cocasse, quand on sait que la fine équipe a été obligée de jouer les gros bras juste après le bouclage de la semaine. Un moment, il est vrai, de pur bonheur où les nerfs ne sont pas mis à rude épreuve, où la fatigue accumulée des dernières heures est bien sûr déjà évacuée... Un bon p’tit décrassage et ça repart. Et que croyez-vous qu’il arriva ce jour-là ? Dans le mille, le patron de presse ne bougea pas le petit doigt. Vraiment trop sympa ce gars-là...
Article paru dans Le Sans-Culotte (N° Zéro),
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