Une notion fourre-tout
Il s’agit parfois de désigner le soutien accordé par des personnalités du show-business aux candidats. Libération titre ainsi « Peopolisation, la grande dérive » (le 05.09.2006) pour évoquer la présence de Johnny Hallyday et de Doc Gynéco à l’Université d’été de l’UMP.
La « peopolisation » désigne également cet aspect de la personnalisation de la vie politique qui consiste à faire primer les enjeux de personnes sur les questions de fond. Dans le "suivi" de l’actualité, le personnel politique mis en avant par les médias dominants serait, de surcroît, banalisé et « traité » comme les vedettes du show-business : description de la personnalité, importance du physique, voire dévoilement de la vie privée. La publication de photos de Ségolène Royal en maillot de bain à la « Une » de Closer et de VSD en août 2006 relèverait de ce phénomène, selon Le Parisien (le 8 août 2006) dans lequel on peut lire : « Le scoop est sulfureux et devrait relancer le débat sur la "peopolisation" de la vie politique ».
La présence de ces personnalités dans la presse dite « people » n’est toutefois pas la seule forme de banalisation de la représentation de la vie politique par les médias. L’imitation des politiques dans des émissions de divertissement (« Les Guignols de l’info » sur Canal +, « Le Grand juron » (pastiche du « Grand jury ») avec Laurent Gerra (à partir du 16 janvier) sur RTL,...) en est une autre. Aujourd’hui entrée dans les mœurs, elle est finalement assez récente puisqu’il fallut attendre les années 70 et Thierry Le Luron imitant Jacques Chaban-Delmas pour qu’elle se développe à la télévision [1].
Un phénomène pas tellement nouveau et pas seulement médiatique
Incertitude dans l’usage de la notion de « peopolisation » d’une part mais, aussi, indétermination quant à sa nature : est-ce un phénomène médiatique ou relève-t-il de la montée en puissance du marketing politique ? Jusqu’à leurs déboires conjugaux, les époux Sarkozy ont sciemment mis en scène leurs amours au service des ambitions électorales de Nicolas. Comme, par exemple, lors de l’émission « Envoyé spécial » de France 2, le 19 décembre 2002, qui inspira ce commentaire à un journaliste de la chaîne publique : « C’est simple, il n’y a que le rejeton et le chien des Sarkozy qu’on n’a pas encore faits. » [2].
Par ailleurs, est-on en présence d’une évolution radicale ? Les soutiens de « personnalités » à des candidats ont toujours existé : D’Yvette Horner avec Valéry Giscard d’Estaing (1981) à Muriel Robin avec Jacques Chirac (2002), en passant par le Renaud de « Tonton laisse pas béton » en 1988. La participation à des émissions de divertissement ou la présence dans la presse populaire ne sont pas non plus des nouveautés. Ségolène Royal a posé à la maternité avec sa fille pour la « Une » de Paris-Match dès 1992. La même année (le 4 novembre), elle participait à « Sacrée soirée » [3], une émission de divertissement de Jean-Pierre Foucault sur TF1.
Un « débat » médiatico-médiatique
Cette confusion entourant la notion de « peopolisation » n’embarrasse pas les experts médiatiques. « Pour ou contre la « peopolisation » ? » est devenu un sujet de controverse comme les affectionnent les journalistes, un débat de journalistes pour journalistes à l’instar des questions politiques essentielles du type : br>
- Nicolas Sarkozy a-t-il ou non réussi son entrée en campagne [4] ? br>
- Qui de François Bayrou, Nicolas Hulot ou Jean-Marie Le Pen sera le « troisième homme » de 2007 [5] ? » br>
- Quel rôle pour François Hollande dans la campagne de Ségolène Royal [6] ?
Il y aura donc les « pour » comme Roland Cayrol sur France Culture (le 16.09.2006) : « La "peopolisation", c’est une chose sérieuse et utile. Je ne crois pas que c’est seulement la presse magazine qui doit nous faire des photos (...). Les journaux les plus sérieux devront nous expliquer plus en détail que d’habitude qui sont les candidats (...). » ; les « contre » comme Alain Duhamel dans Libération (le 30.09.2006) : « La peopolisation n’est (...) que l’avant-garde caricaturale de la démocratie d’opinion. Elle envahit en fait beaucoup plus profondément la scène politique que son strass et ses paillettes ne pourraient le faire croire. » ; et les dialecticiens postmodernes comme Zaki Laïdi, toujours dans Libération (le 04.07.2006), qui met en garde contre « la "peopolisation" du jugement politique qui conduit à une adhésion paresseuse à ce qui est à la mode, et son envers, sa disqualification automatique au prétexte qu’elle enfreindrait les règles du jeu politique classique. »
Presse « people » et presse « sérieuse »
La distinction opérée par Roland Cayrol entre la « presse magazine qui doit nous faire des photos » et « les journaux les plus sérieux » nous rappelle qu’à défaut de pouvoir clairement établir ce qu’est la « peopolisation », on peut constater l’existence d’une presse dite « people ». Celle-ci appartient à la presse populaire qu’on oppose traditionnellement à la presse « sérieuse ».
Un épisode du feuilleton de la campagne présidentielle a rappelé la force de cette opposition aux yeux des journalistes et du personnel politique. Le 13 septembre 2006, sous le titre « Le play-boy de Ségolène », le magazine Gala publie un reportage sur Arnaud Montebourg. Celui-ci est illustré d’une photo du porte-parole de Ségolène Royal devant sa maison de famille en Saône-et-Loire. Dans sa chronique de Libération du 15 septembre 2006, Daniel Schneidermann, s’interroge sur cette « reddition » de celui qui « avait osé appeler tous ses congénères responsables politiques à déserter les émissions de divertissement. » Soufflant tempête, Arnaud Montebourg s’empresse de répondre par une lettre à Libération [7] dans laquelle il explique avoir été piégé par le journaliste, Daniel Bernard, salarié de Marianne et pigiste pour Gala. En août, croyant s’entretenir dans le cadre d’une enquête pour le magazine « sérieux », Arnaud Montebourg se serait prêté au jeu. Il aurait ensuite été mis devant le fait accompli par le journaliste. Au moment de sa désignation comme porte-parole de Ségolène Royal, Daniel Bernard lui aurait en effet annoncé que l’article sur lequel il travaillait serait publié dans le magazine « people ».
Cette tornade dans un verre d’eau médiatico-politique renvoie à la différence que font les journalistes et les politiciens entre la presse qui « participe à la construction de la démocratie » et « la presse qui nous réduit, nous les responsables publics, à des people ridicules, à des caricatures peu ragoûtantes » selon les termes d’Arnaud Montebourg dans sa lettre à Daniel Schneidermann. Pourtant, six semaines après le « scandale », un long reportage du Point (le 26.10.2006), hebdomadaire « sérieux », consacré au député de Saône-et-Loire permettait de constater quelques défauts d’étanchéité entre les deux presses... Quand Gala évoque un « playboy », l’article de Christophe Ono-dit-biot dans Le Point est intitulé « Un matamore chez Ségolène ». On peut aussi se demander si Arnaud Montebourg n’est pas du tout réduit en « people ridicule » quand le journaliste raconte : « Au volant de sa voiture, sillonnant les routes de sa bucolique circonscription, le fringant député jubile, prêt à retisser le fil de sa légende dorée. Celle de Montebourg l’"Arabo-Bourguignon", descendant d’un charcutier d’Autun et d’un seigneur de Kabylie, monté à la capitale pour prendre à la hussarde la robe d’avocat, tendance imprécateur. » De même quand le député concède, coquin et ironique, au journaliste, à propos de Ségolène Royal : « Elle m’a fait un gringue d’enfer. »
Une distinction pas si évidente
La « soupe people », pour Arnaud Montebourg comme pour Daniel Schneidermann, c’est, semble-t-il, plus une question de flacon que d’ivresse. A ce qu’on sait, le portrait de Christophe Ono-dit-biot n’a pas fait l’objet d’un échange passionné entre eux. Pas plus d’ailleurs que le reportage consacré par Gala (le 20.09.2006) à Ségolène Royal, la semaine suivant le numéro dans lequel apparaissait le député de Saône-et-Loire. De guerre lasse ? Peut-être. Peut-être aussi parce que la candidate socialiste n’a jamais affiché les scrupules d’Arnaud Montebourg.
Cette semaine-là, Gala titre en effet au sujet de Mme Royal : « Ségolène intime. Tous ses secrets de famille. Amours, enfants, jeunesse, argent... » Le sujet de l’enfance de la candidate va ensuite être repris en « Une » par d’autres titres de la presse dite « people » : Paris-Match (« L’irrésistible ascension. Son histoire de famille et sa rivalité politique avec François Hollande », le 05.10.2006) ou VSD (« Royal, la rupture avec un milieu conservateur », le 25.10.2006), par exemple.
Mais, dans un second temps, ce sujet semble avoir également intéressé la presse dite « sérieuse » puisque L’Express (« La jeunesse cachée de Ségolène », le 02.11.2006), Le Nouvel Observateur (« Le roman de Ségolène » sous-titré « L’enfance d’une battante », le 23.11.2006) et Le Point (« La vraie nature de Ségolène », le 23.11.2006) ont à leur tour « fait leur une » sur les débuts dans la vie de Ségolène Royal. Ces articles ont en partie été écrits en s’appuyant sur des éléments du livre de Daniel Bernard (Mme Royal, Editions Jacob Duvernet, Paris, 2005), le journaliste mis en cause par Arnaud Montebourg... Ainsi parfois, comme disent les éditorialistes, distinguer entre presse « sérieuse » et presse « people », c’est « complexe »...
Un, deux, trois « Galas pour riches » !
Plus qu’une « peopolisation » dont on a du mal à cerner la consistance, on constate donc une uniformisation croissante de l’espace médiatique. La différence entre presse « sérieuse » et presse « populaire » (ou « people ») semble toujours moins claire. Les mêmes genres journalistiques, mais à destination de publics distincts, tendent à prévaloir dans les deux cas, en raison notamment de l’emprise croissante des enjeux économiques. Selon Le Monde (24.09.2006), avec Mme Royal en bikini, « Closer et VSD ont enregistré une augmentation de leurs ventes sur ces deux numéros estivaux (240 000 exemplaires vendus pour VSD, soit " le meilleur chiffre depuis trois ans pour un mois d’août " selon l’éditeur). » Stratégies complète le 14 décembre 2006 : « Ségolène Royal en couverture, c’est l’assurance de bonnes ventes en kiosques. VSD et Closer montrent ainsi la candidate en maillot de bain et L’Express narre ses débuts dans la vie. Une " couv’ " qui, comme l’explique Christophe Barbier, nouveau directeur de la rédaction de l’hebdomadaire, a permis à L’Express de passer devant Le Point en diffusion, ce qui ne s’était pas produit depuis 2005 (hors sujets " marronniers " »). Marianne vient d’ailleurs de réaliser une habile une sur le sujet le 2 décembre dernier : " Ségolène et les femmes : certaines s’enthousiasment, d’autres la détestent ". Malin. »
Confrontés à de sérieuses difficultés économiques, les titres de la presse « sérieuse » ne feraient, en fait, qu’appliquer ce qui marche chez leurs confrères de la presse « populaire ». Une recette mise en pratique par Laurent Joffrin en tant que directeur du Nouvel Observateur et enseignée aux étudiants du Centre Français du Journalisme (CFJ) à qui il expliquait en 2001 : « Oh, le pauvre immigré, le pauvre chômeur, on l’a déjà fait dix fois ! C’est vrai, on fait une sorte de Gala pour riches. » [8]
La campagne présidentielle est ainsi l’occasion d’observer une évolution dans la représentation de la vie politique par les médias. Ou plutôt, une évolution de l’espace médiatique lui-même. La distinction qui l’a longtemps structuré entre presse « sérieuse » et presse « populaire » ne semble plus tout à fait opérante pour décrire sa réalité. La notion de « peopolisation » semble pour le moins confuse mais la conversion de la presse « de qualité » à des pratiques journalistiques qui sont en fait celle de la presse « people » paraît, en revanche, avérée.