Sur l’enfance de Ségolène Royal, bien avant Gala et VSD, bien avant les « news magazine », Le Monde a publié dès le 29 juin 2006 un article intitulé « Ségolène Royal, la fille du lieutenant-colonel ». On pouvait notamment y apprendre que, chez les Royal, « la morale familiale est rigide, fondée sur le sens de l’honneur et les commandements religieux. Le dimanche, les huit rejetons forment une belle chorale et entonnent des chants grégoriens. Sur ce petit monde, Jacques Royal règne en autocrate. ». On pourrait, à la rigueur, voir dans cette évocation une forme d’éclairage. Mais Le Monde a également été une « référence » sur l’histoire du couple Royal-Hollande. Dans l’édition du 17 juin, on pouvait lire un article intitulé « Hollande - Royal : duel en duo ». On y apprenait qu’« à Strasbourg [le 3 juin, pour un meeting], ces deux-là s’étaient retrouvés après trois jours passés sans se voir. C’est la dure loi des couples militants. Chacun sa vie, des journées de quinze heures, des réunions à n’en plus finir, d’innombrables aller retour entre Tulle et Paris pour l’un, Paris et Poitiers pour l’autre. » La personnalisation de la vie politique elle-même n’explique pas tout.
Une forme de duplicité
Les sujets relatifs à l’intimité ou à la « personnalité » des femmes et des hommes politiques sont abordés de deux manières par Le Monde. Il y a d’abord le « décryptage », sorte de second degré de l’information qui permet de faire comme les confrères des magazines ou de la presse dite « people » mais sans avoir l’air. Dans la rubrique « La fabrique de l’info », un article (« Chez les Sarko, y a pas photo », le 02.07.2006) a ainsi été publié à l’occasion du « retour » de Cécilia Sarkozy auprès de son mari. Sous couvert d’analyser un éventuel « plan média » autour de la reformation du couple, le lecteur se voit raconter les retrouvailles elles-mêmes : en balade « chez un chausseur de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris » ; « à Venise », ou « dans une pirogue sur le fleuve Maroni », le tout illustré par une photo montrant monsieur et madame voguant sur leur embarcation guyanaise. Autre exemple : dans Le Monde du 12 août 2006, sous le titre « Les politiques, nouvelles cibles de la presse people », on pouvait lire un article (annoncé en une) « analysant » la récente parution de photos de Mme Royal en maillot de bain dans Closer et VSD agrémenté des dites photos [3]. Quelques semaines plus tard, suite au courrier reçu sans doute, la publication de ce papier devait d’ailleurs inspirer ce commentaire au médiateur (le 17.09.2006) : « En reproduisant ces clichés en couleurs, assortis de leurs titres vulgaires (« Et dire qu’elle a 53 ans ! »), Le Monde a voulu montrer l’objet du délit. Certes... On peut ajouter que ces photos étaient plutôt à l’avantage de la candidate socialiste. Certes, certes... Il n’empêche que des lecteurs - mais aussi l’auteur de ces lignes - y ont vu une forme d’hypocrisie [4]. En matière de vie privée, où de nouvelles limites risquent d’être franchies d’ici à l’élection présidentielle, il n’est pas toujours cohérent de montrer ou de décrire en détail ce que l’on dénonce. Un journal de qualité ne peut pas jouer sur tous les tableaux. »
Dans une précédente chronique (le 02.07.2006), ce même médiateur avait établi une sorte de jurisprudence : « Il y a vingt ans (...) Le Monde faisait totalement silence sur la vie privée des personnages publics. Mais les médias français ont évolué dans ce domaine, encouragés parfois par les intéressés eux-mêmes, qui mettent en scène leur intimité quand cela les arrange. Où s’arrête la légitime information des citoyens ? Où commence le voyeurisme ? Un événement privé ne mérite de figurer dans Le Monde que dans deux circonstances : s’il a une incidence sur la vie publique ou s’il est indispensable pour connaître la personnalité d’un dirigeant. » C’est sans doute à cette fin, « connaître la personnalité » des femmes et des hommes politiques (ou autres), que le « journal de qualité » a de plus en plus recours au portrait comme angle [5].
Depuis le début de la campagne, on lit ainsi régulièrement des fragments de biographies racontant la vie et le caractère des principaux acteurs. Le 2 juin, par exemple, dans un article intitulé « D’un circuit à l’autre », on pouvait apprendre sur M. Estrosi (ministre et bras droit de Nicolas Sarkozy) que « longtemps, il s’est appelé " Estro ", et rien d’autre. Un nom de cour d’école à Nice, puis d’élève au Lycée impérial. Un nom qu’on se lance dans les paddocks des Grands Prix de moto où " Estro ", fin pilote et bon préparateur, passait, selon un témoin de ce temps-là, pour " un joyeux déconneur ". A cette époque, au début des années 1970, il a le visage poupin, les cheveux longs et une petite nuance de défi ou de morgue à la commissure des lèvres (...). » A « gauche », c’est Jean-Pierre Mignard, avocat et conseiller de Mme Royal, qui est ainsi raconté (le 25.10.2006) : « Parrain de deux des quatre enfants de François Hollande et de Ségolène Royal, Jean-Pierre Mignard a gagné, depuis un an, un nouveau rôle. Il appartient désormais à cette catégorie de personnes qui deviennent, nolens volens, les oracles de leurs amis puissants. Car Jean-Pierre Mignard partage, depuis toujours, l’intimité du couple. Il se souvient des longues réunions, dans l’ancien appartement de la rue de Rennes, quand, " avec François, Le Driant et Gaillard, on refaisait le monde à table, et qu’elle écoutait, l’œil malicieux, sur le canapé ". »
Faire de nécessité vertu
Sur France Culture (le 16.09.2006), Jean-Marie Colombani, patron du Monde, justifiait ainsi cette évolution : « Un des premiers critères des Français devant cette élection, ça va être de jauger la personne, puisque les Français aspirent à un renouvellement, ils vont être d’autant plus attentifs aux personnalités. Il ne faut pas non plus être surpris de ce qu’on appelle, sans doute à tort, la " peopolisation " des campagnes. Non, la toile de fond, c’est aussi une attention plus soutenue, comme aux Etats-Unis d’ailleurs, comme en Grande-Bretagne, comme ailleurs à ce qui fonde le caractère de quelqu’un. » M. Colombani, comme souvent, fait de nécessité vertu. En effet, Mme Royal, élue depuis 1988 et plusieurs fois ministre, comme M. Sarkozy, principal ministre d’Edouard Baladur de 1993 à 1995, ministre omniprésent de 2002 à 2004 et, à nouveau, depuis 2005, président du parti majoritaire depuis 2004 sont-ils vraiment des inconnus pour les électeurs français ?
Par ailleurs, le recours de plus en plus fréquent au portrait n’est pas simplement réservé à la politique et à la campagne en particulier. En juin 2007, quand Nicolas Sarkozy tente d’apporter une réponse à la mobilisation pour défendre les familles sans-papiers et leurs enfants en confiant à Arno Klarsfeld une mission de médiateur, Le Monde lui consacre un portrait (le 01.07.2006) dans lequel on lit : « On le sait jet-setteur, ex-amant de Béatrice Dalle et de Carla Bruni, pilier de boîtes de nuit et avocat au barreau de Paris, New York et Sacramento, en Californie. (...) A 39 ans, le jeune avocat ne s’est pas émancipé de ses parents. Il occupe toujours une chambre dans leur cabinet d’avocats parisien, appelle " Serge ", son père, à tout bout de champ. » Pour évoquer les difficultés de l’hôpital public, le « journal de référence » publie un récit de la vie de François Olivennes qui, déçu, a récemment décidé de « lâcher un poste de chef d’unité de médecine de la reproduction à l’hôpital Cochin, à Paris, pour s’associer à un cabinet privé. » On y lit que : « Dans sa famille, où « médecine » s’est toujours conjugué avec « service public », et où ses frères sont patrons dans le privé -Denis à la Fnac, Frédéric à Radio Classique -, personne n’a compris ce " moment de ras-le-bol " qui a coïncidé avec sa séparation. Personne, sauf son ex-femme, la comédienne Kristin Scott-Thomas, et leurs trois enfants, qui voient désormais davantage leur père et le trouvent " moins énervé " qu’avant. »
Enfin, si le renouvellement dans la campagne paraît n’être qu’un prétexte permettant de justifier les portraits (cette attention aux personnalités dont parle son PDG), c’est que cette pratique journalistique est aujourd’hui généralisée dans les médias français : la presse people, la presse magazine, les reportages d’« Envoyé spécial » [6], la quatrième de couverture de Libération, etc. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, Le Monde se banalise. Tendance illustrée par la place toujours plus grande accordée à l’actualité sportive (avec, par exemple, la parution d’un cahier spécial à l’occasion des coupes du Monde de football) ou aux faits divers [7]. On peut aussi évoquer l’importance accordée aux sondages. Les titres des unes du 5 novembre (« Les syndicats s’inquiètent de l’effet Le Pen chez les ouvriers ») et du 25 novembre 2006 (« 17% d’intentions de vote pour Le Pen ») étaient ainsi fondés sur des enquêtes d’opinion quand le journal les a longtemps ignorés.
Raconter des histoires
Cette banalisation (pour des raisons en partie économiques) explique la place accordée aujourd’hui au portrait dans Le Monde. Une autre explication tient peut-être à l’influence de la télévision, actuel média dominant. Celle-ci informe les autres médias mais aussi les stratégies politiques en imposant la puissance de l’image et de l’audience comme référence de la qualité d’une prestation médiatique. Il en résulte une coïncidence entre le traitement de la campagne (développement du portrait, importance de la forme) et le marketing politique à l’œuvre dans la campagne.
Celui-ci est, en effet, de plus en plus inspiré par les méthodes américaines et, en particulier, « le storytelling ». Il s’agit, selon Christian Salmon, d’« une tendance apparue dans les années 1980, sous la présidence de Ronald Reagan, lorsque les stories en vinrent à se substituer aux arguments raisonnés et aux statistiques dans les discours officiels. » [8] Cette « technique », qui consiste à raconter aux gens des histoires, comme à des enfants, sur eux et sur le candidat, a ensuite été perfectionnée par Bill Clinton.
Dans la campagne présidentielle actuelle, l’usage du « storytelling » se développe, sans pour autant se substituer totalement aux arguments politiques. Le discours de Nicolas Sarkozy, à l’occasion de son investiture par l’UMP (le 14.01.2007), en est un bon exemple. A la tribune, le candidat fraîchement désigné explique ainsi : « J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur mais je veux le dire parce que c’est la vérité et parce qu’on ne peut pas comprendre la peine de l’autre si on ne l’a pas éprouvée soi-même. On ne peut pas partager la souffrance de celui qui connaît un échec professionnel ou une déchirure personnelle si on n’a pas souffert soi-même. J’ai connu l’échec, et j’ai dû le surmonter. J’ai changé parce que nul ne peut rester le même devant le visage accablé des parents d’une jeune fille brûlée vive. (...) J’ai changé parce qu’on change forcément quand on est confronté à l’angoisse de l’ouvrier qui a peur que son usine ferme. J’ai changé quand j’ai visité le mémorial de Yad Vashem dédié aux victimes de la Shoah. » Rechercher la complicité dans une allusion transparente aux difficultés rencontrées par son couple, rassurer par le récit d’épreuves ou d’expériences marquantes : dans tous les cas, il s’agit de gagner les électeurs en leur racontant une histoire, celle des changements intervenus dans la vie de Nicolas Sarkozy.
Une dépolitisation partielle
A travers les portraits, les médias « sérieux », et Le Monde en particulier, jouent le jeu du « storytelling ». Ils contribuent ainsi, dans leur suivi de la campagne, à une dépolitisation partielle. Cette dépolitisation a trois dimensions. Elle tient d’abord à la disparition des enjeux de fond au profit de récits de vie individuels. Un portrait comme celui de Clémentine Autain [9] dans Le Monde illustre cette tendance dans la campagne présidentielle. Rien sur le fond de la démarche unitaire qu’elle revendique, mais des anecdotes personnelles comme : « Elle a commencé jeune, très jeune, à la télévision, chez Michel Drucker. Elle avait 10 ans, voulait être chanteuse comme son père, Yvan Dautin. Elle se produit alors dans un groupe d’enfants, Abbacadabra, qui reprend des chansons d’Abba. Le présentateur accroche sur son sourire impertinent : " Celle-là, le jour où elle sera grande, on en reparlera. Elle n’a pas sa langue dans sa poche ", dit-il, estomaqué par l’aplomb de la fillette. L’enfant enchaîne disques, concerts et même un feuilleton, avant d’être découragée par son père. " Il disait que je chantais faux ! ", rigole celle qui se « déstresse » en poussant la chansonnette sur les airs de Barbara ou Madonna. » L’évocation de l’enfance est récurrente dans les portraits du Monde. Par exemple, au sujet de celle de M. Estrosi : « Adolescence ordinaire. Elève moyen, même pas bachelier. Ce qu’il faut de souffrance à la suite du divorce de ses parents. » Une note « psy » qui accentue l’individualisation à l’œuvre dans les portraits.
Gilles Balbastre et Pierre Rimbert ont décrit cette individualisation par le portrait concernant le traitement des mouvements sociaux : « Chacun conserve en mémoire l’icône médiatique du " printemps de Pékin " en 1989 : un homme seul stoppant la progression d’une colonne de chars, la volonté de l’individu contre la force de l’Etat. Les centaines de milliers de manifestants massés autour de lui ont été exclus du cadre. Si le recours compulsif au portrait, tant dans la presse écrite qu’audiovisuelle, dérive de cet individualisme-là, il relève aussi d’une paresse nourrie de course à l’audience (ou au tirage). Plus faciles à réaliser qu’une enquête, les portraits d’élèves, de parents ou de commerçants perturbés par les grèves sont aussi plus accrocheurs : ils font appel à l’intime, à l’émotion. Mais le genre s’accommode mal des causes communes. Il privilégie ce qui distingue aux dépens de ce qui réunit. Les antagonismes politiques et sociaux s’y dissolvent dans la psychologie individuelle. » [10]
Les portraits contribuent par ailleurs à une certaine « politique de la dépolitisation » [11] en verrouillant les « débats » par une théâtralisation de la politique. Le lecteur est réduit au rang de spectateur d’une scène politique sur laquelle les protagonistes, sorte de héros récurrents, évoluent en apesanteur sociale, sans base, sans parti. Dans un portrait de Dominique Strauss-Kahn, on le décrit ainsi comme celui « qui inventa pour la gauche, en 1996 et sur un coin de table, les 35 heures et les emplois jeunes » [12]. La marge consentie au lecteur-électeur consiste finalement à approuver ou non la fin du feuilleton qui lui a été raconté jusque-là. Dans le cas de Ségolène Royal, Le Monde a ainsi publié, sous forme de récits de vie, les épisodes suivants : Mme Royal candidate et mère (« Ségolène, ou la théorie de la "candidate-maman" », le 17 juin 2006), le couple de Mme Royal (« Hollande - Royal : duel en duo », le 17 juin 2006), l’enfance de Mme Royal (« Ségolène Royal, la fille du lieutenant-colonel », le 29 juin 2006), Mme Royal et François Mitterrand (« Ségolène Royal : du bon usage de Mitterrand », le 9 janvier 2007), la conseillère de Mme Royal (« Sophie Bouchet-Petersen, du trotskisme à Ségolène Royal », le 11 mai 2006), l’homme de main de Mme Royal (« Patrick Mennucci " Ségolin " le bateleur de Ségolène », le 28 septembre 2006), le chambellan de Mme Royal (« Christophe Chantepy, le grand chambellan », le 13 décembre 2006),...
La dépolitisation, somme toute très politique, est enfin liée à la réduction, voire à la disparition, de la distance critique que les journalistes (et ceux du Monde en particulier) aiment revendiquer. A côté de portraits à charge, souvent nourris de témoignages d’adversaires, combien de panégyriques à peine masqués ? Les portraits sont en effet en grande partie « contrôlés » par les « écuries » présidentielles dans la mesure où ils sont notamment élaborés avec la complicité des entourages. Un long article consacré à l’équipe entourant Nicolas Sarkozy [13], est ainsi conçu, entre autres, à partir des confidences de Gérard Longuet, Roger Karoutchi, Nadine Morano, Patrick Devedjian, Pierre Charon, Thierry Saussez, Manuel Aeschliman, tous proches du président de l’UMP. Sans doute, les journalistes n’ont-ils pas pris pour argent content ces confidences mais, l’ironie de façade cède à la fascination et à la connivence : « Lunettes de soleil, costumes Ralph Lauren, téléphone portable dernière génération. Le tutoiement est de règle, la décontraction apparente, l’engagement entier. Prière d’appeler le patron "Nicolas", d’être rapide et précis. » Une introduction de l’article qui évoque une bande annonce cinématographique...
Les portraits s’inscrivent dans le cadre de stratégies médiatiques maîtrisées par les équipes des différents candidats, à la manière de ce qui se passe avec la télévision. Comme l’explique fort bien Raphaëlle Bacqué [14] elle-même dans un article très informé : « Les candidats ont intégré toutes les contraintes de l’audiovisuel et surtout son impact sur l’opinion. Ils arrivent bardés de conseillers en communication et négocient leurs apparitions dans les moindres détails avec les chaînes. Pour préparer " A vous de juger ", le 30 novembre sur France 2, Nicolas Sarkozy a ainsi posé ses conditions. Il voulait avoir le temps d’exposer sa candidature et présenter son projet politique sur quatre thèmes : l’emploi, la sécurité, l’immigration, l’école. Demande acceptée par la chaîne. » [15] De fait, ce qui vaut pour la télévision vaut aussi pour la presse écrite, y compris celle « de référence ».
De la flagornerie
Mais les équipes de campagne peuvent aussi, sans forcer leurs talents, bénéficier d’une certaine flagornerie fondée sur l’entre soi et la connivence à l’œuvre dans les portraits. Quand Isabelle Mandraud consacre un portrait à Christophe Chantepy (ancien directeur de cabinet de Mme Royal et cadre de sa campagne), elle révèle ainsi que : « Amoureux de Berlin, ce germanophone n’a pas encore trouvé le temps de mettre les pieds dans l’appartement qu’il vient d’y acquérir. Le technocrate un peu passe muraille a dû également délaisser une autre de ses passions, l’art moderne, qui égaie son domicile parisien, table de Le Corbusier en verre dans le salon et encre de Chine de Thomas Salet au mur - " Je ne suis pas très commode Louis XV". » [16]
Dans un portrait de Claude Guéant [17] directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, on retrouve cette connivence sociale fondée sur le goût. Le journaliste du Monde raconte ainsi les « passions ordinaires pour Mozart et l’Italie » de M. Guéant sans envisager à quel point elles sont situées sociologiquement. Plus généralement, ce portrait se caractérise par une distance quasi nulle. On y lit que « Tout ce qu’il [M. Guéant] fait est dans les règles. C’est sa nature. » Egalement que « respecté à droite comme à gauche, l’homme passe pour un modèle », qu’il est « modeste et affable » ou « policé et secret », qu’il sait faire preuve d’ « une autorité sans faille et sans outrance »...
Atténuation, voire disparition de la distance critique, individualisation, et théâtralisation : les portraits dans Le Monde contribuent à une politique dépolitisée qui est un trait majeur, mais non exclusif du traitement de la campagne présidentielle. Ils s’inscrivent dans un mouvement plus général qui consiste à restreindre la portée du débat par une réduction de son périmètre idéologique. L’uniformisation de l’espace médiatique, dont la banalisation du Monde est un indice majeur, coïncide ainsi avec une contraction éditoriale qui, c’est un euphémisme, ne va pas dans le sens du pluralisme.