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Ouest-France et l’Institut de l’entreprise, en toute indépendance !

par Martin Mongin,

« La politique de l’autruche mine la cohésion sociale et compromet la croissance » regrette Jeanne Emmanuelle Hutin dans son article « Réformer, c’est possible ! Voici comment... », paru dans Ouest France (le 19.01.2007). Heureusement, ajoute-t-elle, « L’Institut de l’Entreprise interpelle les candidats. » L’Institut en question vient de publier un ouvrage aux éditions Robert Laffont : C’est possible ! Voici comment... Banal exercice de promotion mais pas seulement : trois éditions successives sont nécessaires au quotidien pour mettre en avant l’« expertise » et l’« indépendance » des auteurs au service du « principe de réformes de grandes ampleur ».

Dans son compte-rendu, Jeanne Emmanuelle Hutin donne abondamment la parole à Michel Pébereau et Bernard Spitz, les coordonnateurs de l’ouvrage : « [...] constate Michel Pébereau » ; « Michel Pébereau est scandalisé [...] » ; « [...] poursuit Bernard Spitz » ; « [...] pense Michel Pébereau » ; « [...] poursuit Michel Pébereau » ; « [...] pense Bernard Spitz »  ; « [...] rappelle Michel Pébereau ». Mais qu’est-ce que ce mystérieux Institut dont Ouest France fait la publicité ? J. E. Hutin le présente sobrement comme un « groupe de réflexion indépendant des syndicats et des partis. » Elle assoit ainsi une image de sérieux (un « Institut ») et d’indépendance pour la promotion du livre.

Un think tank libéral

Mais elle omet de préciser que l’Institut de l’Entreprise est d’abord un « think tank » libéral [1] fondé en 1975 par François Ceyrac, Jean Chenevier, François Dalle et une trentaine de grands groupes. Il poursuit deux objectifs : « contribuer à alimenter la réflexion des chefs d’entreprise sur les enjeux économiques et sociaux et promouvoir auprès du plus grand nombre l’idée que l’entreprise joue un rôle fondamentalement positif dans la société » [2]. Jean-Pierre Boisivon, délégué général de l’Institut constate ainsi : « La France a beaucoup d’atouts, mais elle en gâche une partie par une mauvaise gestion. Le problème est en réalité la gestion de la sphère publique. » [3] On compte parmi les membres de l’Institut de l’Entreprise les plus grands groupes français : Accor, AGF, Alstom, Arcelor, Areva, BNP Paribas, Carrefour, le Crédit agricole, EDF, etc. - et jusqu’au MEDEF [4] !

J. E. Hutin oublie encore de nous dire que les coordonnateurs du livre sont indépendants « des syndicats et des partis », mais très liés au patronat et au capital. Michel Pébereau est l’ancien PDG de BNP Paribas, aujourd’hui Président du conseil d’administration de cette société. Bernard Spitz est l’ancien directeur de la stratégie chez Vivendi Universal, gérant de BSConseil, une société de conseil en stratégie et en communication, et cadres de la Direction générale de Canal + [5].

Le lendemain et même le surlendemain

Cette mise en perspective aurait été d’autant plus heureuse que J. E. Hutin redonne la parole aux deux auteurs dès le lendemain, dans un article plus long, agrémenté de graphiques et intitulé : « Non, les français n’ont pas toujours peur des réformes » (Ouest France, les 20-21.01.2007). Il y est question, cette fois, d’un « sondage pour l’Institut de l’Entreprise » qui montrerait que les personnes interrogées « adhèrent au principe de réformes de grandes ampleur », d’une certaine « commission Pébereau  » et de l’ouvrage promu dans l’article de la veille. Une fois encore « Bernard Spitz insiste (...) » ; « Michel Pébereau appelle (...) », etc. Sur la nature « patronale » de l’Institut, sur les fonctions sociales de MM. Spitz et Pébereau, pas un mot...

Ô surprise : le surlendemain encore (le 22.01.2007), Bernard Spitz a le grand honneur de pouvoir s’exprimer dans l’encart éditorial du quotidien. Son « Point de vue » s’intitule cette fois : « Les jeunes ne paieront pas ! » Présenté sobrement comme « auteur de "Le papy-krach" (Editions Grasset) », nulle mention n’est faite de ses activités « militantes ».

La question que pose Spitz est la suivante : « comment un pays endetté, qui vieillit et dont la population active va diminuer, pourra-t-il durablement financer son système de protection sociale déjà lourdement déficitaire ? » On trouve ici comme un écho de quelques récents éditoriaux de Jeanne Emmanuelle Hutin, la fille du P.D.G du quotidien réfional [6] ; ainsi le 2 février 2007, elle écrit : « face à la gravité de la situation, beaucoup d’études ont été réalisées. Leurs conclusions sont bien connues : elles indiquent, hors de toute idéologie, les réformes qu’il faut avoir le courage d’accomplir (...). » « Hors de toute idéologie », il ne s’agit pas de discuter les choix éditoriaux de Ouest France. Simplement de constater le procédé consistant à mobiliser au service de l’orientation éditoriale une « expertise » ou des « études » dont on dissimule la nature idéologique.

Des arguments d’autorité

Le papa de Mme Hutin recourt lui aussi à ce type de pratiques. Rendant compte, à sa manière, de la frilosité de la France et de son nombrilisme que lui reprochent tous les pays européens, il rappelle ainsi (les 20-21.01.2007) : « Voilà ce qu’on peut entendre à Paris, dans des rencontres internationales où s’expriment divers organismes, associations, fondations. » Sur ces études, sur ceux qui les commandent, sur ces rencontres internationales à Paris et ceux qui y assistent, sur les organismes, associations, fondations qui s’y expriment, on n’en saura pas beaucoup plus. Mais les arguments d’autorité construits à partir d’« Institut », de « Fondation », de « groupe de réflexion », de « sondage », de « rapport », de « commission », d’« études », de « rencontres internationales », ou même simplement de « Paris » semblent satisfaire les éditorialistes suffisants pour convaincre des lecteurs qu’ils semblent penser insuffisants...

Martin Mongin

 
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Notes

[1Les « think tank » (« réservoirs d’idée ») sont des clubs de réflexion dans lesquels interviennent des acteurs de la société civile (intellectuels, chefs d’entreprise, économistes, journalistes). Sous couvert d’indépendance (les think tanks sont financés exclusivement par des fonds privés) et d’apolitisme, ils se livrent à un véritable travail de lobbying, en présentant sous un vernis expert les intérêts de ceux qui les financent.

[3ibid.

[4Pour une liste complète (plus de 120 entreprises adhèrent à l’Institut), on peut consulter le site de l’Institut.

[5Il est par ailleurs le secrétaire général d’En temps réel, autre « think tank » fondé par des jeunes membres de la Fondation Saint-Simon après sa dissolution en 1999 et financé exclusivement par des fonds privés. Voir Think n°1, a revue de l’Observatoire Français des Think Tanks. En Temps réel vient en outre de publier (octobre 2006) un cahier sur le thème « Presse et Internet - une chance, un défi : enjeux économiques, enjeux démocratiques » rédigé par Antoine de Tarlé, ancien directeur général adjoint de TF1, aujourd’hui directeur général adjoint de Ouest France et patron des activités multimédia du groupe ! (Voir le site d’En temps réel.) Parmi les membres du conseil d’orientation d’En temps réel, on trouve Pascal Lamy, directeur général de l’OMC et Jean-François Rischard, ancien vice-président de la Banque Mondiale.

[6François-Régis Hutin est le PDG de Ouest France.

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