Philippe Val donne la leçon chaque semaine dans Charlie Hebdo et sur France Inter, tous les mois sur RTL et sur Paris Première, et régulièrement sur i>télé, la télévision du cabotinage. Depuis plus d’un mois et demi, c’est encore pire : le prêt-à-penser de l’autocrate de Charlie Hebdo inonde tous les médias, parce qu’il doit, non seulement défendre son journal en procès, mais vendre. Vendre son œuvre philosophique (« Traité de savoir-survivre par temps obscurs ») et vendre son recueil de chroniques (« Les traîtres et les crétins »).
Janvier
Vendredi 5 janvier 2007. Philippe Val, après avoir nourri ses trois chats et fait son footing sur les bords de la Marne [1], se lance dans la lecture de la presse. L’articulet paru dans Le Figaro est de bon augure pour le marathon promotionnel qui s’annonce : « En vingt-trois chapitres parfaitement emboîtés, tressés de citations, de faits historiques, Philippe Val tente de définir ce que pourrait être un "nouvel homme des Lumières". (...) Il nous propose aujourd’hui sa « méthode ». » Le soir, il va lire sa chronique hebdomadaire sur France Inter, dans « Inoxydable ». Le thème du jour : la mort de Saddam Hussein. Le week-end est calme. Son Traité doit sortir le 10 janvier. Après, il ne se reposera plus.
Le 9 janvier 2007, l’hebdo-bobo Les Inrockuptibles l’interroge sur une pleine page. Val prend la défense de celui qu’il fustigeait naguère [2] : « BHL s’est rarement trompé politiquement, sur la Bosnie, sur le Kosovo... On peut lui faire les reproches que l’on veut mais je n’ai pas lu les livres contre lui, parce que je trouve la haine massive qu’il suscite chez certaines personnes assez glauque. Les critiques c’est légitime, mais la haine non. » Philippe Val pamphlétaire connaît bien la différence : aucune haine n’habite ses falsifications polémiques. Amis d’abord, critiques ensuite. Et les petits cadeaux entretiennent l’amitié : Bernard-Henri Lévy lui rend régulièrement hommage, et Val, qui adore être aimé, lui renvoie l’ascenseur. On verra que la flagornerie, même quand elle émane d’un Sarkozy, tempère les ardeurs du polémiste. Le matin, il est invité sur France Info dans l’émission « Un auteur, un livre d’actualité ». Le soir même il contribue à refaire le monde sur RTL pour la modique somme de 150 euros [3] et glose sur l’écologie : un sujet qu’il maîtrise parfaitement, comme tous les autres.
Et puis tout s’enchaîne très vite. Le lendemain (10 janvier 2007), on peut lire son nouvel éditorial dans Charlie Hebdo. Le 11 janvier, Le Monde lui tire un portrait flatteur (« Il parle avec passion de Borgès, de Montaigne, Foucault, Verlaine, Freud. Philippe Val est aussi philosophe. Il ne peut pas s’empêcher, dans une discussion, de citer Spinoza. (...) Il adore rire, et faire rire. »). Le 12 janvier, il retourne à la maison ronde pour chroniquer sur Nicolas Sarkozy (c’est le sujet à la mode). Le dimanche 14 janvier, Jour du seigneur ou pas, Val pérore sur France 5 dans « Ripostes ». Le lundi c’est relâche. Les musées sont fermés, le clapet de Philippe Val aussi.
Mardi 16 janvier, Michel Denisot le convie dans son talk-show sur Canal+, en même temps qu’une association de défense des moustachus (véridique !). Questionné sur la présidentielle, il lâche : « Moi je vais voter pour le candidat à gauche le mieux placé, c’est tout. » Comprendre Royal. Le 17 janvier, c’est Charlie... et l’éditorial de Val. Le 19, retour sur France Inter pour rendre hommage au dessinateur Joan Sfar (ancien de Charlie Hebdo). Le 20 janvier, dans Marianne, Joseph Macé-Scaron lui offre un panégyrique qui ne doit rien à cette coïncidence : Macé-Scaron pontifie avec Val dans « On refait le monde » sur RTL. Cela commence ainsi : « Les journalistes sont devenus philosophes. Et, pour être franc, il n’est pas sûr que l’on ait perdu au change. » Où l’on peut vérifier que ces journalistes, intellectuels universels, dont Macé-Scarron se fait le porte-voix dépassent d’un seul trait de plume tout ce qui les dépasse. La suite coule de source : « Ainsi, dans son Traité de savoir-survivre par temps obscurs, Philippe Val revisite les questions soulevées par les Lumières à l’aune des grandes expériences collectives contemporaines, et souligne l’actualité du combat contre l’obscurantisme. [...] Avec la passion d’un détective sorti de l’univers de Borges, Val nous livre un essai salubre et revigorant, une défense de l’universel contre l’espèce. Ecrit avec de vrais bonheurs de plume, ce livre est une mèche allumée qui grésille et se faufile à travers les mythes, les préjugés, les croyances, les coutumes, les habitudes, les choses que l’on croit vraies parce qu’elles sont très anciennes. Une mèche inextinguible, qui court à travers nos sombres temps. En refermant ce traité, on sait déjà que l’auteur a acquis un droit de suite. » Mais ce petit bonheur est gâché par une critique (très) sévère (mais savoureuse) parue dans Le Monde 2, le supplément publicitaire du quotidien vespéral où l’on trouve parfois des articles. Pour ne pas accabler Val, nous ne reproduirons pas ici la prose de Christophe Donner. Le lendemain (21.01), il va se faire consoler sur France Culture dans « l’Europe des idées ».
Lundi 22 janvier, une nouvelle semaine sous les projecteurs démarre pour le patron de Charlie Hebdo. La journée commence par la « Matinale » de Canal+ et continue le soir par « Mots croisés » sur France 2. Le 24, Charlie Hebdo paraît, et cette fois c’est François Cavanna qui prend la plume pour flatter son patron : « Je veux parler du livre que mon successeur en ces pages et, de ce fait, actuel supérieur hiérarchique, vient de donner au monde. (...) Autant vous dire tout de suite que je ne vais pas bouder mon plaisir. J’ai lu le Traité avec gourmandise, j’y adhère sur beaucoup de points, en tout cas quant à l’essentiel. » Mais si Cavanna a pris la plume, c’est surtout pour défendre son chef contre la (méchante) critique du (très) méchant Christophe Donner. « Dans le supplément [du Monde] du samedi (...), là on l’assassine. Le bourreau est un certain Christophe Donner. (...) Christophe Donner, donc, démolit. Avec allégresse. Avec aussi beaucoup de verve, un rythme sans faiblesse. » Cavanna lui reproche « de ne pas motiver ses sarcasmes. J’aime la logique. L’injure est belle, elle n’explique pas. Val est d’un bout à l’autre ridiculisé, mais je ne comprends pas pourquoi. Si bien que cette diatribe acharnée fait penser à quelque rancune personnelle. » Le vendredi 26, Val nous offre une nouvelle chronique dans « Inoxydable » sur France Inter, et participe à l’émission « Sous les étoiles exactement ».
Le narcissisme de Philippe Val n’a pas de limite : le 31, sans le préciser, il reproduit mot pour mot dans Charlie Hebdo l’éloge sans réserves que Caroline Fourest (journaliste à Charlie Hebdo) avait déjà rédigé pour son ancien blog un mois plus tôt (le 3 janvier 2007) : « Le Traité de savoir-survivre de Philippe Val porte bien son nom. C’est un manuel de décrassage jouissif par temps obscurs. (...) Val nous propose une balade radicale et libre, à la redécouverte de Spinoza, de Voltaire et du plaisir de se penser au monde (...). Un simple exercice de distanciation critique mais qui relève de la résistance... par temps obscurs. Le livre réjouira les amoureux joyeux des libertés (...). Ses seuls gourous sont les philosophes et l’Histoire, qu’il fréquente inlassablement, et convoque comme pour tout, en esprit libre, autodidacte, qui aime les relations franches et directes. Il tutoie Spinoza, vit le 11 septembre comme le conflit entre Spartes et Athènes, pense tous les jours à l’affaire Dreyfus. Les vrais éditorialistes sont comme ça. Ils doivent éclairer sans cesse ceux que le feu de l’actualité immédiate aveugle. » [4]
La cause est entendue : Philippe Val est un philosophe. Et même un « nouveau philosophe », consacré par le petit monde dont il faisait déjà partie.
Février
Mais Philippe Val est aussi le patron d’un journal en procès pour avoir publié les caricatures de Mahomet [5]. Le mois de février commence donc par une chronique sur le procès des caricatures dans « Inoxydable » sur France Inter (02.02.2007). Le 4 février, il va sur Europe 1, dans l’émission « C’est arrivé demain » pour parler de son procès et de ses travaux philosophiques. Le 5 février, c’est l’équipe du « Grain à Moudre » qui l’invite sur France Culture sur le thème : « peut-on critiquer l’Islam ? ». Le 6 février, après s’être rendu au journal télévisé de France 2 à 13h, il arrive en retard dans l’émission « On refait le monde » sur RTL. Nicolas Poincarré (l’animateur) le gronde gentiment : « Philippe Val, on ne vous félicite pas. Juste ½ heure de retard ! » Afin de pouvoir être partout en même temps, Philippe Val a essayé de se cloner. Il n’y est pas arrivé, tant mieux pour nous. Le 7 février, nouvel éditorial dans Charlie Hebdo sur le procès des caricatures.
Le 8 février, après celle du Monde 2, une deuxième banderille lui est adressée par Le Figaro Littéraire. La critique est dure mais exquise. Extraits : « Il cite Nietzsche, Montaigne et Spinoza avec l’aplomb crâneur des néophytes et le tranchant dogmatique des imbéciles. (...) Cousu de truismes et d’évidences qui ne font guère trembler la vaisselle, son livre est pontifiant et soporifique. Heureusement que certaines bourdes le rendent parfois désopilant, ainsi lorsque notre Michel Onfray du minuscule confond Simone Veil, ministre de la Santé du gouvernement Barre, avec Simone Weil, auteur de La Condition ouvrière. À propos de la politique, des totems, des tabous, de la vie, de la mort, de la sexualité et du temps qu’il fait, on recueillera de plus précieuses leçons au comptoir du Café du Commerce. » Le 9 février, il va prêcher chez Pascale Clark sur Canal+ (« en aparté ») et sur France Inter. Ce jour-là, il avoue que pour lui « le soutien de Sarko, c’est pas gênant. (...) Je lui rends hommage de l’avoir fait. » Le Ministre de l’Intérieur a en effet apporté son soutien à Philippe Val et à Charlie Hebdo lors du procès des caricatures.
Le 10 février, Philippe Val met l’uniforme du critique cinéma dans « Ça balance à Paris » sur Paris Première. S’il a aimé le film « La Môme », il n’oublie pas de rappeler avec morgue et insultes combien il déteste le « populo » : « Quelque chose de très fort dans ce film : la stupidité du personnage. Elle est con , Piaf, elle est chiante . (...) On sait à quel point elle était emmerdante , tyrannique et y a cette gouaille qui est désagréable , en plus qui sonne bizarre à ces époques-là parce que les artistes à gouaille comme ça, qui étaient très populaires, elles sont devenues collabos pendant la guerre, en général. C’est la marque... [rires dans la salle] Non mais c’est vrai ! C’est Joséphine Baker à Londres et Mistinguett à Vichy. Et elle a un côté comme ça Piaf, désagréable , populo , machin. » Cette gouaille si désagréable à l’oreille de Val est celle du peuple. Ce peuple qu’il ne cesse de mépriser. Le film montre que Piaf était « populo », et qu’elle n’a jamais renié ses origines « populos ». Mais ça c’est « désagréable » pour Val : être « populo », ça sent la collaboration. Il le dit : « les artistes à gouaille comme ça, (...) elles sont devenues collabos pendant la guerre, en général. » La critique, oui ; la haine, non ?
Le 14 février, dans son traditionnel éditorial dans Charlie Hebdo, Philippe Val ne manque pas de remercier Sarkozy : « Nous acceptons ce soutien et nous nous en réjouissons, car il prouve que dans une démocratie la droite et la gauche s’affrontent sur la base de valeurs qui ne se discutent pas, et qu’elles partagent clairement. Merci donc à Nicolas Sarkozy, d’autant qu’il sait que nous ne le ménagerons pas pour autant. » Ouf !
Le même jour paraît en Suisse un entretien - sans haine... - dans Le Courrier. Pour lui, « la majorité des candidats de gauche - Buffet, Bové, Besancenot -, ne sont pas « européens », donc ils ne [l]’intéressent pas. » Courtoisie parfumée pour Sarkozy dans Charlie Hebdo et caricature nauséabonde contre ces candidats-là dans Le Courrier : « ils étaient pour le massacre des Kosovars , ils soutiennent les Palestiniens contre Israël et sont opposés à l’Europe . Je peux comprendre qu’on veuille être du côté du Bien contre le Mal, c’est une posture confortable. Mais on connaît la chanson. Le protectionnisme, ça ne marche pas. Cet électorat est honorable mais pas ses leaders, qui sont archaïques et démagos. Ils soutiennent Ahmadinejad : moi je préfère vivre à New York qu’à Téhéran. » A Acrimed, nous préférons vivre dans un monde démocratique où le mensonge éhonté, même au service de la polémique la plus rude, ne serait pas la vertu philosophique et journalistique par excellence. Nous préférons donc vivre loin de Philippe Val. Loin.
Loin, mais pas trop. L’éloignement nous aurait fait rater sa nième chronique sur France Inter, le 16 février, consacrée cette fois aux cendres d’Alexandre Dumas (il a un avis sur tout, vous dit-on), chronique dans laquelle il réduit l’Iran à Ahmadinejad, sans rappeler que celui-ci est fortement contesté dans son pays. Et l’éloignement nous aurait surtout fait rater son savoureux revirement sur Sarkozy, amplement traduit dans cet échange cocasse avec Franz-Olivier Giesbert sur France 5, le 18 février : br>
- Franz-Olivier Giesbert cite notre philosophe : Vous écriviez : « Sarkozy est un dictateur totalitaire en puissance » et vous ajoutez « et je pèse mes mots »... br>
- Val : Non... oui, c’est pour un truc précis qui m’a énervé. Je pense pas que ça soit un ... br>
- FOG : Mais la phrase, elle est là ! br>
- Val : Oui, oui en réalité, je pense qu’il est dangereux. C’est un démocrate, je lui fais crédit de ça. Je pense que potentiellement il peut amener quelque chose de catastrophique (...). br>
- FOG : Vous ne pensiez pas tout ce que vous aviez écrit ? br>
- Val : Non, mais des fois on exagère, on force le trait .
Entre temps, Nicolas Sarkozy avait apporté son soutien à Philippe Val. Pour bénéficier de son sens de la nuance, il faut apparemment commencer par lui complaire...
Dans « Le Fou du Roi » sur France Inter (21 février), Philippe Val revient sur ses propos concernant Sarkozy (évoqués ci-dessus) : « je l’ai écrit dans un contexte particulier où j’étais vraiment en colère... C’est vrai, c’est un peu osé... je ne pense pas en fait que ce soit un dictateur ou un anti-démocrate. » Puis il avoue que ses mots (écrits plusieurs mois auparavant dans le cadre d’une chronique, et relus avant publication du livre) ont dépassé sa pensée. Nul doute qu’il s’excusera aussi un jour d’avoir présenté l’observatoire des médias comme un repère d’admirateurs d’Hitler, Staline et Pol Pot [6] et suggéré, dans son dernier éditorial de Charlie hebdo (en date du 21 février 2007) que certaine critique des médias (sans autre précision...) la rendait semblable à l’antisémitisme. [7]
Fermons le ban. Philippe Val fait partie de ces éditorialistes (dont l’espèce n’est pas en voie d’extinction) que Pierre Bourdieu appelait des « fast-thinkers » : des penseurs qui pensent vite, partout et sur tous les sujets. Ces spécialistes de la « pensée jetable » (les Minc, Finkielkraut, Val et autres Steevy) sont des « bons clients », toujours de bonne composition dans les médias, et les médias le leur rendent bien. L’omniprésence de Val (même en dehors de ses périodes de promo) est ainsi significative. Il excelle en cabotinage, se conforte dans ses raisonnements étriqués et se spécialise dans la joute verbale, avec comme éternel leitmotiv : le peuple est con.
Mathias Reymond