Du savoir-faire
« Les amitiés du principal actionnaire de TF1 avec Nicolas Sarkozy que je respecte, ne me regardent pas. Elles ne jouent en rien sur l’information », a déclaré Robert Namias, directeur de l’information de la chaîne du groupe Bouygues sur RMC (le 19.02.2007). On est rassuré. On est d’autant plus rassuré que M. Ambiel, producteur de l’émission « J’ai une question à vous poser » sur TF1 et ancien directeur de communication de Jean-Pierre Raffarin à Matignon [1], est, selon M. Namias, « l’un des grands producteurs français, il a été conseiller de M. Raffarin pendant deux ans, [mais] ça ne m’intéresse pas. Il a surtout un savoir-faire et un métier. » On ne rit pas.
Des bisous
On ne rit pas non plus d’Arlette Chabot et de son sens assez jésuitique de l’indépendance. Elle était l’invité d’un forum du Nouvel Observateur le 21 février 2007 [2]. A la question « Faire la bise - comme cela vous est arrivé avec Sarkozy - à un candidat à la présidence à la fin d’une émission, pensez-vous que c’est une preuve d’indépendance ou ... de proximité ? », elle répond : « Ce n’était pas à Nicolas Sarkozy mais à Jean-François Copé. A la fin d’une émission un peu compliquée qui avait failli mal se terminer. C’était un geste de soutien qui évidemment a été mal interprété. Par ailleurs, malheureusement pour moi je fais ce métier depuis longtemps. Je connais des politiques depuis longtemps. Nous avons commencé chacun de notre côté à la même époque. Malheureusement pour moi, je suis une femme donc on embrasse plus facilement une femme qu’un homme. Ce qui compte, ce n’est pas "la bise" mais les questions que l’on pose. C’est là dessus que je souhaite être jugée et non sur les apparences. » On ne s’arrêtera donc pas aux apparences...
Des clichés
.... Mais on mentionnera cette récente séquence d’une émission où, très professionnelle, Chabot Arlette fait preuve d’un rare sens de la nuance. Ainsi que l’ont relevé (avec humour) Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts de Libération (le 22.02.2007) :« Dans "A vous de juger" (France 2), le candidat doit en passer par l’exposition de photos jaunies de lui enfant. On a ainsi appris, jeudi dernier, que José Bové a passé son enfance aux Etats-Unis, que Philippe de Villiers a un frère et que, quand ils étaient petits (avec des grandes oreilles), ils jouaient au foot. Le candidat est prié d’être ému, sinon c’est mal. Regardez Arlette Chabot, fumasse face à Marie-George Buffet : " On n’a pas trouvé de photos de Marie-George Buffet petite, jeune. Faut nous excuser mais on n’en a pas eu, c’est dommage. " Buffet : " Non, mais je pense que la vie privée, c’est la vie privée, l’engagement politique, c’est l’engagement politique, faut pas mélanger les deux. " Non mais c’est dingue, fulmine Chabot intérieurement. Et elle croyait qu’elle allait s’en tirer comme ça, la coco ? " Vous n’allez quand même pas tout à fait échapper aux photos, la première voilà, c’est la chute du mur de Berlin. " Carrément, le mur de Berlin (et encore, on sent bien que Chabot avait sous le coude un cliché de Staline avec un couteau entre les dents en train de manger des petits enfants), ça t’apprendra à me niquer mon moment d’émotion. »
Du corporatisme ?
« Des citoyens lambdas qui jouent aux interviewers » ! Le « concept » de l’émission « J’ai une question à vous poser » n’a pas plu à Hélène Jouan de France Inter (le 15.02.2007). Plus généralement, de nombreux journalistes politiques ont critiqué cette émission (sur laquelle Acrimed reviendra bientôt). Mais la mobilisation des journalistes politiques a parfois des accents corporatistes, ce corporatisme que les médias dénoncent si facilement chez les autres professions.
- Ainsi, pour la même Hélène Jouan : « un journaliste est censé connaître ses sujets, on attend de lui qu’il questionne, qu’il coupe, qu’il relance son interlocuteur, éventuellement qu’il rectifie ses propos. (...) Dans son désir de se dédouaner d’être élitiste, la télé décidément vire parfois un peu rapidement au populisme. »
- Même commentaire chez Corinne Audoin de la même station le lendemain : « Il y a le fantasme comme ça, qu’on pourrait se passer des journalistes, finalement. » (« Intertreize », le 16.02.2007)
- Même décryptage du fantasme chez Jean-Michel Aphatie (de RTL) qui écrit sur son blog, au sujet d’Olivier Besancenot : « Révolutionnaires ou pas, les hommes politiques ont le même fantasme : plus de journalistes, que des vrais gens. [3] »
- Sur France Culture, Christophe Ono-dit-biot du Point ironise, avec tout le mépris que sa fonction exige de lui : « On peut pas à la fois exiger plus de fond, plus d’analyses pour ce qui concerne les questions politiques et plébisciter des émissions comme " J’ai une question à vous poser " ou justement l’analyse est réduite à zéro. (...) Quand on supprime l’écran journalistique (...) ça plaît et quel est le niveau des débats ? C’est “est-ce que ma dent va être remboursée ?” »
Du journalisme politique
De quel journalisme politique ne peut-on pas se passer ? Journalisme politique ou journalisme politicien ? La question mérite, comme nous l’avons déjà fait [4], d’être posée à ses prétendus médiateurs qui exhibent si fièrement leur professionnalisme. L’émission « Arrêt sur images » du 17 février 2007 a donné un exemple assez instructif de ce sérieux professionnel. Le 12 février, sur le plateau de « J’ai une question à vous poser », Jean-Marie Le Pen invoque l’existence de 14 millions de travailleurs pauvres en France quand la fourchette haute des estimations est évaluée à 7 millions de Français. La journaliste Maja Neskovic de France 5 commente : « Alors, on se dit que s’il y avait eu un vrai journaliste sur le plateau de TF1 ce jour-là, il aurait certainement relevé cette énormité. Ben en fait, pas vraiment puisque la semaine précédente [le 08.02.2007], Jean-Marie Le Pen, il avait déjà sorti ce chiffre de 14 millions, c’était sur France 2, à quelques centimètres d’Arlette Chabot, journaliste, directrice de l’info de la chaîne de surcroît et qui n’a pas eu l’air de trouver ça bizarre. »
De la bipolarisation
Quelques chiffres pour faire « pro ». Le 17 septembre 2006, le « Grand Jury RTL-Le Monde-LCI » est devenu le « Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro ». Sur la période allant du 3 septembre 2006 au 18 février 2007, les invités de cette émission étaient distribués de la manière suivante : 10 PS, 7 UMP, 1 ministre (Thierry Breton) sans parti mais soutenant l’UMP, 1 UDF, 1 PC, 1 FN, 1 Vert et un 1 défenseur sans faille du marché (Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne). Plus de 78% des invités appartenaient donc aux deux grands partis (UMP, PS). Sur le « service public », l’émission « Chez FOG » de France 5 a démarré en septembre 2006. De la première au 18 février 2007, les invitations se répartissent ainsi : 6 PS, 1 MRC, 7 UMP (dont 2 fois Sarkozy), 1 ministre (Thierry Breton) sans parti soutenant l’UMP, 3 UDF (dont 2 fois Bayrou) et 1 proche (Raymond Barre), 1 FN et 1 Vert. Soit plus de 66% des invités PS, UMP ou proche de l’UMP.
De la publicité politique à peine clandestine
Cette bipolarisation du traitement médiatique de la campagne 2007 n’est pas une nouveauté. La récente démarche relatée par l’AFP (le 05.02.2007) est plus inédite : « L’institut Montaigne, cercle de réflexion réunissant universitaires et grands patrons, va proposer des "idées de réforme utiles" dans un programme télévisé court qui sera diffusé sur TF1 à 19h50 du 5 février au 9 mars (...). Le programme, "inspiré des travaux de l’institut Montaigne", est d’une durée d’environ une minute et s’intitule "Des idées pour demain". ». Un « cercle de réflexion » ou un « think tank » ultralibéral [5] ? « Des idées pour demain » ou le programme du patronat expliqué aux « cerveaux disponibles » ? On en saura sans doute plus en regardant la série. Mais on peut d’ores et déjà s’étonner : cette programmation ne doit-elle pas être considérée comme de la publicité politique, interdite, jusqu’à nouvel ordre, à la télévision [6] ? « L’institut Montaigne n’est pas un organe de l’UMP. Il propose des choses de droite, de gauche, ou ni l’un ni l’autre », rétorque le producteur du programme dans Le Monde (le 09.02.2007). Indépendant de l’UMP ? Peut-être... Mais pas des orientations libérales, voire ultralibérales comme on peut le voir par exemple s’agissant des « choses » proposées sur la question des médias : des « choses » que nous l’avons analysées ici même. Mais l’Institut dépend pour son financement de grandes entreprises, comme Axa. Quant à sa campagne de publicité, elle est financée, par le cabinet d’audit KPMG qui, titre Le Monde, « offre à l’Institut Montaigne une vitrine sur TF1 » [7]. Et Le Monde de préciser : « depuis plusieurs années, le patron du "think tank" [Philippe Manière] rédige lettres et fiches sur tous les sujets possibles de politiques publiques, qu’il envoie aux ministres concernés, à leurs conseillers, aux élus et, plus généralement, à tous ceux qui sont amenés à participer à leur élaboration. » Un lobby quelque peu patronal, en somme... Apolitique ?