C’est avec une profonde stupeur et une immense déception que nous, membres de la Convergence des médias du Tiers Secteur *, avons pris connaissance de la partie concernant les médias, contenue dans la liste des « Cent propositions du pacte présidentiel » présentée par Ségolène Royal, lors de son meeting de Villepinte, le 11 février dernier.
Madame Royal prône la démocratie participative, mais ne l’inscrit pas dans ses propositions en matière de médias. Le soutien et le développement des médias non marchands, la participation de représentants des usagers, des syndicats et des médias associatifs aux instances de l’audiovisuel, sont passés à la trappe. C’est pourtant avec des réformes significatives dans ces domaines que l’on peut garantir la liberté d’expression, le pluralisme et la démocratie.
Analyse des trois propositions, numérotées 79, 80 et 81
1 - A propos du titre. br>
« Protéger le pluralisme des médias » br >
D’une part, on ne peut protéger que ce qui existe déjà. Or, le pluralisme n’existe pas, puisque les secteurs public et marchand des médias sont entièrement dans les mains de la droite et des puissances d’argent. Il faut donc le promouvoir, le développer, voire lui permettre simplement d’exister. D’autre part, réduire, dans ce titre, la question des médias, qui touche à la culture, à la démocratie, à la diversité de notre société, à l’éducation, à l’information et à beaucoup d’autres thématiques encore, au seul paramètre du pluralisme, semble nous indiquer que la candidate socialiste n’est intéressée que par sa propre liberté d’expression. Et c’est un peu léger.
2 - Proposition n° 79. br>
« Etablir une Haute autorité du pluralisme dont les membres seront désignés par le Parlement à une majorité des 3/5èmes. » br>
Les instances successives de régulation de l’audiovisuel, Haute Autorité, Commission nationale de la communication et des libertés (Cncl) et Conseil supérieur de l’audiovisuel (Csa) ont démontré la faillite des conditions de nomination de leurs membres, conduisant aujourd’hui à l’hégémonie de la droite dans cette instance. Aucune réflexion sérieuse n’est proposée par la candidate socialiste sur le rôle, les missions, les conditions de fonctionnement des médias, la diversité des opérateurs. Aucune proposition de loi n’est faite, qui permette aux médias de jouer un rôle dynamique dans la qualité de l’exercice de la démocratie. On se contente de proposer de revenir à une Haute autorité, choisie par les politiciens en place, sans représentations de la diversité des acteurs des médias : usagers, professionnels, syndicats et médias du tiers secteur. Cette instance sera, de plus, essentiellement modifiée par un léger supplément de pluralisme, c’est-à-dire, le partage de la parole entre ces mêmes politiciens sur les mêmes médias dominants. Tout ceci est affligeant !
3 -Proposition n° 80. br>
« Renforcer les mesures anti-concentration. »
On se contente ici de proposer de « renforcer » les mesures anticoncentration. Comme s’il existait déjà des mesures anticoncentration efficaces et une dynamique en ce sens ! Ce qui domine actuellement, c’est bien la concentration. Il faudrait donc prendre des mesures rigoureuses pour la bloquer et créer une nouvelle dynamique, entre autres en renforçant considérablement les moyens du Tiers Secteur des médias, pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle d’alternative à la communication marchande. Les Etats généraux des médias pour le pluralisme et ses composantes : Acrimed, l’Observatoire français des médias, les syndicats de journalistes, les organisations d’usagers des médias, la Convergence des médias du Tiers Secteur ont fait des propositions dans ce sens et les ont soumises aux partis politiques, et donc, bien évidemment, au parti socialiste. Qu’en a fait-il fait ? Qu’en a fait Madame Royal ?
4 - Proposition n° 81. br>
« Taxer les recettes publicitaires des chaînes privées en faveur de l’audiovisuel public. » br>
Nous avons besoin d’un service public de l’audiovisuel fort et détaché des impératifs économiques du financement par la publicité. Taxer les recettes publicitaires des médias commerciaux pourrait être l’un des leviers possibles pour lui donner plus de moyens. Mais à condition que ce soit clair et que cela ne se fasse pas au détriment des médias du Tiers Secteur. Il existe déjà une taxe sur les recettes publicitaires, c’est celle qui alimente le Fonds de soutien à l’expression radiophonique, constituant l’appui majeur au financement des radios associatives. Or, dans ce document, il n’y a pas un mot sur le Tiers Secteur des médias, pas une ligne sur le Fonds de soutien, tant aux radios qu’aux télévisions, mais Ségolène Royal sort de sa boîte à surprises une nouvelle taxe qui serait destinée à soutenir l’audiovisuel public, sans dire s’il aurait encore accès à la publicité et sans préciser ce que deviendrait la redevance actuelle. Rappelons qu’en 2002, Lionel Jospin avait inscrit dans son programme l’élargissement du Fonds de soutien aux télévisions associatives. Quel recul !
5 - Autres remarques. br>
Non seulement ce document ne dit rien sur le Tiers Secteur des médias, mais il n’aborde pas non plus la question de l’Internet et des nouvelles technologies de la communication, Ségolène Royal est même, dans ce domaine, en retrait sur ce que propose la droite. Ce document n’évoque pas non plus la presse écrite, ni l’injustice de traitement dans les aides de l’Etat entre les journaux du Tiers Secteur et les autres.
Notre étonnement est d’autant plus grand que la veille même de ce discours, lors duquel Ségolène Royal a présenté ses « cent propositions », les Etats généraux des médias pour le pluralisme avaient organisé, le samedi 10 février 2007, au Sénat, une audition des formations politiques et des candidats à l’élection présidentielle (ou de leurs représentants), ouverte à la presse [1]
Lors de cette audition, tous les invités (dont le délégué national chargé des médias au Parti socialiste) sont tombés d’accord pour considérer que le soutien aux médias associatifs devait être une des priorités.
A la lecture de ces propositions, nous ressentons un grand désarroi : Ségolène Royal a-t-elle décidé de poursuivre la logique libérale, commerciale, antidémocratique des médias actuels, qu’elle a pourtant dénoncée à plusieurs reprises ? La décision est-elle prise de ne pas faire bouger les lignes et d’abandonner les médias du Tiers Secteur ? Autre hypothèse : ce programme a-t-il été victime des conditions de son élaboration, laissant cette question ouverte pour permettre que soient soumises de véritables propositions qui tiennent compte des aspirations à la démocratie, à la diversité culturelle, à une information honnête et pluraliste portées notamment par toutes celles et tous ceux qui se sont reconnus dans les Etats généraux des médias pour le pluralisme ?
On attend avec impatience la réponse du Parti socialiste et surtout de sa candidate à l’élection présidentielle.
Convergence des médias du Tiers Secteur (Cmts), le 21 février 2007.
* On appelle « médias du tiers secteur » les radios, les télévisions, les organes de presse écrite, les sites internet, qui ne font partie ni du secteur public ni du secteur marchand. Généralement sous forme associative, ils sont indépendants des puissances financières, des institutions de l’Etat et des obédiences confessionnelles. (Pour plus de précisions sur cette définition, lire l’Appel de Marseille, ci-joint [2] )
Paris, le 7 mars 2007
Je viens de prendre connaissance avec grand intérêt de la lettre ouverte que vous m’avez adressée.
Comme vous l’indiquez vous-même, après avoir noté le caractère nécessairement synthétique des propositions du Pacte présidentiel que je propose en matière audiovisuelle, le débat reste ouvert sur « de véritables propositions qui tiennent compte des aspirations à la démocratie, à la diversité culturelle, à une information honnête et pluraliste portées notamment » par les médias du tiers secteur. Je sais combien ces aspirations sont menacées par la mondialisation et la financiarisation qui ont conduit à une concentration croissante : dans la musique (deux groupes contrôlent plus de la moitié du marché mondial de la musique et des droits des artistes), dans l’audiovisuel (les 15 premiers groupes mondiaux contrôlent 60% du marché mondial des programmes), dans le cinéma (les studios américains contrôlent 70% du marché européen) ou encore dans la presse et l’édition (dominée par trois groupes : l’allemand Bertelsmann, le français Lagardère/Hachette et le britannique Reed Elsevier). br>
Je sais aussi combien la concentration des médias s’est récemment accélérée en France, accentuée par la politique de la majorité actuelle. br>
Je tiens donc à vous rassurer sur mon intention de rompre avec cette politique libérale et de porter un véritable projet républicain pour l’audiovisuel et les médias. br>
Le détail de ce projet donnera évidemment lieu à débat avec vous-mêmes, mais aussi avec des représentants des téléspectateurs, les professionnels du secteur et, bien évidemment, au Parlement. br>
Mais sans attendre qu’il ait eu lieu et pour répondre à certaines de vos craintes, je souhaite vous faire part des trois grandes orientations que je tiendrai à faire valoir.
La première orientation vise à favoriser un audiovisuel public fort pour une télévision et une radio de qualité.
Le libéralisme a inspiré la politique audiovisuelle de la droite qui a laissé s’appauvrir le service public en limitant toujours plus ses moyens, et a multiplié les faveurs aux groupes privés. Notre service public est aujourd’hui de plus en plus soumis à une logique commerciale. br>
Pour moi, l’objectif d’un audiovisuel public fort et de qualité doit se traduire par une télévision et une radio au service du public, qui puisse enfin se différencier des chaînes commerciales, approfondir son identité en termes de qualité et d’originalité de programmes. Pour réaliser cette ambition, il faudra permettre un rééquilibrage du financement afin de limiter la course aux recettes publicitaires qui annihile toute velléité de résistance à la banalisation. C’est pourquoi le pacte présidentiel comporte l’idée d’une taxation des recettes publicitaires des chaînes privées (proposition 81), qui viendra bien compenser la réduction de la publicité sur les chaînes publiques. Un nouveau mode de taxation sur les recettes publicitaires des chaînes privées ainsi que des nouveaux médias fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs de télécommunications doit donc être institué. Ainsi le service public des médias (chaînes publiques et tiers secteur) pourra bénéficier de ressources nouvelles sans alourdir pour autant le montant global des prélèvements obligatoires. br>
Un audiovisuel public fort suppose aussi une nouvelle gouvernance : le choix des dirigeants soumis au Parlement, la consultation systématique de représentants du public pour les choix essentiels, leur représentation dans les conseils d’administration, et enfin la création d’un observatoire indépendant pour promouvoir une culture civique de l’audiovisuel et fournir des instruments d’évaluation de l’activité des chaînes publiques de télévision et de radio.
Ma deuxième priorité pour les médias sera de garantir enfin vraiment le pluralisme et la diversité br>
On ne peut continuer à laisser quelques grands groupes s’emparer progressivement de tous les médias : à cet effet, il faudra qu’une nouvelle loi rende pertinents les seuils de concentration autorisés par les dispositions françaises (proposition 80) et lutter pour leur abaissement conjoint et unifié dans l’ensemble des pays européens. Je m’engage aussi à établir une Haute autorité du pluralisme dont les membres seront désignés par le Parlement à une majorité des 3/5èmes. Cette institution remplacera le CSA qui ne remplit pas son rôle et verra ses pouvoirs de contrôle et de sanction renforcés. Je souhaiterais aussi que le CSA ait l’obligation de consulter les téléspectateurs-citoyens au travers de la constitution de panels consultatifs qui rendraient des avis plusieurs fois dans l’année, sur le modèle du régulateur britannique ou d’un colloque annuel « Les états généraux du CSA » qui confronterait associations (parents, handicapés, minorités) et représentants des opérateurs (journalistes, producteurs...). J’accueillerai avec intérêt vos propositions en ce domaine. br>
Mais il ne s’agit pas seulement de contenir la concentration et la financiarisation, il faut aussi favoriser le développement rapide que vous appelez de vos vœux, celui des médias associatifs et coopératifs, notamment à l’échelon local et régional. A cet effet, la création d’un fonds analogue à celui qui existe pour la radio me parait judicieuse. Il faut enfin permettre un renforcement des droits des journalistes et des salariés dans toutes les entreprises médiatiques, qu’elles soient associatives, publiques ou privées.
Troisième orientation, il faudra soutenir vigoureusement la production indépendante dans l’audiovisuel, le cinéma, la musique, par le biais d’incitation réglementaire, fiscale ou financière.
En effet, les conditions de financement de la production et de la diffusion des œuvres ne permettent pas aujourd’hui aux nouveaux talents d’émerger ni aux créations exigeantes d’être reconnues et appréciées du public. Je souhaite, entre autres, que l’on puisse encourager plus fortement qu’aujourd’hui les initiatives locales et régionales ainsi que toutes les formes de création innovantes qui se développent avec les évolutions technologiques et les nouveaux supports mobiles. Les radios et les télévisions de proximité doivent être en particulier soutenues (fonds d’incitation pour les TV, réservation de fréquences...).
Je vous prie de recevoir, Mesdames, Messieurs, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Ségolène Royal