Equitables ?
« Un niveau conforme au principe d’équité ». C’est l’appréciation portée par le CSA dans son communiqué du 16 mars 2007 sur les « temps d’antenne et de parole des candidats déclarés ou présumés et de leurs soutiens sur TF1, France 2, France 3 (édition nationale), Canal+ (programmes en clair) et M6 (édition nationale), du 1er décembre 2006 au 9 mars 2007. » Le Conseil a salué « les efforts des chaînes » dans la mesure où « les deux candidats bénéficiant des temps de parole les plus élevés totalisent moins de la moitié du temps consacré à l’actualité électorale, soit en moyenne, sur les cinq chaînes, environ 41 % du temps de parole et 48 % du temps d’antenne. » La « bipolarisation excessive » que déplorait le CSA le 5 janvier 2007 aurait été surmontée. Ce serait oublier un peu vite que celle-ci a duré plus d’un an, alors que « l’équité » n’est applicable que pendant un trimestre environ. Ce serait négliger que la notion d’ « équité » comme l’ensemble des règles édictées par le CSA pour la campagne sont pour le moins discutables et approximatives [1]. En particulier, si l’on s’en tient aux termes du CSA lui-même, la notion d’équité s’apprécie à partir de la représentativité des candidats qui « peut être évaluée en prenant en compte en particulier les résultats que le candidat ou la formation politique qui le soutient ont obtenu aux plus récentes élections, notamment à l’élection présidentielle de 2002. [2] » Les élections et non les sondages d’opinion. Pour mémoire, le 21 avril 2002, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient totalisé 36,06% des suffrages exprimés (et 25,04% des inscrits...). De 36,06% à 48% du temps d’antenne, un « niveau conforme » ? A posteriori, une fois l’élection passée, peut-être... Mais surtout, cette comptabilité très modérément équitable ne tient aucun compte des conditions qualitatives d’expression des candidats...
Innocents ?
Dans Le Parisien du 20 mars 2007, on lit la « brève » suivante : « La Commission des sondages nous fait savoir : "Lors de ses séances des 16 et 19 mars 2007, la commission des sondages a examiné deux sondages relatifs à l’élection présidentielle, réalisés par l’institut CSA, et publiés dans les éditions du Parisien-Aujourd’hui en France des 8 et 15 mars derniers. Eu égard à certaines modalités de redressement appliquées aux résultats bruts de ces enquêtes, la commission, sans pour autant mettre en cause l’intégrité professionnelle de l’institut, exprime des réserves sur le caractère significatif des intentions de vote publiées dans ces deux sondages." » Le journal ne se prononce pas quant à cette admonestation et se réfugie derrière la réponse du sondeur : « L’institut CSA, en toute indépendance, maintient intégralement ses évaluations. » Une réponse satisfaisante ?
Le 22 mars, édition spéciale du « Sept-neuf trente » de France Inter consacrée aux sondages. Stéphane Rozès de l’institut CSA est l’invité de Nicolas Demorand. Va-t-on en savoir un peu plus ? Pas vraiment... Lors de l’interview, le journaliste pose sept questions au sondeur, sept questions sur la précision et la scientificité des enquêtes d’opinion. Loïc Blondiaux, universitaire en sciences politiques, et Gérard Courtois (du Monde) participent à la discussion qui suit avec les auditeurs.
Or, pendant toute la durée de cette « spéciale », la question de l’usage des sondages par les médias n’est évoquée qu’une seule fois par Loïc Blondiaux qui explique en fin d’émission : « L’impact de cette publication d’un François Bayrou devant Sarkozy ou Royal au second tour, il est surtout sur les journalistes. On ne sait absolument pas quel impact ce type d’information, on ne peut pas le savoir, a sur les électeurs, mais sur les journalistes, c’est tout à fait clair. La manière dont la candidature de François Bayrou a été traitée par les médias avant et après cette information capitale a radicalement changé. Bayrou était considéré comme avec beaucoup de condescendance par l’ensemble des acteurs politiques et puis après il est devenu un candidat sérieux à partir de ce moment-là. »
Cette intervention d’un invité mise à part, l’émission évacue le problème de la saturation de l’espace médiatique par les résultats d’enquêtes d’opinion. Comme Le Monde et Libération précédemment [3], quand France Inter « débat » des sondages, les médias (et France Inter en particulier) sont hors de cause...
Insolents ?
« Personne n’est là pour m’accueillir. Toute cette direction [celle de France 3], il faut la virer. Je ne peux pas le faire maintenant. Mais ils ne perdent rien pour attendre. Ca ne va pas tarder. » Contraint d’attendre qu’une loge se libère pour se faire maquiller avant l’émission « France Europe Express » du 18 mars 2007, Nicolas Sarkozy s’est énervé contre les dirigeants de la chaîne publique, coupables de surcroît de ne pas l’avoir accueilli à son arrivée... D’après Le Canard enchaîné du 21 mars 2007 qui raconte l’incident, excédé par l’attente, « le candidat UMP fait un signe en direction de son conseiller en communication Franck Louvrier et des policiers. "Franck, on s’en va !" Et il fait mine de rebrousser chemin. Panique des deux journalistes qui préviennent Christine Ockrent déjà sur le plateau. "Il faut que tu viennes, Sarkozy est en train de partir." Ockrent : "Mais non, il fait sa diva." »
C’est à ce moment-là que Nicolas Sarkozy menace la direction de France 3. Finalement, « Ockrent [...] emmène l’excité se faire poudrer dans un local de France 2" » où il mange « les petits - fours destinés à Marie - George Buffet, attendue pour une autre émission » : ce qui lui permet de retrouver sa sérénité. Nicolas Sarkozy avait déjà eu l’occasion d’expliciter sa conception de l’indépendance éditoriale en appelant son ami Edouard de Rothschild pour se plaindre de Libération, « journal de merde » [4]. L’incident rapporté par Le Canard enchaîné amène à se demander avec la CGT de France 3 s’il « se croit revenu aux temps peu glorieux de l’ORTF où un simple coup de fil des ministères suffisait à virer des journalistes [5] ». Le communiqué de la Société des journalistes de France 3 précise : « Les Français sont désormais prévenus ! L’une des priorités de Nicolas Sarkozy s’il est élu président de la République sera de couper des têtes à France 3. A la trappe ces directeurs qui tardent à exécuter les courbettes. Le Ministre-candidat avait déjà habitué notre rédaction à ses poses agacées, à ses humeurs dans nos locaux, face à une rédaction qui ne lui semble manifestement pas suffisamment docile. Comme cette récente provocation gratuite à l’adresse d’un journaliste du service politique « ça ne doit pas être facile de me suivre quand on est journaliste de gauche ! ». Désormais, c’est à la direction qu’il veut s’en prendre ? La Société des Journalistes de la Rédaction Nationale de France 3 ne peut qu’être scandalisée par une telle attitude de la part d’un candidat à la plus haute magistrature de France. Nous nous inquiétons que M. Sarkozy puisse afficher sans aucune gêne un tel mépris pour l’indépendance des chaînes de service public. » [6]
Indépendants ?
Toujours dans Le Canard enchaîné daté du 21 mars 2007, on peut lire, à propos de la venue du même Sarkozy au « 20 heures » de France 2 : « C’est Arlette Chabot qui, le matin, lors de la conférence de préparation du 20 heures, a annoncé à Pujadas la venue de Sarko. Elle lui a gentiment glissé à cette occasion : "Ce sera cinq minutes minimum, mais pas la peine de lui poser des questions sur la polémique autour de l’arrestation de Battisti, il a déjà répondu". Pujadas en a posé quand même, ce qui a passablement irrité le ministre-candidat. » On se doute que la très indépendante et très professionnelle Arlette Chabot a dû être irritée elle aussi [7]...
Familiers ?
Le mardi 20 mars 2007, dans « Le téléphone sonne » sur France Inter, le journaliste Alain Bedouet commente un sondage. Il explique : « Pour l’instant, Nicolas, au premier tour... » Puis il se reprend : « Nicolas Sarkozy arriverait en tête avec 28% des voix. » Ce n’est pas le premier « Nicolas » de la campagne et ce ne sera sans doute pas le dernier [8]. Cette familiarité ne vaut pas nécessairement soutien à Sarkozy, mais elle surprend toujours.
Incisifs ?
Prenons un peu de hauteur et convenons-en : l’interview politique est un art. Il a ses grands maîtres comme Jean-Pierre Elkabbach. Il a ses petits maîtres comme Jean-Jacques Bourdin qui officie sur RMC et s’est spécialisé dans les questions sur le nombre de sous-marins... que lui-même ignore [9]. Ses récentes aventures (et mésaventures) sous-marines « ont valu au journaliste un ‘‘buzz’’ médiatique certain » comme l’écrit Le Monde Radio-Télé daté du 25 mars 2007. Dans l’article du supplément, Bourdin fanfaronne : « Je tiens aux questions fermées. Sinon, les politiques ne sont pas précis. » La précision ? L’arroseur arrosé pourrait faire preuve de plus d’humilité... Et si, avec les questions fermées de Bourdin, les auditeurs de RMC gagnent (peut-être) en précision, mais sur quoi et à quel prix ?
Professionnels ?
De nombreux journalistes politiques ont critiqué les émissions de panel, vent debout pour défendre leur professionnalisme remis en cause [10]. Pourtant, quand Ségolène Royal invitée de « France Europe Express » sur France 3 le 17 mars 2007 affirme « Nous avons le taux de chômage des jeunes le plus élevé d’Europe. », silence des grands journalistes que sont Jean-Michel Blier, Serge July et Christine Ockrent alors que cette affirmation vague et ici non chiffrée est plus que discutable (lire par exemple « Chômage des jeunes : des médias qui font mentir les chiffres... »).
Européens ?
Le regard des confrères étrangers sur la campagne est un sujet d’intérêt pour les médias français... Ainsi, le 22 mars 2007, Le Monde publie un article intitulé « Les médias européens passionnés par la campagne » consistant à recueillir les avis de différents correspondants en France. Les « médias européens » pour le « journal de référence », ce sont : la RTBF belge, la Télévision suisse romande, le Times, The Economist, El Pais, la Frankfurter Allgemeine Zeitung et Panorama (hebdomadaire italien). Un échantillon pas tout à fait représentatif de la diversité du continent (seulement 6 pays...) et surtout de la diversité éditoriale. Les deux titres anglais cités sont, par exemple, tous deux très marqués à droite [11] . Ce pluralisme minimal a pour conséquence une litanie de commentaires semblables à celle des éditorialistes français : la France « ne peut pas continuer à se payer un modèle social qui ne crée que du chômage » (Sophie Pedder, The Economist) ; « On peut craindre que le phénomène Royal ne cache le retour de la vieille garde socialiste, avec un ravalement de façade » (pour le correspondant du Times) ; « Vu d’Allemagne, Ségolène Royal reste dans la tradition d’un socialisme archaïque, étatiste et keynésien. Les comparaisons avec Merkel tournent à l’avantage de la chancelière. Celle-ci n’a jamais commis de gaffe en politique étrangère, un domaine dans lequel elle était pourtant inexpérimentée. » (pour Michaela Wiegel de la Frankfurter Allgemeine Zeitung). On peut aussi relever que Le Monde cite Alberto Toscano (pour Panorama). Celui-ci fait partie des quelques journalistes étrangers omniprésents dans les médias français où ils occupent le créneau comme d’autres accaparent le titre d’intellectuels sur les plateaux. Toscano était ainsi l’invité de « La campagne vue de l’étranger » sur Public Sénat le 15 janvier comme son compère américain Ted Stanger. Tous deux sont régulièrement les invités de « On refait le monde », l’émission de bavardages de RTL ainsi que la journaliste russe Ioulia Kapoustina. Celle-ci est chroniqueuse pour « Arrêt sur images » sur France 5. Elle a récemment participé à l’émission « Un œil sur la France » sur France 2 (le 26 février 2007) dans laquelle cinq journalistes étrangers se penchaient sur l’hexagone à l’occasion de la campagne. Parmi les cinq journalistes figurait également Ted Stanger...