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Réponses de Ségolène Royal aux questions des Etats généraux pour le pluralisme.

Le samedi 10 février 2007 entre 13 et 18 heures, les Etats Généraux pour le Pluralisme ont organisé au Palais du Luxembourg, une audition, ouverte à la presse, des formations politiques et des candidats à l’élection présidentielle (ou de leurs représentants) sur la question des médias. Leurs réponses orales au questionnaire qui leur a été soumis ont été complétées par des réponses écrites. Nous publions ici celles de Ségolène Royal.

Paris, le 21 mars 2007

Vous avez bien voulu me faire part des interrogations exprimées par les représentants des Etats généraux des médias et je vous en remercie. Je partage vos préoccupations en faveur d’une information honnête et pluraliste et je sais combien ces aspirations sont menacées par la mondialisation et la financiarisation qui ont conduit à une concentration croissante dans l’audiovisuel ou dans la presse. Je tiens donc à vous rassurer sur mon intention de porter un véritable projet républicain pour les médias.

Ma première priorité pour les médias sera de garantir enfin vraiment le pluralisme et la diversité.

Ceci passe d’abord par la limitation des concentrations.

A l’évidence, la majorité actuelle poursuit depuis 2002 une politique qui renforce la concentration au seul profit des grands groupes. A cela s’ajoute le fait que le dispositif anti-concentration actuel, qui date pour l’essentiel de 1986, n’a pas su anticiper les problèmes posés en matière de diversité et de pluralisme par l’évolution du secteur des médias.

On ne peut continuer à laisser quelques grands groupes s’emparer progressivement de tous les médias. Mon objectif sera donc, si je suis élue, de mettre enfin en place un dispositif de contrôle pluri media en mesure d’assurer la diversité des contenus et un pluralisme réel, notamment de l’information, sans interdire le développement de groupes français multimédias puissants, capables de faire face à la concurrence internationale.
A cet effet, il faudra qu’une nouvelle loi instaure un dispositif anti-concentration plus efficace, qui consistera notamment à définir la part de capital pouvant être détenue dans les médias par un groupe industriel dont l’activité provient pour partie de commandes publiques, et à instituer les plafonds pertinents de part d’audience ou de recettes publicitaires dégagées par un même groupe présent dans le secteur.

Je m’engage en même temps à établir une Haute autorité du pluralisme dont les membres seront désignés par le Parlement à une majorité des 3/5èmes. Cette institution remplacera le CSA qui ne remplit pas son rôle et verra ses pouvoirs de contrôle et de sanction renforcés. Je souhaiterais aussi que le CSA ait l’obligation de consulter les téléspectateurs citoyens au travers de la constitution de panels consultatifs qui rendraient des avis plusieurs fois dans l’année, sur le modèle du régulateur britannique, ou d’un colloque annuel "Les états généraux du CSA" qui confronterait associations (parents, handicapés, minorités) et représentants des opérateurs (journalistes, producteurs...).

Afin de rétablir un certain équilibre dans l’accès aux programmes, je compte enfin mettre en place une réglementation favorisant la circulation des œuvres, notamment en interdisant le gel des droits par les opérateurs ayant utilisé leurs possibilités de diffusion.

La presse écrite contribue également de manière essentielle à l’information des citoyens et à la diffusion des courants de pensées et d’opinions. Elle est aujourd’hui dans une position difficile. Je ferai en sorte que la presse écrite puisse trouver un environnement favorable à son renouveau en envisageant une réforme des financements publics, avec notamment une indexation des aides sur de nouveaux critères (importance du rédactionnel, nombre de journalistes, place réservée aux questions politiques, culturelles, sociales, économiques, internationales, développement numérique) et un volet fiscal visant à réduire le prix au numéro et à l’abonnement.

La création d’un statut des entreprises de presse, s’apparentant à celui des fondations, devra également être envisagée, afin de garantir aux titres qui le souhaitent une indépendance économique et donc éditoriale. Un nouveau mécanisme de déduction fiscale incitant les particuliers à rejoindre les sociétés de lecteurs pourrait également répondre au problème des fonds propres des entreprises de presse.

Puisque j’évoque la presse, vous m’avez interrogée sur les dispositions que j’envisagerais pour les structures (entreprises, sociétés coopératives ou associations) qui éditent des sites Internet d’information et qui n’ont pas d’édition papier. J’ai déjà eu l’occasion de me prononcer en faveur du développement de l’économie numérique. Dès lors, oui, je considère qu’il serait judicieux que ces structures puissent bénéficier, si elles le souhaitent, du statut d’entreprise de presse, recruter et former des journalistes professionnels.

En vue d’assurer le pluralisme et l’indépendance de l’information, il faudra d’ailleurs aussi permettre un renforcement des droits des journalistes et des salariés dans toutes les entreprises médiatiques, qu’elles soient associatives, publiques ou privées, ce qui passe notamment par :
- la reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle dans toute entreprise de presse,
- la protection des sources des journalistes,
- la résorption des emplois précaires et l’application de toutes les dispositions légales et conventionnelles protégeant les pigistes.

L’objectif que je défends, d’un audiovisuel public fort et de qualité, doit se traduire par une télévision au service du public qui puisse enfin se différencier des chaînes commerciales, approfondir son identité en termes de qualité et d’originalité de programmes, oser réellement la création, investir dans des programmes patrimoniaux à l’instar de ce que fait la BBC en matière de fiction et de documentaire. Pour réaliser cette ambition, il faudra sans doute limiter la course aux recettes publicitaires qui annihile toute velléité de prise de risque.

Mais pour résister à la concurrence des opérateurs privés, le service public doit également être en capacité d’innover pour s’adapter aux évolutions des usages : proposer la haute définition, décliner son offre sur les nouveaux supports mobiles, proposer de la vidéo à la demande, bref être à la pointe du développement numérique, dans une optique pluri médias.

Ceci conduit à poser la question des moyens de l’audiovisuel public, et de ses modes de financement, qui n’ont pas évolué depuis sa création, il y a un demi-siècle, alors qu’il n’existait qu’une seule chaîne de télévision publique ! Il faut reconnaître que la redevance française est la moins élevée d’Europe, juste après l’Italie. Et je sais que le sous financement de l’audiovisuel italien a participé de la stratégie de Berlusconi pour bâtir son empire aux dépens de la RAI. Est-ce vraiment cela que nous voulons pour notre pays ?

Si je suis élue, je lancerai un débat, en y associant les Français puisque la quasi-totalité possède la télévision et la radio dans leur foyer, sur la nécessaire évolution du financement du service public, débat qui devra permettre de savoir où placer le curseur sur trois points indissociables : la redevance, la publicité sur les chaînes publiques, la taxation corrélative des recettes publicitaires des chaînes privées.

Un audiovisuel public fort suppose aussi une nouvelle gouvernance, à savoir le choix des dirigeants soumis au Parlement, la consultation systématique de représentants du public pour les choix essentiels, leur représentation dans les conseils d’administration, et enfin la création d’un observatoire indépendant pour promouvoir une culture civique de l’audiovisuel et fournir des instruments d’évaluation de l’activité des chaînes publiques de télévision et de radio.

Garantir le pluralisme et la diversité dans les médias n’exige pas seulement de contenir la concentration et la financiarisation, il faut aussi favoriser le développement rapide des médias locaux, associatifs et coopératifs, notamment à l’échelon local et régional. A cet effet, la création d’un fonds analogue à celui qui existe pour la radio, un système de réservation de fréquences et l’instauration d’obligations de « must carry » pour les distributeurs devront être envisagés.

De même, nous avons vu ces derniers mois, avec des plates-formes telles YouTube ou DailyMotion, les prémices de la télévision du futur : des millions d’individus produisent, avec des moyens réduits, mais parfois avec beaucoup de talent, des courts métrages qu’ils diffusent ensuite à moindre coût en ligne sur ce type de plateforme. Il faut encourager ces nouvelles formes de télévision horizontales, ainsi que toutes les formes de création innovantes qui se développent avec les évolutions technologiques et les nouveaux supports mobiles.

La loi DADVSI adoptée récemment n’a pas trouvé le bon équilibre entre les droits des créateurs et les préoccupations des internautes et je souhaite ouvrir un nouveau chantier de loi qui prendra particulièrement en compte les mutations technologiques en cours ainsi que l’expérimentation de nouveaux modèles économiques qui se développent. Sur ce sujet, je souhaite parvenir à un pacte juste entre consommateurs, artistes et auteurs, ce qui suppose d’aménager une pluralité de modes de financement et de rémunération pour la création.

Enfin je partage pleinement votre souhait de voir favorisé le développement des logiciels libres. A cet effet, les acteurs publics seront incités à utiliser les systèmes et logiciels gratuits : Linux plutôt que Windows. Ils pourront également acheter à leurs auteurs des logiciels particulièrement intéressants et les diffuser gratuitement. Je proposerai d’organiser régulièrement des concours de logiciels et d’en récompenser les auteurs, élèves, étudiants, ou simples particuliers.

Garantir le pluralisme et la diversité grâce à des règles justes, renforcer le service public de l’audiovisuel, libérer et encourager les initiatives citoyennes, telle est donc mon ambition pour les médias qui répond, je le crois, à l’essentiel de vos attentes.

Ségolène ROYAL

 
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