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Présidentielle 2007

Brèves de campagne (7) : Les mal-aimés

Les hauts faits et les bas-côtés d’un traitement médiatique exemplaire (forcément...). Quelques brèves informations qui en disent plus long qu’il n’y paraît. La rubrique « Brèves de campagne » leur est dédiée. Ici, l’on s’inquiète notamment des menaces qui pèsent sur les stars du journalisme et de la sondologie.

« Têtes de turcs » ?

« Les journalistes sont-ils devenus les nouvelles têtes de turc ? » demande Christophe Hondelatte à Franz-Olivier Giesbert le 3 avril sur RTL, pour introduire la chronique du PDG du Point. Et celui-ci de répondre : « Le fossé n’a cessé de grandir entre le peuple et les élites. Cette année, ce sont les journalistes, nouveaux boucs émissaires, qui en font les frais. François, Ségolène et Nicolas, les principaux présidentiables, l’ont tous compris. Et ils sont au moins d’accord là-dessus. Rien de mieux que de bouffer du journaliste, matin, midi et soir, si l’on veut gagner quelques points dans les sondages, ça fait du bien, et en plus ça plaît. Donc ils flinguent les professionnels de l’info en direct, quand ils ne les traitent pas de charognards hors antenne. » Avant de conclure : « il ne reste plus qu’à attendre des jours meilleurs, quand la vague populiste sera retombée. » Tentative de commentaire dans la langue de bois de ce journalisme-là [1]... : le « populisme » des candidats ou des émissions de panel provoque la « crispation » des journalistes professionnels, dont la « grogne » aux accents « corporatistes » ne souffre d’aucun « essoufflement ». [2]...

« Charognards » ?

Dans la chronique de Giesbert, l’allusion à Nicolas Sarkozy est transparente. En effet, sur le plateau du journal régional, celui-ci s’en est pris récemment à la rédaction de France 3 Nord Pas-de-Calais [3]. Le Canard enchaîné daté 4 avril 2007 raconte, par ailleurs, que le candidat UMP, aux Baux-de-Provence le 27 mars, aurait accueilli une vingtaine de journalistes suivant sa campagne à un petit déjeuner en leur expliquant : « Avec des amis comme vous, je suis bien, ça fait plaisir d’être avec vous. Si vous avez des questions à poser, posez vos questions, espèces de charognards. » Et le journal satirique d’ajouter : « Choqués, les journalistes considèrent, pour la plupart, que le candidat UMP, nerveux et irascible ces derniers temps, a de nouveau ‘‘ pété les plombs ’’. Faut-il pour autant rapporter l’anecdote ? Non, décident-ils à l’unanimité. Pour continuer à avoir des ‘‘ off ’’ avec le favori des sondages et surtout pour ne pas se le mettre à dos. Tant de discrétion émeut. »

« Fils de p... » ?

Mais revenons aux « grands » journalistes alertés par la « vague populiste » détectée, avant le tsunami, par Franz-Olivier Giesbert. Dans Le Parisien du 28 mars 2007, un entretien avec Pierre-Louis Basse, journaliste à Europe1, qui s’explique sur le « coup de gueule en direct » (d’après Le Parisien) qu’il a poussé dans le « 12-14 d’Europe 1 » contre Les Guignols de l’info : « C’était à la fois direct et spontané. Il y a eu un déclic vendredi soir, devant Europe 1. Je sortais des studios et une voiture est passée. Les passagers ont hurlé : ‘‘ Fils de putes. radio Sarko ! ’’ J’ai pensé à ce qu’est Europe 1 depuis sa création, de Michel Lancelot à Guillaume Durand, en passant par Philippe Gildas, Catherine Nay ou Coluche... Trop c’est trop ! Je suis un homme de gauche, personne ne m’a jamais demandé de mettre le doigt sur la couture de mon pantalon, alors j’ai réagi. » Touchant... Mais il y aurait sans doute eu des exemples plus convaincants pour démontrer le pluralisme de « Radio Lagardère » que Guillaume Durand ou Catherine Nay. Pourquoi avoir oublié Yves Calvi ou - à tout seigneur, tout honneur - Jean-Pierre Elkabbach ? Plus loin, Pierre-Louis Basse révèle : « Lorsque Karim Risouli, le journaliste au service politique d’Europe 1, croise Henri Emmanuelli, celui-ci répond qu’il ne parle pas à ’Radio Sarko’. Notre rédaction fait un travail magnifique. » Puisque c’est un homme de gauche qui l’affirme ...avant de tirer la morale de la fable : « Ce n’est pas une découverte, Europe 1 n’a pas vocation à faire campagne pour l’extrême gauche française. » Nous voilà rassurés.

« Bon patron » ?

La vocation de Nicolas Demorand lui vient du très fragile mais très riche Jean-Luc Delarue. En 2006, il expliquait dans la revue Médias (n°11, hiver 2006) : « J’ai compris en écoutant Delarue, que c’était dans les médias que les choses se passaient. Ils représentent l’espace vital de la démocratie. » Est-ce que le maître a apprécié l’interview d’Arlette Laguiller par son élève le 3 avril 2007 sur France Inter  ? Le PDG qu’est aussi Jean-Luc Delarue n’a pas dû rester insensible à la très courageuse défense du patronat par Demorand. Ricanant et inspiré, celui-ci a demandé à la porte-parole de Lutte Ouvrière : « Est-ce qu’il n’y a pas de très bons patrons, aussi ? Est-ce que vous ne pouvez pas l’admettre ça ? Vous ne voulez pas l’admettre hein ! » Après cette lumineuse question, Demorand définit le « bon journaliste » (c’est-à-dire lui) : « Un bon journaliste est celui qui rend l’antenne à l’heure. » Pas seulement, c’est aussi celui qui donne de « bonnes » réponses en posant de « bonnes » questions en espérant que son « bon patron » l’écoute.


Stoïcien ?

Est-ce que Jean-Pierre Elkabbach est un « bon patron » ? Nicolas Demorand le dira s’il décide d’améliorer son ordinaire en faisant profiter les auditeurs d’Europe 1 de son talent. En attendant, force est de constater que le président de la radio Lagardère est un homme de lettres. Dans Elle, le 2 avril 2007, il nous apprend ainsi que Le livre de ma mère d’Albert Cohen l’a fait pleurer. Dans le même numéro du « féminin » Lagardère, Elkabbach précise que parmi les livres qu’il offrirait aux candidats figureraient Les lettres à Lucilius de Sénèque. Etonnante coïncidence : ces auteurs comptent parmi les préférés du candidat de l’UMP ! Dans le magazine Philosophie d’avril 2007, Nicolas Sarkozy répond à Michel Onfray : « J’aime beaucoup Albert Cohen, dont la plus grand œuvre pour moi est Le livre de ma mère[...]En 1995, j’ai traversé une période difficile[...] C’est à ce moment que j’ai lu [...] les lettres de Sénèque. » Et quand Onfray lui demande « Comment en êtes-vous arrivé à Sénèque ? », Sarkozy répond : « Par un ami... ». Pas de mauvais esprit : Sarkozy a de nombreux amis...

« Intellectuellement effondré » ?

Est-ce que Laurent Joffrin et Alain Duhamel sont amis ? Ça les regarde. Est-ce que Laurent Joffrin est un « bon patron » ? Il faudrait demander à Alain Duhamel qui est chroniqueur à Libération, quotidien que dirige Joffrin... Celui-ci, en tout cas, n’a pas trop à se plaindre de son employé qui s’est empressé de lire le dernier chef d’œuvre de son « patron » : La Gauche bécassine (Robert Laffont) [4]. Résumons : il s’agit « d’une réflexion pugnace, réaliste et donc cruelle sur la décomposition de l’idéologie socialiste » car « Laurent Joffrin a été plus que déçu, intellectuellement effondré par le projet officiel du PS. ». C’est du moins ce qu’affirme Alain Duhamel qui, lui, n’est pas déçu par son employeur. Pudique et digne, Duhamel a préféré se déclarer dans Le Point (le 29 mars). De l’intérêt de cumuler...

Démocrates ?

A l’instar des grands noms du journalisme, les sondeurs se sentent mal aimés dans la campagne. Heureusement, le 30 mars 2007, deux valeureux serviteurs de la sonde, Roland Cayrol et Stéphane Rozès de l’institut CSA, se sont dévoués pour donner au Monde une tribune sobrement intitulé « Plaidoyer pour les sondages ». A les lire, la critique des sondages est sous-tendue par un violent rejet du système démocratique : « Le sondage fait en effet partie de la panoplie de la démocratie d’aujourd’hui. (...) l’interdiction des sondages est l’un des signes des dictatures. Grâce au sondage, le citoyen peut mesurer, en toute responsabilité, le poids de son vote personnel. Ceux qui crient haro sur les sondeurs, ne se méfieraient pas, plutôt, de l’opinion ? » Interdire les sondages ? Et pourquoi ne pas interdire l’astrologie ? Plaisanterie à part, ceux qui crient haro sur les critiques des sondages ne se méfieraient-ils pas de toute contestation ? Que devient alors la démocratie ? ...

Millionnaires ?

Parmi les garants de la démocratie, l’institut CSA : « CSA (32 millions de chiffres d’affaires) est désormais contrôlé par le sarkozyste Bolloré, également propriétaire du groupe Havas, d’une télé, de plusieurs quotidiens gratuits, etc. [5]. » (Le Canard enchaîné daté du 28 mars 2007). Un tel chiffre d’affaires a besoin de protecteurs. Stéphane Rozès, directeur du « département opinion » de CSA n’a pas attendu 2007 pour remplir cette noble mission. À la fin d’une émission sur France Culture, le 21 février 2002, il avait asséné à Alain Garrigou, universitaire spécialiste des sondages : « Je brasse des millions, je vais pas me laisser intimider par un petit prof de fac [6]. »

Le même numéro du Canard enchaîné rappelle ceci, à propos d’un autre institut : « l’Ifop (28 millions de chiffre d’affaires), le plus ancien des instituts, est la propriété de Laurence Parisot, présidente du Medef. Qui en pince pour Sarkozy. Lequel, ministre de l’Intérieur, lui a attribué, après appel d’offres, un joli marché de 600 000 euros pour une vaste enquête (en quatre vagues, avec des échantillons de 4000 personnes) sur les opinions des Français. » Est-ce que ces liens sont absolument sans effets sur l’« obscure alchimie » (comme l’écrit Le Canard) qui prévaut dans l’établissement des résultats « redressés » ?

Toutefois, l’Ifop n’est pas forcément seul en cause dans l’usage qui est fait de ses enquêtes. Dans la campagne présidentielle, l’institut est associé au Journal du Dimanche. Chaque semaine, ce journal fait sa « une » à partir de résultats de sondages Ifop. Le journal satirique s’en amuse : « Le 16 mars, l’hebdomadaire de Lagardère claironne sur sa double page Evènement : ‘‘En proie aux difficultés, Royal veut encore y croire’’. Le hic, c’est que le sondage Ifop du ‘‘JDD’’, publié en petit dans un coin, ne va pas vraiment dans le même sens. La candidate gagne même 1 point en une semaine, alors que Sarko en perd 2 ! Et au second tour, alors que 5% des sondés ‘‘ne se prononcent pas’’, Nicolas l’emporte par... 51,5% contre 48,5%. Le ‘‘JDD’’ jongle désormais avec les demi-points ! Et la semaine suivante, le 25 mars, il récidive. Enorme titre en première page : ‘‘Bayrou, le coup d’arrêt ?’’ La question s’impose : le nouveau sondage Ifop lui fait perdre à peine un demi-point, de 22,5% à 22% en sept jours. De l’info béton à 100% ! » En effet...

Fiévreux ?

En « une » du même Journal du Dimanche, le 1er avril 2007, un titre tout en nuance : « La poussée de fièvre ». Il s’agit de commenter un sondage Ifop sur l’insécurité à la suite de l’épisode controversé de la Gare du Nord. Cette enquête tendrait à montrer que pour les sondés « la situation en matière d’insécurité » s’est plutôt dégradée et que le candidat de l’UMP serait « le mieux placé pour faire face »... On peut surtout retenir ce commentaire de Florence Muracciole, chef du service politique au « JDD » : « Pas besoin pour lui d’en faire trop : il sait très bien que les images chocs qui passent en boucle à la télévision, montrant des bandes de jeunes aux prises avec les forces de police, ce sont autant de voix qui tombent dans son escarcelle. Le thème de l’insécurité, c’est ainsi, lui a toujours été profitable. » Donc, quand le Journal du Dimanche consacre trois pages aux commentaires d’un sondage sur l’insécurité, c’est au seul profit de l’information. Inutile « d’en faire trop » et le faire ? « C’est ainsi »...

Détaxés ?

Dans Stratégies newsletter du 4 avril, on pouvait lire ceci : « Si elle est élue présidente de la République, la candidate socialiste n’instaurera pas de taxes sur les recettes publicitaires des quotidiens gratuits. Un temps envisagée, cette mesure avait pour objectif de financer les aides à la presse. Anne Hidalgo, secrétaire nationale du PS en charge des médias, a justifié ce revirement : ‘‘ Nous avons changé d’avis sur les gratuits de première génération : contrairement à ceux qui viennent de se créer, ils ne répondent pas à des logiques financières et travaillent de façon classique avec des journalistes indépendants. ’’ » A qui veut-on faire croire que ces gratuits « ne répondent pas à des logiques financières » ? Et pourquoi, à quelques semaines de l’élection ? [7]

Culturel ?

« Entrée + cocktail : 20 euros ». Pour ce prix et ce service, vous pouviez participer à la soirée « Télévision et Politique : Au cœur de la Présidentielle » organisée le 3 avril par le sans doute très rebelle « Club Culture et Management » qui réunit des anciens étudiants de « business school » comme HEC ou Sciences po travaillant dans le secteur de la culture... La présentation était gratuite et alléchante : « Comment traiter l’information politique à l’antenne pour la rendre accessible sans en dévoyer le sens ? Faut-il considérer que le milieu audiovisuel souffre en France d’une trop grande collusion avec le pouvoir ? Et comment les hommes ou les femmes politiques peuvent-ils se servir de la télévision pour faire passer leur message et modeler leur image ? L’irruption des nouveaux médias vient-elle parasiter leur campagne TV ? » Avec des débatteurs comme Gilles Bornstein (rédacteur en Chef à « A vous de juger » et « Mots croisés » sur France 2), Jacques Séguéla (Vice-Président du Groupe Havas), Frank Tapiro, (publicitaire et collaborateur de Nicolas Sarkozy) ou Najat Vallaud-Belkacem (Porte-parole de Ségolène Royal), l’ordre médiatique existant a dû trembler sur ses bases [8]...

« Impertinences » ?

La scène se passe le 7 mars 2007, lors de l’émission « Impertinences », animée par le pertinent Bruno Masure, sur « La Chaîne Parlementaire » (LCP-AN) [9]. Question impertinente et pertinente du jour : « la télé vote-t-elle à notre place ? » avec comme invités l’inattendu Philippe Val et le surprenant Pierre-Luc Séguillon. Extraits des propos de ce dernier :

- « Donc, moi je crois plutôt que la télé aujourd’hui, c’est une espèce de grand forum qui ne fait pas le vote mais où se fabrique le vote, c’est-à-dire où se noue le débat. Alors, avec des émissions qui sont des émissions qui donnent la parole, qui ont été beaucoup critiquées récemment, qui donnent la parole au public. Hein, c’est l’émission ‘‘ J’ai une question à vous poser ’’. Là il faut reconnaître, le niveau de l’émission c’est du, comment en parler, c’est du registre du, comment dire, de discussion de canton, hein [...] »

Et un peu plus tard :

- « Maintenant, il peut y avoir une complémentarité entre ce type d’émissions, d’ailleurs regardez ce que fait France 2, dans la même émission, ils ont à la fois le rôle du journaliste qui interroge en connaissance des dossiers et qui essaie de prolonger les questions et puis des gens qui posent des questions un peu comme si on était devant le guichet de la Sécurité sociale ou ... C’est un peu ça, hein. » [10]

Que les panélisés de TF1 ou les témoins de France 2 soient convoqués pour tenir un rôle subalterne sur la scène préparée à leur intention, mais surtout à celle de l’Audimat, mériterait (et méritera ici même) qu’on s’y arrête. Que la médiation de journalistes politiques qui connaissent les dossiers soit souhaitable, on peut en convenir. Mais connaissent-ils les dossiers ? Et sont-ils capables de se départir du mépris social dont témoigne Pierre-Luc Séguillon ? On a quelques raisons d’en douter [11].

 
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Notes

[1Pour un aperçu de cette langue de bois, voir le « Lexique pour temps de grèves et de manifestations » et lire Médias et mobilisations sociales. La morgue et le mépris ? d’Henri Maler et Mathias Reymond pour Acrimed, Syllepse, 2007.

[2Lire par exemple, « Du corporatisme » dans « Brèves de campagne (3) : En toute indépendance.

[5Et, par ailleurs, actionnaire du Monde...

[6L’anecdote est rapportée par Alain Garrigou lui-même dans L’Ivresse des sondages, La Découverte, 2006, p.12.

[7Information transmise par William.

[8Information transmise par Julian.

[9L’émission est présentée ainsi : « Bousculer pour mieux informer ! Impertinences pose sans embarras les questions qui dérangent. L’Etat est-il un bon dealer ? La parité est-elle un boulet ? Faut-il passer par la case people pour réussir en politique ? Les reportages de la rédaction déclenchent la discussion, les dessins signés Tignous piquent les opinions, le buzzeur dénonce la langue de bois... pour un débat très animé entre deux invités orchestré par Bruno Masure. ». Quel spectacle !

[10Transcription de Jamel

[11Vous vouliez savoir ce qu’a bien pu dire Philippe Val ? Ce sera pour une autre fois : mieux vaut ne pas s’acharner à chacune de ses prestations.

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