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Nadia, virée d’une école de journalisme

par Nicolas Etheve,

Nous reproduisons ci-dessous, aves l’autorisation de son auteur, un article de Nicolas Ethève paru la 31 mars 2007 dans l’Hérault du Jour sous le titre : « Nadia, une journaliste brisée dans son envol ». (Acrimed)

Une journaliste en contrat de professionnalisation virée pour son sens critique ? C’est une publicité dont l’ESJ-Montpellier (Ecole supérieure de journalisme) et Radio France se passeraient bien. Le 25 mai, le tribunal des prud’hommes les recevra en conciliation suite au dépôt d’une saisine par Nadia Mokaddem. Cette montpelliéraine, âgée de 35 ans, a démissionné de son poste de professeur d’allemand à l’Education nationale pour se consacrer au journalisme pratiqué dans sa jeunesse. C’était en novembre 2005, juste après avoir été sélectionnée par l’ESJ-Montpellier et Radio France pour intégrer une promotion intitulée " diversité culturelle et sociale ". Ravie de ses nouvelles activités menées entre l’école et la rédaction de France Bleu Hérault, Nadia a refusé d’emblée de se ranger dans le camp des journalistes dociles et formatés. Huit mois plus tard, elle est exclue de l’école et son contrat est suspendu. Une " aberration juridique " pour son avocate, Me Natacha Rieth : " Lorsqu’il y a une exclusion d’un centre de formation, on licencie peut être, mais on ne suspend pas le contrat. Aujourd’hui, ma cliente n’a pas de revenu, ne peut pas toucher les Assedic et ne peut rien faire d’autre ". Pis, dans un courrier, Radio France l’a invitée à retrouver une école pour rétablir son contrat, alors que c’est à l’employeur de conduire cette recherche, selon la direction du travail.

Ni blâme, ni avertissement

Au-delà de ces irrégularités, cette exclusion a ceci d’étonnant qu’elle ne s’avère précédée d’aucun blâme ou avertissement écrit. Tout bascule le jour où Nadia, faute de parvenir à recueillir des propos de SDF, est envoyée dans le bureau de la directrice de l’école, Laurence Creusot. Dans l’impossibilité d’être assistée par un délégué, elle s’y rend avec son ami, Nicolas Thomas, un ancien diplomate français en poste en fédération de Russie, aujourd’hui âgé de 31 ans. Ce jour-là, le 30 juin 2006, un " incident très violent " s’est produit, affirme Laurence Creusot qui explique avoir refusé l’entrée de son bureau à Nicolas avant de préciser la suite des évènements : " [Son ami] voulait s’interposer si bien que Dimitri (le formateur de Nadia, Ndlr) a cru à un moment donné qu’il allait aller vers moi de façon violente. Je sentais que Dimitri s’approchait de moi, j’ai dû hurler pour que ce monsieur sorte ". Chacun jugera sur pièce du degré de violence de cet " incident ". " Donc on a décidé d’exclure Nadia, poursuit Laurence Creusot. J’ai appelé Radio France qui était d’accord. (...) Et je suis allée jusqu’au bout : on a fait un conseil de discipline". En sachant déjà quelle en serait son issue. A une exception près : " Je n’ai pas compris que Radio France ne mette pas fin au contrat de Nadia, parce que j’ai pris cette décision en m’assurant que tout serait arrêté en même temps " , souligne la directrice. Les mots sont lourds de sens et donnent du poids aux critiques émises par l’avocat de Nadia quant à la régularité de ce conseil de discipline seulement représenté par Laurence Creusot et Daniel Deloit, directeur de l’ESJ-Lille. Leur décision fut rendue le jour même : " les accusations sont suffisamment graves et étayées ", l’ " exclusion " est " définitive ".

Entre l’incident et le conseil de discipline tenu le 31 juillet, Nadia Mokaddem reçoit deux lettres recommandées : la première, datée du 3 juillet, l’informe d’une sanction à venir pour avoir " demandé à une personne extérieure d’assister à un entretien d’évaluation pédagogique ". Dans la deuxième, les accusations enflent : " non restitution répétée de travaux à distance " , " intervention menaçante d’une personne extérieure à l’école ", " remises en cause régulières de son statut de stagiaire et difficultés à accepter toutes formes d’autorité " . Des motifs également évoqués par Laurence Creusot lors de notre entretien : " On ne serait jamais allé jusqu’à l’exclusion, s’il n’y avait pas cette violence-là. Mais on était dans un contexte de remise en question des formateurs. (...) Je pense que Nadia était en désaccord avec cette école et son enseignement depuis le début ".

" Trop militante "

Finalement, c’est peut-être bien le côté " rebelle " de Nadia qui a causé son exclusion : ce que laisse craindre cette détonante note pédagogique du journaliste-formateur Dimitri Moulin rédigée dans le courant de l’année : " trop militante, forcément critique par principe, Nadia est tombée très facilement dans la caricature d’elle-même. (...) Son côté " plus tard, je veux travailler dans une radio associative " laisse entendre qu’il y a encore des progrès à faire... d’autant que ça énerve profondément ses petits camarades qui ont l’impression qu’elle n’a pas conscience de la chance qu’elle a de travailler à Radio France et qui aimeraient être à sa place... surtout si elle n’en veut pas ! ". Aujourd’hui, Laurence Creusot est formelle : " on n’est jamais trop militant, on n’est jamais trop critique, quand on est journaliste ". Le problème de Nadia ? " Tout portait à discussion, mais de façon très, très longue et sur un ton toujours très critique, toujours un peu en replaçant ça par rapport à notre démarche : est-ce bien d’aller chercher des personnes d’autres origines pour qu’ils atteignent des postes ? " Pas s’il s’agit juste de " cautionner " les injustices du système, estime Nadia. Lors de l’audience tenue le 11 janvier 2007 au tribunal de grande instance concernant cette affaire renvoyée au fond, la pétition de " l’appel des indigènes de la République " signée par Nadia Mokaddem a bien été produite. Ostensiblement.

Nicolas Ethève

 Pour en savoir plus, consultez le site et la pétition de soutien : www.membres.lycos.fr/comcdm/

 Soutenue par le SNJ-CGT Radio France, Nadia Mokaddem a saisi la Haute autorité de lutte contre les discriminations et le tribunal des prud’hommes suite à son exclusion de l’ESJ-Montpellier.

 
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