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Présidentielle 2007

Journalisme politique ? Le questionnaire de Jean-Pierre Pernaut aux candidats

par Henri Maler, Jamel Lakhal,

Si on entend rarement les hommes (et les femmes...) politiques à 13 heures sur TF1, c’est tout simplement parce que Jean-Pierre Pernaut a choisi de ne jamais les inviter (ou presque), même s’il lui arrive de distiller occasionnellement une information sur l’information officielle du moment. Mais quand - campagne électorale oblige - Jean-Pierre Pernaut introduit la politique dans « son » journal, c’est pour la supprimer aussitôt. La politique dépolitisée, c’est sa spécialité.

La bonne nouvelle nous est arrivée lors du « 13 h » de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 le 20 mars 2007 : des responsables politiques allaient s’exprimer par son intermédiaire. Voici pourquoi : « On est entré dans une nouvelle phase de la campagne. Il n’y a plus de petits, il n’y a plus de moyens, il n’y plus de grands candidats. Stricte égalité du temps de parole à la télé et à la radio depuis ce matin. Egalité entre les 12 candidats, eh bien dans ce journal, on va essayer de mieux faire connaissance avec eux. On entend rarement les hommes politiques s’exprimer dans cette édition du 13 heures . On va le faire. »

Il va le faire ! Oui, mais comment ? Le « 13 h » de Jean-Pierre Pernaut, c’est le journal des « vrais gens ». Les politiques sont-ils de « vrais gens » ? Telle est la seule question qui intéresse Jean-Pierre Pernaut et à laquelle il intéresse les « vrais gens » auxquels il s’adresse. Ainsi, dès la présentation de l’entretien avec Gérard Schivardi, le 20 mars, JPP annonce la couleur : « Qui sont-ils ? Quels sont leurs valeurs, leurs loisirs ? Je vais tous les rencontrer et on va commencer maintenant par le moins connu d’entre eux, Gérard Schivardi. »

En dehors la politique ?

Au cours de ces « rencontres - d’une durée de 3 mn 30 chacune -, aucun candidat n’échappera à l’invitation à s’évader « en dehors de la politique ».

- Le 21 mars 2007, c’est le tour d’Olivier Besancenot. Jean-Pierre Pernaut précise  : « [...] dans ce journal , vous savez que depuis hier, j’ai entamé une série de brèves rencontres avec les douze candidats. On les verra tous avant le début de la campagne officielle. Pour les connaître peut-être de manière un peu plus personnelle, parler un peu moins de politique avec eux . Hier, c’était Gérard Schivardi, aujourd’hui, le plus jeune des douze, Olivier Besancenot. Qui est-il ? Regardez. » « Un peu moins », c’est-à-dire le moins possible.

- Le 22 mars, JPP introduit ainsi son grand entretien avec Frédéric Nihous : « [...] Première candidature pour lui pour “Chasse, pêche, nature et traditions”. Il défend la chasse, la ruralité. Mais qui est-il, quels sont ses loisirs, ses passions, ses valeurs ? Je l’ai rencontré pour que vous l’entendiez. Ecoutez. » Il défend des idées ? Qu’importe ! Il défend des idées, « mais »...
- Le 23 mars, François Bachy, journaliste politique de TF1, s’adressant à JPP en guise de présentation de l’entretien avec Philippe de Villiers : « Et ce que vous avez préféré nous présenter c’est les goûts, les passions, les valeurs du candidat , même si la politique n’est jamais bien loin.  » « Pas loin » ? C’est inquiétant.
- Le 26 mars, au détour de l’entretien avec Dominique Voynet, JPP résume son inquiétude en une seule affirmation : « Donc, en dépit de la politique, vous restez une femme normale . »
- Le 27 mars, JPP singularise ainsi sa conversation avec Arlette Laguiller : «  Qui est-elle vraiment en dehors de la politique  ? Écoutez-la. »
- Le 28 mars, JPP annonce : « Et maintenant, comme tous les jours, François, jusqu’à fin de la semaine prochaine, je vous propose de découvrir tous ces candidats, vous savez, à travers leurs valeurs, leurs passions, ce qu’ils font en dehors de la politique . Aujourd’hui, un homme de la campagne, un homme du Larzac, José Bové. Qui est-il vraiment ? Je l’ai rencontré pour vous. Écoutez-le. »
- Le 29 mars 2007, Marie-George Buffet est sur la sellette. François Bachy : « Et puis dans cette édition, nous avons aussi pris l’habitude de vous faire écouter les candidats, les douze candidats, à l’élection présidentielle, mais leurs goûts de famille autant que leurs goûts politiques. Ce sont des entretiens de Jean-Pierre Pernaut. Aujourd’hui, Marie-George Buffet. Justement, sa vie de famille, ses goûts, ses valeurs et vous allez découvrir qu’elle est bien différente de la secrétaire nationale du Parti communiste que l’on a l’habitude de voir à la tribune des meetings. » « Autant que » ? En vérité presque pas.
- Le 2 avril, JJPP présente ainsi son entretien avec Bayrou : « Pour aller au-delà des affiches et des discours de meetings, vous savez que chaque jour dans cette édition du 13H, depuis 15 jours, je rencontre un candidat pour mieux le connaître à travers ses valeurs, ses passions. » « Au-delà » de la politique... Mais qu’y a-t-il « au-delà » ?

C’est ce que l’on apprendra le lendemain, 3 avril, quand JPP, présentant son entretien avec Nicolas Sarkozy, distingue finement deux types de rencontres : « Alors, il y a les plaquettes, il y a les meetings, il y a les rencontres avec les radios, les médias, puis il y a une rencontre avec moi aussi et comme tous les jours, je vous propose de mieux connaître l’un de ces candidats. ». Au-delà de la politique, il y a ... Jean-Pierre Pernaut.

La politique est une question de goût parmi d’autres. Pour informer les téléspectateurs sur ceux des candidats, JPP leur a soumis un questionnaire qui déroule invariablement un certain nombre de thèmes que l’on peut résumer ainsi : Quels sont vos origines, votre métier, votre situation familiale ? Comment avez-vous pris goût à la politique ? Que faites-vous et qu’aimez-vous en dehors de la politique ? Votre chanteur préféré ? Votre cuisine préférée ? Votre région préférée, en dehors de la vôtre ? Et enfin : Si vous êtes élu(e), quelle est LA première mesure que vous prendriez ?

Quelques candidats ont droit à des questions subsidiaires comme celle-ci : « Entre une soirée entre copains et une soirée en famille ou une soirée tout seul, vous préférez quoi ? » (à Frédéric Nihous). Avec cette variante : « Entre un dîner un peu mondain ou un dîner politique et une petite soirée tranquille en famille, vous préférez quoi ? » (à Marie-George Buffet). Plus classique : « Et l’homme que vous admirez le plus en politique ? » (à Sarkozy). Avec cette variante : « S’il y a un homme de l’histoire politique que vous admirez, c’est lequel ? » (à Ségolène Royal). Ou, encore, question posée par l’animateur de « Combien ça coûte ? » : « L’argent. Vous êtes économe, vous jouez aux courses, au millionnaire ou à autre chose ? » (à Frédéric Nihous). Enfin, la naissance de Jean-Marie Le Pen nous vaut cet échange « On dit que ce jour-là vous pesiez six kilos ? » Jean-Marie Le Pen confirme. JPP (incrédule) : « C’est pas une légende ? » Plus tard, JPP lui posera cette question impertinente  : « Vous êtes, je suis modeste, un brin provocateur, ça vous vient d’où ? ». Evidemment cela ne lui vient pas des positions politiques qu’il défend.

Mais c’est d’abord sur l’origine du « goût de la politique » que s’exerce la curiosité insatiable de Jean-Pierre Pernaut.

Des goûts et dégoûts de la politique

Un vrai mystère que JPP entreprend vaillamment d’élucider avec une ténacité tout particulière quand il s’agit des « petits » candidats. Il va de soi que ces candidats sont de « vrais gens » et ont d’ abord un « vrai » métier. Prendre goût à la politique, c’est donc renoncer à exercer un « vrai » métier.

- À Frédéric Nihous, JPP : « Vous n’êtes pas un permanent de la politique. Votre métier c’est lequel ? »
- À Gérard Schivardi : « Votre métier c’est artisan-maçon, maître-maçon. [...] Alors, qu’est-ce que vous venez faire en politique  ? Ca vous est venue de quoi de vous lancer dans la politique comme maire, comme conseiller général et maintenant candidat à la présidentielle ? ». Plus tard, JPP lui demandera encore : « Vous passez beaucoup de temps entre votre métier de maçon et la politique ? Quelle est la proportion à peu près ? »
- À Besancenot : « Le goût de la politique, ça vous est venu dans un supermarché où vous étiez magasinier ? » Olivier Besancenot répond qu’il a commencé à SOS Racisme... JPP peut alors en venir à l’essentiel : « En dehors de la politique, vous aimez quoi ? »
- À Dominique Voynet : « Bon, vous avez eu le bac à moins de 16 ans. Vous êtes médecin anesthésiste à 23 : d’où vous est venu le goût de la politique ? » Question suivante : « Et vous avez complètement lâché votre métier de médecin ? »
- À Philippe de Villiers : «  Un politique par accident . Vous avez failli être footballeur. Philippe De Villiers déclare deux passions : le football et ... le Puy-du-fou. JPP commente : « C’est le spectacle. Vous êtes un homme de spectacle finalement. »

L’engagement politique étant, somme toute, accidentel, l’intrusion de questions politiques dans cette galerie de portraits l’est aussi. Echantillon significatif :

- En l’absence de JPP, son supplétif, François Bachy, risque une présentation politique de l’entretien avec Philippe de Villiers : « Oui, avec aujourd’hui, Philippe de Villiers, P deux V, comme disent ses candidats ... ses partisans, avec deux le chiffre. Vous l’avez rencontré [il s’adresse à JPP]. Avec José Bové, il a un point commun, c’est le non à l’Europe , mais ça doit être à peu près le seul. ». Comme d’habitude le « non » au Traité constitutionnel européen est un « non » à l’Europe et tous les « non » ont le même sens....
- JPP à Frédéric Nihous : « Vous êtes européen ? » Frédéric Nihous : « Oui ». JPP : « Tout en étant défenseur des régions et des traditions, c’est possible ? » Frédéric Nihous déclare qu’il veut une Europe qui respecte les différences et les cultures. JPP (qui connaît ses dossiers) : « Et la date d’ouverture de la chasse. »
- A Schivardi, JPP, porte-parole du « On », pose la question que « on » se pose forcément et qu’il ne posera pas aux candidats importants : « On se demande pourquoi vous êtes candidat ? » Et Schivardi ayant déclaré que, selon lui, la France court à la catastrophe, JPP avoue que « on » est perplexe : « Vous ne croyez pas que les onze autres peuvent le dire avec des structures de parti plus grosses que la vôtre ? »

Des énigmes et des inquiétudes

Après avoir donné l’occasion à Oliver Besancenot de préciser qu’il est en campagne grâce à un congé sans solde d’un mois et demi, JPP tente d’élucider un nouveau « mystère » : « Alors vous dites que vous êtes facteur, vous êtes aussi licencié en histoire. C’est un grand mystère ça, facteur licencié en histoire. Pourquoi vous n’avez pas voulu devenir prof ? »

- À José Bové : « Vous ne voulez pas être un homme politique à temps plein, en ne faisant que ça ? ». ET encore : « Vous avez fait des études brillantes. Comment vous êtes-vous retrouvé à élever des brebis ? » Il va de soi qu’on ne devient pas éleveur de brebis après avoir fait des études, surtout si elles furent brillantes...
- À Philippe De Villiers : « Entrepreneur pour un énarque, il n’y a pas quelque chose qui cloche là ? » Comme si nombre d’énarques n’étaient pas devenus chefs d’entreprise...
- À Frédéric Nihous : « Alors, si j’ai bien lu votre curriculum vitae, vous êtes bourré de diplômes : droit économique, droit européen. Ruralité, traditions avec autant de diplômes, avec autant de connaissances, c’est pas antinomiques ? »

Mais le plus grand des « mystères » étant que l’on puisse exercer des responsabilités politiques, Jean-Pierre Pernaut s’inquiète pour la vie personnelle et la vie de famille de ses interlocuteurs. Il est très inquiet :
- Pour Marie-George Buffet : « Avez-vous le temps de vous occuper un peu de vous ? »
- Pour Arlette Laguiller : « Vous n’avez pas envie d’être tranquille, à écouter des oiseaux, avec un bon bouquin et dire je m’occupe de moi un peu, non ? ». Et comme Arlette Laguiller lui répond qu’elle le fait, JPP insiste : « Vous le faites quand même ? », avant de livrer le fond de son anxiété : « Vous n’êtes pas enfermée trop dans la politique ? »
- Pour Dominique Voynet. Une première fois : « À quoi passez-vous vos quelques loisirs si vous avez ... vous prenez le temps pour vous ? ». Question suivante : « Vous prenez du temps pour vous, en dehors d’une campagne électorale ? » Trois questions plus loin : « En dehors d’une campagne, vous réussissez à garder du temps pour vous ? ». Peu après : « Vous me disiez en préparation d’interview que vous aimez faire plein de choses à la fois et que vous avez toute votre vie fait plein de choses. »
- Pour Philippe de Villiers : « Est-ce que vous avez le temps d’avoir des loisirs au milieu de tout ça, la lecture, la musique, le cinéma ? »
- Pour Nicolas Sarkozy : « Et toutes vos responsabilités politiques ne vous ont pas trop éloigné de votre famille, de vos proches ? »
- Pour Ségolène Royal : « « Aujourd’hui, vous avez 4 enfants. Est-ce que le fait de faire tant de politique, de briguer de telles responsabilités ne vous éloigne pas trop de la vie de famille ? ». Et une question plus loin : « Vous avez le temps, vous avez le temps ? »
- Pour François Bayrou. Ce dernier évoque ses enfants. JPP : « Vous avez le temps d’être un peu avec eux malgré toutes ces activités, malgré la politique ? »

Restons donc « en dehors de la politique »...

Des racines et des régions

Pour JPP, cela va de soi : tout être humain doit avoir « des racines » auxquelles il est « attaché ». Des candidats à la Présidence de la République, plus encore. Et quand ces « racines » ont poussé dans une de nos belles régions française, c’est probablement encore mieux. En tout cas, les questions de Jean-Pierre Pernaut le suggèrent...

- À peine Dominique Voynet vient-elle de se présenter que JPP, spécialiste du terroir, lui pose une première question : « Vous êtes attachée à vos racines ?  » Et comme Dominique Voynet indique que quand elle est fatiguée elle reprend son accent de Franche-Comté, JPP relance : « C’est comment ? C’est comment l’accent de Franche-Comté ? » Et Dominique Voynet de (tenter) de l’imiter...
- Le 4 avril, JPP présente ainsi sa conversation avec Ségolène Royal : « Dans ce journal de campagne, tous les jours, vous savez, je rencontre l’un des candidats et justement aujourd’hui c’est Ségolène Royal. Quelles sont ses valeurs, ses passions, les racines auxquelles elle est attachée ? Qui est Ségolène Royal ? Ecoutez. »
- Le 5 avril, JPP présente ainsi l’entretien quotidien : « Alors justement, c’est Jean-Marie Le Pen qu’on va voir maintenant. Vous savez, depuis 15 jours j’ai rencontré tous les candidats pour essayer de mieux les connaître à travers leurs passions, leurs valeurs, leurs racines . Aujourd’hui, celles de Jean-Marie Le Pen donc, qui sont vous le savez bretonnes. On écoute. »
- Le 7 avril, JPP présente ainsi « son » candidat du jour : « Aujourd’hui, eh ben, c’est François Bayrou. Il est professeur agrégé de lettres et il m’a raconté pourquoi il est resté très attaché à sa terre béarnaise. » Et au cours de l’entretien, il s’inquiète : « Est-ce que les fonctions politiques que vous avez depuis des années et des années ne vous ont pas un peu éloignées de votre terre ? » Question suivante : « C’est votre passion le cheval ? »
- À Frédéric Nihous : « Originaire du nord. Vous avez changé ? » Frédéric Nihous déclare qu’il vit dans le Béarn, JPP : « Vous connaissez François Bayrou ? » Frédéric Nihous : « On est voisins. » JPP : « C’est vrai ? » Frédéric Nihous : « Oui. » JPP : « Il est comment ? » JPP : « C’est vrai ? » Frédéric Nihous : « Oui ». JPP : « Il est comment ? » Frédéric Nihous : « Fidèle à lui-même. »

Les candidats, quelles que soient leurs racines, aiment forcément d’autres régions, françaises de préférence.

- Après avoir appris de Philippe de Villiers quel était son chanteur préféré, JPP enchaîne ainsi : « Une question tout bête : quelle est votre région préférée à part la vôtre ? »
- Etape régionale avec Marie-George Buffet également, quand celle-ci vient d’évoquer son goût pour la marche : « C’est vrai ? C’est la marche, en Bretagne. Pas ailleurs ? ». Et une question plus tard : « Vous n’avez pas envie d’aller y vivre ? »
- À Olivier Besancenot : « Votre région préférée ? Là où vous aimez aller en vacances . Sans rentrer dans la vie privée [sic], mais un endroit que vous aimez bien. »
- À Nicolas Sarkozy : « Quelle est la région que vous aimez ? Quelle est la région que vous aimez y aller en vacances pour vous reposer, pour vous ressourcer ? »
- À Jean-Marie Le Pen : « A part la Bretagne, quelle est votre région préférée ? » Jean-Marie Le Pen évoque la Grèce et la côte turque. JPP, surpris pas ce brutal dépaysement : « Mais, en France ? »

Des goûts et des valeurs

Les goûts musicaux (et culinaires) - « sans rentrer dans la vie privée » - doivent révéler la « vraie » personnalité des candidats.

- À Arlette Laguiller : « Vos parents faisaient quoi ? ». Et : « En dehors de la politique, vous aimez quoi ? » Puis : « Votre auteur préféré ? » Enfin : « En chanson, si je vous dis Kamini, Diam’s ou Gainsbourg, lequel vous préférez ? » Et comme Arlette Laguiller avoue ne pas connaître Kamini, JPP s’en amuse : « Marly-Gomont dans l’Aisne, vous ne connaissez pas ? Vous devriez faire un tour. »
- Variante destinée à Olivier Besancenot : « En chanson, vous aimez écouter des disques de temps en temps ? Vous êtes plutôt Gainsbourg ou plutôt Diam’s ? ». Et une question plus loin : « Johnny vous aimez bien ? ».
- A José Bové : « Je demande à tous les candidats qu’on rencontre dans ce journal : en matière de chanson, entre Kamini, Piaf, Diam’s et Johnny Hallyday, lequel préférez-vous ou laquelle ? » Le candidat altermondialiste, connu pour son combat contre la « malbouffe » aura droit à une question subsidiaire : « Pardon, mais aujourd’hui vous êtes plutôt Jean-Pierre Coffe ou plutôt Maïté ». José Bové ayant déclaré qu’il trouvait la cuisine de Maïté trop grasse, JPP se récrie : «  Elle est bonne quand même ». Bové confirme : « Elle est délicieuse ». JPP pose enfin la question-que-tout-le-monde-se pose : « C’est important pour vous de bien manger ? »
- À Philippe de Villiers : « Puisque vous parlez de Piaf, si je vous dis chanson, Jean Ferrat ou Diam’s ? » Philippe de Villiers préfère Ferrat.
- À Schivardi : « En musique, vous écoutez de temps en temps la musique ? Vous êtes plutôt Piaf ou Diam’s ? » Gérard Schivardi préfère Piaf et sa chanson préférée est l’hymne à l’amour. C’est aussi la chanson préférée de JPP : « Oui c’est la plus belle. » Schivardi confirme : « Pour moi, oui. » JPP, étonné de partager ce goût : « Non, c’est de la démagogie ou c’est vrai ? ». Gérard Schivardi confirme. JPP, rassuré : « C’est la chanson préférée des français ». Un ingrédient de l’identité française ?

Mais Jean-Pierre Pernaut est éclectique. Il ne s’intéresse pas seulement aux « goûts » : il s’intéresse aussi aux valeurs.

Aux valeurs qui guident l’action politique des candidats ? Pas vraiment. En tout cas pas toutes... « Quelle est votre valeur de référence ? » demande JPP à Arlette Laguiller. Et, comme celle-ci répond « la sincérité dans ses idées », JPP relève avec délicatesse : «  La fidélité en vos idées. Six campagnes et six fois les mêmes. » Avant de relancer par une question-que-tout-le-monde-se-pose : « Mais, vous dites que c’est votre dernière campagne. Vous êtes sûre ? » Arlette Laguiller ayant déclaré que c’était sa dernière campagne présidentielle, JPP s’interroge : « Mais, vous, vous avez envie de continuer ? » Et comme Arlette Laguiller déclare qu’elle n’a pas l’intention de s’arrêter « parce qu’il y a trop d’injustice et d’inégalités ». JPP : « Quand vous dites ça, quand vous dites ça, c’est le discours politique, la société injuste, inégalitaire, est-ce que vous y croyez vraiment, au fond de vous-même, au fond de vos tripes ? »

Les valeurs, pour Jean-Pierre Pernaut, ce sont avant tout des valeurs familiales, des valeurs à partager en famille, à inculquer à ses enfants. « Quelles valeurs souhaitez-vous inculquer à vos enfants », demander-t-il, sous diverses formes, à tous les candidats. Ainsi à Gérard Schivardi : « Parlons un peu de vos valeurs. C’est quoi la valeur humaine que vous mettez ... qui est votre référence ? » Gérard Schivardi : « L’amour des autres ». JPP : « Il faut l’avoir pour consacrer autant aux autres. » Gérard Schivardi : « Il faut l’avoir. » JPP : « Vous l’inculquez à vos enfants l’amour des autres ? »

Et pour conclure...

Tous les candidats ont eu droit à une question ouvertement politique dont la formulation varie très peu et qui clôt les entretiens : « Imaginons le 7 mai au matin, vous êtes à l’Elysée, vous êtes élu Président de la République. Vous faites quoi ? Quelle est la première chose que vous faites ? » (à Gérard Schivardi)

Avec pourtant quelques variantes enjouées, comme celles-ci :
- Variante destinée à Olivier Besancenot : « Le 7 mai au matin, si vous êtes élu président de la République, vous arrivez à vélo à l’Elysée ? ».
- Variante destinée à José Bové après qu’il a présenté sa première mesure : « Vous habiteriez à l’Elysée ou dans votre maison écologique dans le Larzac ? » Après la réponse de Bové, et en plateau, JPP ponctue : « Un palais dans le Larzac. José Bové l’un des douze à briguer vos suffrages »...

Les conclusions de JPP bouclent les boucles. Triomphal : « Voilà, Gérard Schivardi, le moins connu, que vous connaissez mieux, désormais, l’un des douze ». Sûr de lui : « Voilà, vous connaissez mieux Olivier Besancenot ». Sobre : « Frédéric Nihous, candidat du CNPT ». Elégant : « Quelques petits secrets de la vie d’Arlette Laguiller à retrouver avec toutes les autres interviews sur le site Internet du journal de 13 heures. » Remplacé par Jacques Legros : « Voilà, Marie-George Buffet côté un peu plus intime que d’habitude. »

Et en guise de point d’orgue... JPP demande à Sarkozy : « Le 7 mai au matin ou le 8 mai, on imagine, vous êtes à l’Elysée ? Quelle est la première chose que vous faites là-bas ». Sarkozy termine sa réponse par ces mots : « Je sais une chose : le mois de mai, ça va être occupé  ». JPP en plateau : « Ça va être occupé et ça va être chaud ».

Il y avait jusqu’alors « Le questionnaire de Proust » [1]. Il y a désormais « Le questionnaire de Jean-Pierre Pernaut » : travail, famille, racines. Vraies valeurs et broutilles. Des questions, on l’a compris, moins apolitiques qu’il n’y paraît. En mai, ça va être chaud.

Jamel Lakhal et Henri Maler


 
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Notes

[1Un questionnaire découvert par Proust adolescent, dans un album anglais et connu par les réponses du romancier en 1890.

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