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Présidentielle 2007

Le sacre du printemps ou le banquet des éditorialistes

par Grégory Rzepski, Henri Maler,

Les médias ne font pas l’élection. Ce constat, vérifié par le résultat du référendum du 29 mai 2005, quand le « non » s’imposa malgré une intense campagne médiatique en faveur du « oui », ne doit pas être subitement remis en cause par les résultats du 22 avril 2007. Si les médias ne font pas l’élection, cela ne signifie pas qu’ils ne jouent aucun rôle dans les élections. Bien au contraire.

Depuis de longs mois, ils se sont comportés en médias du second tour, faisant la promotion du « duel » opposant par avance Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal [1] ; ils ont exercé une pression éditoriale visant à limiter le périmètre du débat légitime [2] ; ils ont mis à mal le pluralisme par des distorsions quantitatives et qualitatives entre « grands » et « petits » candidats [3] ; ils ont entretenu des suspenses (vrais ou faux, comme, par exemple, le risque d’un nouveau « 21 avril ») en usant et en abusant des sondages [4]. L’efficacité de cette campagne (médiatique) dans la campagne est difficile à déterminer en nature comme en degré. Mais son existence est confirmée par l’enthousiasme et la quasi-unanimité des commentateurs attitrés, dès le lendemain du premier tour, comme nous l’avons déjà relevé [5], et surtout dans les jours qui ont suivi. Avec les mêmes acteurs, « la procession des fulminants » de 2005 [6] s’est transformée en procession des exultants.

Un « printemps français »

Un « printemps français » qui pourrait voir « naître d’innombrables fleurs » : Jacques Attali est lyrique (dans L’Express du 26 avril). Nicolas Baverez s’enflamme aussi pour ce « jour où la France a relevé la tête ». « Un vote historique », résume Claude Imbert (tous deux dans Le Point du 26 avril). De la rive droite à la rive gauche, une même satisfaction. Les Inrockuptibles, hebdomadaire branché, clame à la « une » du 24 avril : « Un second tour droite/gauche, enfin  [7] ». Et dans un article sur le scrutin, Sylvain Bourmeau félicite le peuple : « les leçons antérieures ont été parfaitement retenues. » Même diagnostic paternel et paternaliste, quelque part entre la droite et la gauche, dans Le Monde du 26 avril sous la signature de Gérard Courtois  : « les Français [semblent] guéris de leur crise d’adolescence de 2002, sortis de "l’âge ingrat" et de ses colères, revenus à des choix adultes et cohérents. »


Vive la bi-polarité, surtout quand elle est « moderne » !

Toutes tendances confondues, la quasi-totalité des commentateurs célèbre une polarisation modérée et donc « moderne ». Au pôle « gauche », Jean Daniel (dans Le Nouvel Observateur du 26 avril), se réjouit de « La santé démocratique de cette France que l’on croyait dépolitisée, désenchantée, doutant de tout ce qui était parti politique, sombrant dans un populisme qui conduit au slogan "Tous pourris". » Car, ajoute Daniel, « ce que la modernité impose, ce n’est pas un combat traditionnel entre une gauche utopique et une droite cynique, mais entre le visage nouveau d’une social-démocratie et les habits neufs du conservatisme. » Au pôle « droite », Claude Imbert (dans Le Point) consacre, lui aussi, la réduction du conflit : « ce couple bipolaire a la faveur des grandes démocraties. (...) Dans les démocraties les plus apaisées, et dépourvues de franges extrêmes, les différences sont toujours suffisantes pour confirmer le système et ses vertus de clarté et d’efficacité. » Des pôles démagnétisés et modérés ? Ce serait à leurs yeux, la fin de l’une de ces détestables « exceptions françaises ».

Une démocratie « apaisée » et « raisonnable »

Une atténuation de la conflictualité politique qui serait un révélateur bienvenu d’une désirable atténuation de la conflictualité sociale : « Le traditionnel ‘‘ vote de classe ’’, celui qui fit la fortune de la gauche ouvrière et de la droite possédante, s’estompe au profit d’un choix plus pragmatique, en fonction du discours, des valeurs et des programmes portés par chacun des candidats, ce qui n’est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour la démocratie  » (Nicole Gauthier dans Libération le 24 avril 2007). A ce titre, le bon résultat du candidat « du centre » François Bayrou serait une heureuse confirmation des espérances communes au chœur des éditorialistes. Jacques Attali explique ainsi dans L’Express et sur son blog : « Trois partis de gouvernement, sérieux et raisonnables, chacun à sa façon, regroupent, pour la première fois dans l’Histoire du pays, les trois quarts des électeurs. (...) Ce premier tour marque la fin de l’hiver politique de la nation, le début d’un printemps français. » Et Attali d’ajouter : « Pendant plus d’un demi-siècle, les Français ont refusé de voir la réalité du monde, se sont bercés d’illusions et ont délégué l’exercice du pouvoir à des professionnels chevronnés, capables d’organiser la vie du pays sans remettre en cause ses tabous. Ils viennent de montrer qu’ils ont changé (...). » Dans la langue devenue automatique, quoique ciblée, du discours politique et médiatique, « tabou » est un terme triomphal qui permet de déguiser en transgression nombre de régressions.

« Casser la gauche »

« Transgresser les tabous », c’est d’abord - autre vocable de saison - en finir avec les « archaïsmes », et particulièrement avec les « archaïsmes » du socialisme français. Ainsi Laurent Joffrin avait-il expliqué avant même le vote (le 20 avril) que « le mandat de Royal, au second tour, ne consistera pas à rétablir le vieux socialisme. Mais à le dynamiter. » C’est cette explosion que pronostique avec ravissement, mais pour les lendemains de l’élection, Michel Noblecourt (dans Le Monde du 27 avril)  : « Depuis 1971 et le congrès d’Epinay, quand François Mitterrand s’alliait au PCF pour mieux lui enlever ses électeurs, le PS est décrit comme incapable de faire son aggiornamento. A la différence du SPD allemand, en 1959, qui avait choisi ce lieu pour rompre avec le marxisme, il n’a pas fait son Bad Godesberg. (...) Ces occasions manquées ont préparé le terrain. Si un nouveau "big bang" social-démocrate ne peut pas s’improviser entre deux tours d’une élection présidentielle, il apparaît inéluctable à la lumière de la situation politique, (...). » A défaut de « big bang », on se satisfera provisoirement des fissures, comme le fait très conservateur Claude Imbert (Le Point, 24 avril). Selon lui, en effet, même si le candidat de l’UDF « aura usé, contre le complot imaginaire des ploutocrates et des médias, d’une agressivité populiste », il convient de lui rendre hommage car, « par ses oeillades à la gauche social-démocrate des Rocard et Kouchner, Bayrou aura ainsi contribué à lézarder le vieux ciment du socialisme français. »

« Lézarder le vieux ciment du socialisme français » : tel était bien l’un des enjeux du scrutin pour les éminences éditoriales de la presse « de droite », « de gauche » ou « de référence ». Dans Le Point toujours, Bernard-Henri Lévy écrit par exemple : « il n’y a plus de majorité de gouvernement, pour la gauche, avec l’extrême-gauche ; les stratégies dites de gauche plurielle ou, pis, d’union de la gauche appartiennent au passé ; la gauche, autrement dit, peut gagner, mais elle ne le fera qu’en s’alliant clairement, sans réserve, avec ce tiers parti centriste. C’était, naguère, le programme de Maurice Clavel : casser la gauche pour vaincre la droite. Celui de Claude Lefort : briser l’homonymie qui donne le même nom - la « gauche » - aux héritiers de Lénine et de Jaurès. Enfin, nous y sommes. Enfin, nous sortons de l’âge de plomb du guesdisme et du molletisme. »

« Une excellentissime nouvelle »

Tenancier de la « maison commune de la gauche » [8], Laurent Joffrin, dans Libération le 26 avril, en exclut en ces termes raffinés les récalcitrants : « Quoi qu’en pense Jean-Luc Mélenchon, dinosaure chez qui la réalité met longtemps à arriver jusqu’au cerveau, le PS sera contraint de se tourner vers le centre gauche et d’assumer enfin sa nature réformiste. » Les brontosaures des appareils médiatiques chassant les prétendus dinosaures des partis politiques : l’image serait pittoresque, s’il ne s’agissait que d’une image.

En vérité, la traque « moderne » des « archaïsmes » s’étend à toutes les variétés de la « gauche de gauche ». A la manière de Joffrin, à la suite du premier tour, les éditorialistes quasi unanimes déversent un tombereau de sarcasmes et d’opprobres sur la gauche de gauche, qui en dit long sur la réalité du pluralisme dans les médias français. La gauche antilibérale ou anticapitaliste se retrouve unie malgré elle dans le condescendance et le mépris des commentateurs à son endroit. Yves Michaud, chroniqueur à France Culture, écrit ainsi dans une tribune publiée par Libération le 24 avril : « Quant à l’extrême gauche, son quasi-néant électoral reflète enfin de manière exacte son néant idéologique. C’est un plaisir de voir Bové, Buffet, Laguiller et Voynet enfin peser ce qu’ils doivent peser et non pas ce que leur art de la manipulation médiatique fait croire. » Le « plein » cultivé de ce commentaire raffiné se distingue aisément de ce que pourrait écrire un chroniqueur du Figaro...

Quant à Eric Le Boucher, avec tout le sérieux qu’exige un quotidien de référence, il découvre (dans Le Monde du 29 avril) que le « mal français » est guéri depuis que ses responsables ont été mis hors jeu, puisqu’il a été « mis enfin un terme aux influences trotskistes qui plombent ce pays depuis dix ans. » Si Eric Le Boucher n’a jamais fait rire personne, Charlie Hebdo tente encore de le faire par une blague de fin de banquet dont les convives sont sans doute très apolitiques : « Le PC est redevenu le parti des fusillés. Ceux qui restent, ce sont ceux qui portaient un gilet pare-balle ». Sous le titre (poilant...) « La moustache paie plus que la barbe », dans le même numéro, Caroline Fourest se réjouit de l’échec de José Bové qu’elle attribue au soutien de l’« islamo-gauchisme » au candidat alter-mondialiste.

Enfin, nos trois « grands » hebdomadaires sont en compétition dans l’épreuve de la plus petite différence possible. Dans L’Express, Jacques Attali explique : « Avec ce premier tour de l’élection présidentielle de 2007, se clôt un chapitre de l’Histoire de France : Deux partis protestataires, (le Parti communiste et le Front national), qui ont obscurci si longtemps la vie publique française, en obligeant les uns et les autres à des alliances contre-nature, ont disparu ou sont en voie de disparaître. »

Dans Le Nouvel Observateur, Jacques Julliard manie le sarcasme « de gauche » : le Parti communiste, dit-il, « ferait bien de se dissoudre et de se transformer en amicale d’élus municipaux de la banlieue parisienne. » Quant à la gauche du « non », il juge, rassuré, qu’« elle a été punie pour son imposture ».

Dans Le Point, hebdomadaire de droite, c’est une autre grande conscience de la gauche qui officie. Parmi « Les bonnes nouvelles du premier tour » - c’est le titre - Bernard-Henri Lévy, en son « Bloc-notes » du 26 avril, relève celle-ci : « La troisième bonne surprise, c’est l’extrême gauche. Je n’ai pas les chiffres, là, des élections précédentes. J’écris à chaud et je n’ai donc pas les chiffres exacts. Mais le conspirationniste Bové à 1 %, la sinistre Laguiller finissant sa vie politique sur un score aussi piteux, et le Parti communiste touchant des niveaux si bas que se pose le problème de sa survie : pour un antitotalitaire conséquent, quelle heureuse nouvelle ! Pour tous ceux qui ne se résolvent pas à penser qu’un totalitaire de gauche vaut mieux qu’un totalitaire de droite, quelle libération ! Cette libération, ce succès, c’est à l’autre grande gagnante de la soirée, la radieuse Ségolène Royal, que nous les devons. Cela, aussi, doit être dit. »

Dès le 13 avril, dans l’émission hebdomadaire qui le voit « débattre » avec Julliard sur LCI, Luc Ferry avait devancé ses comparses : « Quand j’étais gamin, pardon, quand j’ai commencé mes études en 1968, sauf erreur de ma part mais enfin à deux ou trois points près, le PC était au-delà de 20%, bon aujourd’hui il est à 2%. Je suis désolé de le dire, mais c’est une très très bonne nouvelle. C’est une excellentissime nouvelle. Et ça n’est pas compensé tout à fait par l’extrême gauche parce que l’extrême gauche elle est complètement explosée. C’est une excellentissime nouvelle là aussi. » Une « excellentissime nouvelle » : cette formule résume le passage de la joie à l’extase de la plupart des commentaires.

Une fois de plus, les orientations éditoriales et les commentaires qui, pris média par média et commentateur par commentateur, bénéficient d’une liberté que personne ne songe à contester, se soldent par une quasi-unanimité et une quasi-uniformité : pluralisme rabougri et diversité bicolore. Cherchez l’erreur... ou, plus exactement, le problème. Au banquet des éditorialistes et chroniqueurs, tous lèvent leur verre pour sacrer le printemps et consacrer leur rôle : œuvrer ensemble, par-delà les différences de surface, à une réduction de l’espace des positions politiques légitimes. En ce sens, l’enthousiasme éditorial et légitimiste pour les résultats du 22 avril peut être interprété comme la satisfaction du travail accompli. En attendant le second tour et d’autres échéances...

Henri Maler et Grégory Rzepski

 
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Notes

[1Voir notre rubrique « La préparation du duel ».

[6Lire, sous ce titre l’article de Frédéric Lordon, publié ici même.

[7C’est nous qui soulignons, ici et par la suite.

[8Sur cette expression et sur le projet éditorial de Laurent Joffrin pour Libération, lire ici même « Laurent Joffrin règne sur Libération : changement ou faux-semblants ? ».

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