La scène se passe sur les plateaux de France 2, le 31 octobre 2005, au cours de l’émission « Mots croisés » intitulée ce jour-là « Quand la banlieue brûle ». Yves Calvi, dans le rôle du procureur, soumet Samir Mihi, éducateur sportif à Clichy-sous-bois, à un interrogatoire intensif.
Sommé de répondre à plusieurs reprises à une question à laquelle il répond dès la première sommation, constamment interrompu, Samir Mihi se voit intimer l’ordre de faire ce qu’il fait sans avoir demandé l’autorisation d’Yves Calvi : inciter les jeunes qui incendient des voitures à rentrer chez eux.
Le procès n’est pas seulement un procès d’intention : c’est une merveille de journalisme de maintien de l’ordre, prêt - on s’en doute - à intervenir dans les quartiers populaires pour enquêter sur le travail des éducateurs : des éducateurs qu’Yves Calvi méprise, sur le ton arrogant et comminatoire qui sied à un chargé d’encadrement du débat public.
Nul doute qu’Yves Calvi interrogerait avec la même audace n’importe quel ministre de l’Intérieur, surtout s’il devenait Président de la République.
Transcription (par Jamel Lakhal)
Yves Calvi : Samir Mihi, est-ce que vous pouvez dire aux jeunes clichois qui nous regardent ce soir n’allez pas mettre le feu cette nuit ?
Samir Mihi [Educateur sportif à Clichy-sous-Bois] : Mais ça, ça était déjà dit de toute manière et on le redit tous les jours ... [interrompu] ...
Yves Calvi : On veut bien vous entendre le dire.
Samir Mihi : ... et on leur explique, mais il faut, d’ailleurs à ce sujet je veux rendre, au même titre que Monsieur Sarkozy a rendu un hommage, ... [interrompu] ...
Yves Calvi : Excusez-moi, je voudrais que vous répondiez [pas clair] d’abord à ma question.
Samir Mihi : Non, mais je vais répondre à votre question.
Yves Calvi : Voilà.
Samir Mihi : Mais, au même titre que Monsieur Sarkozy a rendu hommage aujourd’hui à ses hommes qui ont fait un très bon boulot dans les cités, et ben moi, je vais rendre hommage à, je vais pas dire « à mes hommes », mais aux hommes qui travaillent sur le terrain et qui ont et qui font un boulot extraordinaire de médiation, où on essaie de travailler, mais on essuie des tirs de la part de la police qui est sensée assurer notre sécurité. Il est là le problème un petit peu. Qu’on nous laisse un petit peu l’occasion de travailler quoi.
Yves Calvi : Je sais pas, est-ce que vous pouvez leur dire ce soir : rentrez chez vous et on va se retrousser les manches pour autre chose plus tard.
Samir Mihi : Si vous me demandez de leur dire « rentrez chez vous », c’est qu’ils sont dans la rue donc ils ne sont pas devant leur poste. Ça sert à rien.
[rires]
Yves Calvi : On peut faire de l’humour avec tout.
Samir Mihi : Non, mais il n’y a pas de souci. Non, je ne fais pas de l’humour. C’est juste que vous me dites n’est pas ... [interrompu] ...
Yves Calvi : Ce que je veux dire c’est qu’il y a des tas de clychois qui vont voir aussi brûler des voitures et qui vont vivre aussi des moments terribles ... [interrompu] ...
Samir Mihi : On a l’impression que vous me dites qu’on n’a pas fait ... [interrompu] ...
Yves Calvi : ... Si vous les niez, c’est, c’est, il y a un gros problème.
Samir Mihi : ... On l’a fait tout ça, ne vous inquiétez pas. Ce travail là est actuellement entrain d’être fait par nos amis médiateurs et nos amis ... [interrompu] ...
Yves Calvi : Est-ce que vous craignez de vous positionner par rapport à une position calme ?
Samir Mihi : Mais, je suis calme.
Yves Calvi : Non, non, mais, vous êtes calme, mais, vous comprenez très bien mes propos, c’est on a l’impression qu’il vous est impossible de dire clairement aux plus jeunes qui sont dans les rues peut-être au moment où nous parlons : il faut rentrer chez soi, ça sert à rien de foutre le feu à la ville.
Samir Mihi : Mais ça, on le dit et on le redit : restez calme et rentrez chez vous. Mais après, il faut comprendre que en face on a une provocation de la part de la police et ça il faut pas avoir peur de le dire, quoi. Donc, ne venez pas me dire demandez aux jeunes de se calmer alors que nous-mêmes nous essayons de les calmer mais en face ils sont provoqués. Donc ... [interrompu] ...
Yves Calvi : Vous êtes d’accord avec moi que la première mesure de raison quand il y a de jeunes gens dans la rue et que c’est dangereux c’est : rentrez chez vous
Samir Mihi : Mais, bien sûr. Mais, il a été passé ce message. Il a été passé et on le redit tous les jours et à chaque fois il est entendu.
– Nos remerciements à Christophe Del Dobbio qui, après avoir sélectionné cet extrait pour le film « Banlieues sous le feu des médias », nous l’a gracieusement offert. br>
– Tous les renseignements sur le film, sur le site de Clap 36.