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Daniel Schneidermann, deux fois en appel : un procès gagné, l’autre pas

par Stéphane Leroy,

Deux récents procès en appel de décisions des Prud’hommes concernaient le journaliste : l’un a vu Le Monde condamné pour son licenciement, l’autre a vu le licenciement d’une pigiste par Daniel Schneidermann également condamné. Deux victoires des salariés... et une controverse en Post-Scriptum.

Sur son blog, Daniel Schneidermann a salué le 22 mai le vote interne de la Société des rédacteurs du Monde contre Jean-Marie Colombani... et la défaite du Monde en appel des Prud’hommes, sous-titrant « Le directeur sortant perd son procès en appel contre moi ». Et si tout son billet dresse un parallèle entre ses propres critiques du tandem Colombani-Plenel et la défaite du directeur du Monde, il écrit cependant : « Seul le calendrier rapproche ces deux faits. Pas d’amalgames hâtifs, donc. »

Autre ruse du calendrier : on ne peut s’empêcher de rapprocher la victoire de Schneidermann employé du Monde de celle, il y a deux mois, de son ex-pigiste, Perline, licenciée par l’animateur de France 5 en 2003, quelques jours avant que lui-même ne soit renvoyé du Monde. Revenons sur ces deux procès en appel, l’un et l’autre intentés par un employeur ayant perdu en première instance aux Prud’hommes et gagnés à nouveau par le salarié licencié.

I. Schneidermann contre Le Monde

Comme nous l’avions rapporté ici même [1], le 13 mai 2005, le conseil des Prud’hommes de Paris condamnait Le Monde pour le licenciement abusif de son journaliste Daniel Schneidermann en octobre 2003, en réaction à son livre Le cauchemar médiatique (Denoël, oct. 2003) où il critiquait la réponse du journal au livre La Face cachée du Monde, de Philippe Cohen et Pierre Péan. Le journaliste avait ensuite publié sur son blog le jugement des prud’hommes.

Le Monde avait fait appel, et l’audience s’est tenue le mardi 27 mars 2007, à la 18ème chambre sociale de la Cour d’appel de Paris, durant plus d’une heure et demie, à peu près à égalité entre l’avocate du Monde, Me Catherine Cohen-Richelet, et celui du journaliste, Me Michel Zaoui.

La première a d’abord exposé la carrière de Schneidermann, pigiste du Monde en 1979, puis engagé, puis redevenu pigiste - « son contrat de travail a été suspendu » - lorsqu’il a commencé son émission Arrêt sur Images à France 5, moyennant 3500 euros bruts mensuels. Cependant, un pigiste régulier étant considéré comme sous CDI, a rappelé l’avocate, il a été licencié avec les indemnités correspondantes : environ 90000 euros.

Ici, la présidente a demandé à l’avocate de préciser ce qu’elle entendait par « suspension du contrat de travail ». Cette dernière a répondu qu’il s’agissait du passage du statut de « salarié permanent non pigiste » à celui de pigiste, son ancienneté étant maintenue et son salaire « un peu baissé, avec son accord » (l’avocat de Daniel Schneidermann a acquiescé à ce passage).

La Face cachée, un « séisme » pour Le Monde

Survient la publication en février 2003 de La Face cachée du Monde de Pierre Péan et Philippe Cohen, « un véritable séisme pour Le Monde  », affirme Me Cohen-Richelet. L’ouvrage « éreintait Alain Minc, Jean-Marie Colombani », et a entraîné « un flottement au Monde, rattrapé ensuite par des réponses dans le journal lui-même. Daniel Schneidermann n’a pas été d’accord » avec les réactions de la direction du Monde « et il l’a fait savoir en toute liberté dans les colonnes du journal, deux fois en mars 2003. »

Puis, en septembre 2003, poursuit l’avocate, court le bruit que le journaliste va sortir un livre chez Denoël début octobre. Un échange de mails a lieu entre Jean-Marie Colombani et Daniel Schneidermann, dans lequel le premier écrit : « j’aurais aimé que tu m’en parles avant, cela aurait été plus loyal » . Le 9 septembre, Schneidermann lui envoie un exemplaire de ce qu’il présente dans un mail comme « les épreuves définitives du livre » (qui sortira le 2 octobre).

Colombani est « scandalisé » par le dernier chapitre du Cauchemar médiatique, exclusivement consacré au Monde. L’avocate du quotidien rappelle que les 34 pages de ce chapitre, dans une typographie différente du reste du livre, sont plus serrées, et en cite les « charges inadmissibles » contre le journal, « d’autant que Le Monde a intenté une procédure en diffamation contre Péan et Cohen, procédure pendante à ce moment-là » . Dans un e-mail, Colombani écrit à Schneidermann, cite Me Cohen-Richelet, « je suis scandalisé que tu aies pu écrire ce chapitre, en tant que collaborateur du Monde, sans m’en parler avant » . À quoi le second répond en se disant « peiné » que son directeur le prenne ainsi, affirmant qu’il aurait voulu « un débat serein ».

« La liberté d’expression des salariés est un principe absolu », affirme l’avocate, « conformément à l’article L 461-1 du code du travail ». Mais l’expression publique de l’opinion du salarié ne peut pas aller à l’encontre de l’intérêt public de cette entreprise, en vertu de l’article 3b de la convention collective des journalistes, qui affirme « le droit pour les journalistes d’avoir leur liberté d’opinion » tout en précisant que « l’expression publique de cette opinion ne [doit] en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise de presse dans laquelle ils travaillent ».

La jurisprudence est ici appelée en renfort. Un arrêt de la Cour de cassation du 15 octobre 1996, sur le licenciement au Seuil d’un éditeur par le directeur général qui lui avait refusé une promotion ; après quoi l’éditeur, également journaliste, avait écrit une lettre de protestation à l’intéressé et au conseil d’administration de la société : « La Cour de cassation a estimé qu’il y avait là un abus de la liberté d’expression » et donné tort au licencié.

Dans un autre arrêt, deux laborantines avaient été licenciées pour des critiques publiques du laboratoire d’analyse du sang qui les employait. « Leurs critiques étaient d’ailleurs fondées », mais, suite à leur dénonciation - on était au début de l’épidémie de sida -, elles avaient été licenciées et leur licenciement jugé fondé par la Cour.

« On peut avoir l’impression que nous sommes devant la 17ème chambre pour un procès en diffamation, mais ce n’est pas le cas » , déclare l’avocate. Le procès est celui « d’un journaliste salarié et de son entreprise de presse : cette liberté d’expression, peut-il en user contre son employeur ? » Peut-être les critiques de Schneidermann contre Le Monde sont-elles vraies, assure-t-elle, « mais ce n’est pas la question : il n’avait pas le droit de les faire, ou alors il le prend mais il est licencié. » Cela d’autant plus que, selon elle, « un journaliste a un moyen, celui de la clause de conscience » lorsque il est en désaccord avec le changement de ligne éditoriale de son journal.

L’avocate mentionne la publication par le journal de la lettre de licenciement à côté de la dernière chronique du journaliste dans ses colonnes, affirmant que la lettre répondait aux critiques de la chronique. Le SNJ a poursuivi Le Monde pour cette publication de lettre de licenciement et a perdu, indique Me Cohen-Richelet, qui précise que le syndicat a fait appel et que cet appel est en cours.

La version du licencié

« Ce n’est pas tous les jours qu’une cour en chambre sociale a l’occasion de juger un procès », a affirmé Me Michel Zaoui, avocat de Daniel Schneidermann.

Pour lui, toute la question est « ce qu’a écrit Daniel Schneidermann est-il un abus de sa liberté d’expression ? » Rappelant à son tour la carrière au Monde du journaliste et la publication de La Face cachée du Monde, l’avocat peint « un véritable phénomène de société »  : « Péan et Cohen viennent dire tout haut ce que beaucoup pensent. » Parallèlement, Schneidermann « traquait la moindre dérive dans les médias » dans sa chronique du Monde, et a reçu des lettres de félicitations d’Edwy Plenel et Jean-Marie Colombani, reproduites dans le dossier du licencié.

Lorsque est publié La Face cachée, « Le Monde ne réagit pas pendant deux semaines. Puis le trio Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc est passé une fois à la télévision, puis a fait une autre émission, et ça a été tout. » Il n’y a pas eu de procès en diffamation d’Edwy Plenel ou Hervé Gattegno contre les deux auteurs du livre. « Le problème avec la 17ème chambre [qui juge les affaires de diffamation], c’est qu’on y amène des preuves » , a affirmé l’avocat. Mentionnant « l’onde de choc » du livre, qui a duré plusieurs mois au Monde, Me Zaoui a observé que le quotidien a connu plusieurs départs et une réorganisation générale. Tandis que les chroniques de Daniel Schneidermann où il citait le Péan-Cohen « étaient plus violentes que le livre » qu’il a écrit ensuite.

À propos de « l’absence de loyauté », son avocat indique que Schneidermann a écrit le 26 février 2003 à Colombani pour protester contre le silence du Monde après la sortie de La Face cachée. Reprenant les exemples de licenciements par des employeurs invoqués en exemples par Le Monde, - ceux de Bernard Montiel par TF1 après des propos moqueurs sur son émission Vidéo Gag et de Jean-Marc Morandini par RMC sous prétexte que celui-ci avait accusé la radio d’être devenue « populiste » et dirigée par des « financiers » -, Me Zaoui a déclaré « extraordinaire que ce soit Le Monde qui compare des entreprises purement commerciales comme celles-ci et Le Monde, une entreprise de presse ».

On attendra avec intérêt que, comme il le fit sur son blog, pour le procès en première instance, Daniel Schneidermann publie le texte du jugement pour pouvoir lire en détail les arguments des juges.

II. Perline contre Riff Productions

Dans la seconde affaire, jugée un peu plus tôt - l’audience a eu lieu le 2 février 2007 -, le texte est disponible sur le site de Perline, ce qui permet de connaître les motivations de la décision.

Un appel tenté... et perdu

Rachetée en 2005 par le groupe Carrère, Riff Productions - la société qui produit l’émission « Arrêt sur Images » - avait fait appel de la condamnation par le tribunal des prud’hommes d’un licenciement de pigiste. Une condamnation dont nous avions fait état ici même [2].

Mauvaise pioche pour Riff et son animateur Daniel Schneidermann qui avait licencié sa « cyber-voyageuse », Perline, chroniqueuse régulière sur Internet, pour avoir appartenu à une association, le Réseau Voltaire et l’avoir « dissimulé » à son employeur : le jugement de première instance a, là aussi, été confirmé.

Les juges relèvent que le licenciement a eu lieu alors que « l’employeur n’a émis aucune critique sur l’activité purement journalistique exercée par [Perline], hors forum ». Les juges (le texte de l’arrêt du 15 mars 2007 est en ligne sur le site de Perline) hachent menu les motifs du licenciement décidé par Daniel Schneidermann, non sans considérations instructives sur la présomption de contrat de travail des pigistes et sur les droits personnels des salariés.

Sur le statut de salarié

Comme en première instance, le représentant de Riff Productions a voulu présenter la pigiste comme un auteur indépendant et non une salariée. Manqué ! Rappelant que selon l’article L 761-2 du Code du travail, « toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure [...] le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail », le juge observe qu’aucun élément contre cette présomption n’a été apporté par l’employeur et confirme le premier jugement : il s’agissait bien d’un contrat à durée indéterminée.

Sur le licenciement pour faute grave

La lettre de licenciement reprochait à Perline « exclusivement des faits en rapport avec sa pige d’animatrice du forum, fonction exclusivement assumée pendant le mois d’août, à la veille de son licenciement, et notamment le fait d’avoir dissimulé son appartenance à une association dont la direction s’est illustrée par de graves actes de désinformation [le Réseau Voltaire], la censure de certains messages dénonçant cette appartenance ».

Le jugement démonte point par point cette argumentation sur laquelle reposait le licenciement par Daniel Schneidermann (et comme nous le rapportions en 2003, signifié publiquement par ce dernier dans le forum Internet de son émission...) : « Considérant que l’article L 120-2 du Code du travail interdit à l’employeur d’apporter aux droits du salarié des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la tâche à accomplir », et que l’employeur ne peut « prendre une sanction disciplinaire à l’encontre d’un employé pour un fait relevant de sa sphère privée », les juges ajoutent que la participation à une association aurait seulement permis « d’envisager un licenciement pour motif personnel si, dans sa vie personnelle, le comportement du salarié s’oppose à l’éthique qu’il lui a été demandé de défendre dans le cadre de son activité professionnelle ».

Mais les vingt minutes passées à l’audience d’appel par l’avocate de Riff Productions, Me Laurence Jolles, à vanter la déontologie et la mission « anti-désinformation » de l’émission de France 5 n’ont pour le moins pas convaincu les juges. L’arrêt relève au contraire que Riff n’a pas justifié « que l’émission “Arrêt sur Images” ou ses prolongements auraient eu pour objet de critiquer la “désinformation” ou “manipulation” ». En appel comme en première instance, l’avocat de la pigiste, Me Claude Katz, a eu beau jeu de souligner que l’émission n’a d’ailleurs jamais consacré la moindre émission à Thierry Meyssan, ni à l’association qu’il préside, ce qui rendait d’autant plus douteux le lien entre le motif invoqué du licenciement et la nature de l’émission.

Journalisme et vie privée

La Cour observe « qu’un journaliste dans l’exercice de ses fonctions n’est pas un personnage public tenu de s’expliquer sur ses engagements personnels », tout en donnant au passage un coup de griffe au forum de l’émission et au « niveau navrant des messages diffusés, aussi bien au cours du mois d’août 2003 qu’à la rentrée », avec des « Heil Hitler » proférés sur le site.

« Dépourvu de cause réelle et sérieuse », le licenciement a ainsi logiquement été condamné à nouveau, l’appel confirmant et renforçant par le détail des considérations des juges le jugement des prud’hommes.

Comme le procès en appel du Monde après sa condamnation en première instance pour le licenciement de Daniel Schneidermann, celui de Riff Productions après sa condamnation en première instance pour le licenciement par Daniel Schneidermann montre que les employeurs, y compris de presse, n’ont pas tous les droits. Deux procès en appel où les droits des salariés ont été victorieux devant des licenciements abusifs.

Stéphane Leroy, envoyé spécial d’Acrimed à la chambre sociale de la cour d’appel de Paris


PS : Responsable, mais pas coupable... (26 mai 2007)

Daniel Schneidermann consacre un article de son blog (lien périmé) à cet article-ci, et affirme que son titre est « mensonger » : « Je n’étais pas partie prenante dans le procès de Perline. C’est Riff qui l’a licenciée, et c’est à Riff qu’elle a fait un procès. Je n’ai aucune responsabilité dans Riff. »

1) Convenons que notre titre est, juridiquement, un raccourci. Mais le titre de l’article de Daniel Schneidermann est-il mensonger lorsqu’il écrit « Le Monde tourne la page Colombani...et le même jour, le directeur sortant perd son procès en appel contre moi » alors que le procès était entre Daniel Schneidermann et la société
éditrice du Monde (comme on peut le lire dans la page ci-dessous, publiée sur le blog de M. Schneidermann (lien périmé)), et non Jean-Marie Colombani personnellement ?

2) Daniel Schneidermann qui affirme en 2007 « c’est Riff qui l’a licenciée » oublie qu’en 2003 il écrivait dans le forum de son émission « j’ai dû décider de ne pas renouveler notre collaboration », comme le montre la capture d’écran ci-dessous.

3) Quant au différend (qui ne justifiait pas un licenciement) entre Daniel Schneidermann et Perline, ils s‘en sont expliqués sur leurs sites webs respectifs
- Perline sous le titre « Une ex-collaboratrice d’ « Arrêt sur Images », licenciée par Daniel Schneidermann, gagne aux Prud’hommes »
- Schneidermann sous le titre « "L’affaire Perline" et la transparence » (où l’on apprend notamment que Perline a été licencié par Riff « après que j’aie indiqué à cette société que je ne pouvais plus travailler en confiance avec elle. » Une simple « indication » ?

4) Rappel des articles que nous avons consacrés à cette « affaire » avant celui-ci.

- « Daniel Schneidermann, ou le licencieur licencié »
- « Licenciement à « Arrêt sur Images » : précisions »
- « Une pigiste licenciée par Daniel Schneidermann gagne aux prud’hommes »

 
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