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Un Monde sans Colombani

par Grégory Rzepski, Henri Maler,

C’est fait : le 25 juin 2007, le groupe Le Monde s’est doté d’une nouvelle direction. S’est-il doté d’une nouvelle stratégie ? Rien n’est moins sûr. Est-il sorti de la crise qui le mine ? Certainement pas. Retour sur les événements et premières leçons d’une crise ouverte et inachevée.

I. Chronique d’une guerre de succession (22 mai-25 juin)

Le 23 mai 2007, un titre, surmonté d’une photo de Jean-Marie Colombani, barre la « Une » de Libération : « La fin d’un “ Monde ” ». Les pages 2 et 3 du quotidien sont consacrées à cet événement : la fin de règne de celui qui dirigeait le quotidien vespéral depuis 1994. Pressé de prononcer l’éloge funèbre, sinon de Jean-Marie Colombani lui-même, du moins du personnage social du même nom en charge du groupe Le Monde-La Vie, Laurent Joffrin, à la barre de son navire qui prend l’eau, rend un vibrant hommage au capitaine du navire d’à-côté : « Jean-Marie Colombani laissera, comme patron du quotidien, le souvenir d’un homme qui vivait pour son journal, et qui a exercé son grand pouvoir pour tenter de concilier les principes qui lui donnent sa légitimité avec les difficultés d’un marché en total bouleversement. » Émouvant...

À cette date, pourtant, on pouvait encore se demander si Jean-Marie Colombani ne finirait pas, malgré tout, par se succéder à lui-même et n’aurait pas l’occasion de rendre à Laurent Joffrin l’hommage que ce dernier s’est, par personne interposée, rendu à lui-même.

Colombani menacé, secouru et lâché

Le 22 mai 2007, donc, la société des rédacteurs du journal (SRM) vote « contre la reconduction de Jean-Marie Colombani à la présidence du directoire du groupe Le Monde-La Vie. Elle opposera donc son veto lors de la réunion du conseil de surveillance du groupe, vendredi 25 mai, qui doit décider de la reconduction de l’actuel président [1]. » Une aberration à en croire Alain Minc, président controversé du Conseil de surveillance du Monde, qui déclarait le matin même dans Les Échos : « En tant que président du Conseil de surveillance, j’ai marqué mon point de vue : il n’y a aucune solution alternative à la réélection de Jean-Marie Colombani à la tête du groupe. » Puisque c’est le surveillant général - conseiller tout terrain, suppôt de Sarkozy - qui le dit...

Le lendemain, Augustin Scalbert sur le site Rue89 résume : « Jean-Marie Colombani paraît renier à la fois son propre bilan - la constitution d’un groupe homogène- et l’héritage du fondateur du titre, qui considérait qu’un journal est " avant tout une affaire de journalistes ". Dans son éditorial paru [le 23 mai 2007], il se livre en effet à un calcul très personnel du vote qui doit mettre fin à son règne : passant sous silence le droit de veto de la société des rédacteurs du Monde (SRM), il obtient une " forte majorité des 600 salariés de cette maison " en sa faveur. C’est oublier un deuxième paramètre incontestable : Colombani postulait à un renouvellement de son mandat à la tête du groupe Le Monde, qu’il a lui-même constitué, et dont les deux autres filiales appelées à se prononcer - PVC et le groupe Midi Libre - l’ont aussi désavoué. » Jean-Marie Colombani, il est vrai, est un journaliste indépendant... des journalistes du Monde.

Le Conseil de surveillance a-t-il pour mission de faire respecter les statuts du groupe ou peut-il les piétiner quand ils ne lui conviennent plus ? A cette question, le PDG « de gauche » Claude Perdriel, administrateur du Monde et directeur de publication du Nouvel Observateur répond très simplement que les patrons de presse doivent être, eux aussi, libres. Dans Le Figaro, le 24 mai, il proclame que, malgré le vote de la SRM, « les administrateurs ne proposeront pas d’autres noms ». Et menace : « il n’y aura plus de patron, et ce sera la démonstration même que la constitution du Monde est folle ». Pensez donc : une constitution qui accorde de véritables pouvoirs (même s’ils sont lentement rognés...) aux journalistes face aux actionnaires... Dans une lettre adressée ce même 24 mai à Alain Minc, Jean-Michel Dumay, président de la SRM s’en émeut : « Les douze membres du conseil de gérance de la SRM comprennent la déception que peuvent ressentir certains membres du conseil de surveillance qui ont soutenu pendant de nombreuses années Jean-Marie Colombani (...). Cependant nous ne pouvons accepter que cette ferveur partisane aboutisse aujourd’hui à la remise en cause, publique ou officieuse, de nos résultats. Ceux-ci découlent de l’application stricte des statuts de notre société civile et de règles que nul, pas même le candidat déjà soumis à celles-ci par trois fois (en 1990, 1994 et 2000), n’a jamais songé à contester avant le scrutin. » De fait, le lendemain, au terme d’une rencontre entre Dumay et Minc, il est décidé de décaler le Conseil de surveillance prévu ce 25 mai au 4 juin et d’entériner le résultat du vote au sein de la SRM.

Alain Minc à la manœuvre

Cette réunion du Conseil de surveillance sera une nouvelle fois reportée au 12 juin 2007. Entre temps, le 29 mai 2007, Les Inrockuptibles publient un entretien avec Laurent Mauduit, ancien journaliste au Monde et auteur d’un récent livre à charge (notamment) contre Minc (Petits conseils, Stock [2]). Dans l’interview, Mauduit met en cause le président du Conseil de surveillance : « il [Minc] lui est arrivé, plusieurs années d’écrire sur du papier à en-tête Le Monde, directement à la comptable, pour lui demander qu’on verse une avance sur bonus de 200 000 francs à Jean-Marie Colombani. (...) Avant même la moindre délibération du conseil de surveillance ! » Le journaliste prétend également avoir eu connaissance d’autres « pratiques limites occultes, des pratiques qui dans d’autres groupes, même des groupes côtés, n’ont pas cours. » Des révélations à faire pâlir de jalousie Pierre Péan et Philippe Cohen, ces pelés, ces galeux, auteurs du méchant livre - La face cachée du Monde - d’où serait venu tout le mal qui frappe, l’un après l’autre, Edwy Plenel, Jean-Marie Colombani et, peut-être, demain, Alain Minc lui-même auquel le premier avait pourtant déclaré sa flamme, avant que celle-ci ne se retourne contre lui.

De son passé, Alain Minc aurait-il fait table rase ? Que nenni : Le Canard enchaîné du 20 juin 2007 explique qu’Alain Minc aurait « mandaté un cabinet de chasseur de têtes pour rechercher une personnalité extérieure au groupe » pour succéder à Colombani. Ce cabinet aurait « facturé la bagatelle de 80 000 € au Monde avant de revoir cette douloureuse à la baisse (20 000 euros) pour livrer quelques noms qui n’ont pas été retenus. » Résultat : le casting sera « maison » ... ou presque.

Candidats à la succession

Le 12 juin, devant le Conseil de surveillance, les quatre candidats en lice sont en effet : Pierre Jeantet, directeur général du groupe Le Monde, Bruno Patino, président de Télérama et du Monde Interactif, Philippe Thureau-Dangin, directeur de Courrier International (filiale du Monde) et... Alain Genestar, l’ancien directeur de Paris-Match.

Avant leurs auditions, de nombreuses questions se posent, notamment pour les salariés : que va devenir le « pôle Sud » [3] ? Quelles peuvent être les conséquences en matière d’emploi ? Faut-il craindre des restructurations ? Que va devenir l’imprimerie ? Elles resteront - elles restent - posées.

Au terme de trois heures de discussion, selon LeMonde.fr, « les administrateurs internes et externes du Monde (...) n’ont pas réussi à s’entendre sur un nom. » Deux candidats sont toutefois en tête : Bruno Patino et Pierre Jeantet. La décision est reportée au 15 juin. Ce jour-là, le conseil de surveillance désigne finalement un ticket Jeantet-Patino. D’après Pressenews (cité par le JDD.fr, le 15 juin 2007), Jeantet se serait « engagé à passer la main à Bruno Patino après trois ans de mandat. » Il doit également, selon un communiqué du Conseil de surveillance, « présenter un plan stratégique de trois ans visant à restaurer la rentabilité du groupe ».

En coulisses, cette désignation a été pour le moins mouvementée. En effet, la SRM semblait envisager ce Conseil comme celui de la destitution d’Alain Minc. Selon Stratégies (« les coulisses d’une succession », David Médioni et Amaury de Rochegonde, le 21 juin 2007), ce dernier devait être « mis en minorité car sa stratégie, soutenue par Pierre Jeantet, actuel numéro deux du groupe, ne [serait] pas validée par la majorité des membres du Conseil. » Le « ticket » de cette même SRM était le suivant : Bruno Patino, Philippe Thureau-Dangin et Eric Fottorino. Toujours d’après Stratégies, quatre actionnaires externes avaient « apporté leur soutien de principe à la SRM » et Jean-Louis Beffa (PDG de Saint-Gobain) devait « s’avancer pour remplacer Alain Minc à la tête du Conseil de surveillance ».

Que s’est-il passé ? Selon l’hebdomadaire, Minc aurait retourné certains administrateurs dans la demi-heure précédant le Conseil en faisant valoir qu’il manquerait « un gestionnaire au trio Patino-Thureau-Dangin-Fottorino. » Ainsi, Pierre Jeantet est imposé « même s’il est contraint d’accepter Bruno Patino à ses côtés. » Alain Minc a ainsi « sonné la fin de la récréation », selon les propos d’un participant au Conseil cité par Stratégies qui ajoute, à propos de Minc : « D’autant qu’il se sait sur la sellette au Monde. La grogne est importante dans les rédactions, où son sarkozysme passe mal, mais aussi chez certains actionnaires extérieurs, qui lui reprochent... son lâchage en règle de Jean-Marie Colombani. »

II. Deux hommes pour un fauteuil : Le Monde cherche stratégie

Sur RTL, le 19 juin, l’ex-président se satisfait de l’arrivée au directoire d’une « excellente équipe ». En « beau perdant » ? Pas seulement...

Changement dans la continuité

Les deux hommes du ticket retenu s’inscrivent, en effet, dans une continuité certaine : Pierre Jeantet en tant que second de Jean-Marie Colombani et dans la mesure où il peut être présenté comme « le candidat de Minc » (Libération, le 7 juin 2007) ; Bruno Patino, par sa position dans l’organigramme du groupe mais aussi parce que sa proximité avec Colombani lui vaudrait le surnom de « Colombaniño » (Libération, le 16 juin 2007)... D’après Stratégies, toutefois, Alain Minc n’apprécierait pas « chez ce fils de journaliste bolivien (...) sa proximité avec Prisa, le groupe de presse espagnol propriétaire d’El Pais, proche des socialistes ibériques et actionnaires du Monde, loin de ses propres intérêts. » Il faut enfin noter que dans les deux lettres de candidatures adressées au président du Conseil de surveillance, Patino et Jeantet entendaient déjà collaborer si l’un d’entre eux était élu.

Sur le fond, les deux candidatures ne sont pas non plus très éloignées. Elles s’accordent notamment pour considérer que le premier enjeu pour le groupe est de résorber son endettement. Pour Jeantet (dans sa lettre de motivation), « en agissant énergiquement sur les coûts de fonctionnement de l’ensemble du Groupe et de ses entreprises, tout en favorisant les développements offrant des rentabilités rapides. » Pour Patino (dans sa lettre également) par de « la rigueur dans les dépenses de fonctionnement » et une « maîtrise des effectifs associée à une véritable politique de ressources humaines et de renouvellement des équipes ». Les inquiétudes des syndicats concernant des « restructurations », voire des « licenciements » ne seraient donc pas forcément infondées. Patino ne remet pas non plus en cause un modèle dans lequel la publicité joue un rôle central. Selon lui, le groupe n’a pas « l’agressivité qui doit être la sienne » car en étant plus « agressif », il « pourra faire face à l’érosion tendancielle de la publicité, par sa puissance combinée sur les CSP +. »

La divergence principale entre les deux candidats portaient, du moins initialement, sur le sort du « Pôle sud » (sur lequel Patino souhaite un recul quand, pour Jeantet, « le Projet ‘‘ Sud ’’ constitue tout à la fois une réalité et un projet ») et sur l’activité d’édition de magazines (Jeantet ayant laissé entendre qu’il pourrait céder certains titres). Le compromis aurait été trouvé lors du conseil de surveillance du 15 juin. Selon Le Figaro du 16 juin 2007, Pierre Jeantet « aurait surtout accepté de revenir sur la stratégie qu’il avait exposée la semaine dernière dans sa lettre de candidature. Il abandonnerait sa volonté de poursuivre le projet controversé du regroupement des titres du Monde dans le Sud (Midi-Libre, L’Indépendant...) avec ceux de Lagardère (La Provence, Nice Matin). Il abandonnerait également l’idée de céder Télérama. La fin du projet pôle Sud va attiser les souhaits des postulants potentiels au rachat de l’ensemble. Il s’agit du groupe Hersant Media, propriétaire de Paris-Normandie et des gratuits ParuVendu, mais également de plusieurs financiers. Le nom de Walter Butler est avancé. » A ce sujet, Stratégies précise que Bruno Patino aurait conditionné « sa participation au directoire à une lettre écrite de Pierre Jeantet renonçant à sa stratégie initiale. »

Cette cession des titres de l’ex-futur « Pôle sud » pourrait avoir des conséquences sur l’emploi des salariés du groupe, variables d’ajustement d’une « stratégie » erratique dont les auteurs ne paieront guère les conséquences. Comme le note l’ancien chef adjoint du service politique du quotidien, Alain Rollat sur le site Rue 89 : « Transformer demain les personnels des Journaux du Midi ou de PVC en "boucs émissaires" de la stratégie d’Alain Minc mise en œuvre par Jean-Marie Colombani serait (...) ajouter le cynisme à l’inconséquence. »

Le 25 juin 2007, finalement, le ticket obtient 61,9% des voix de la SRM et 65% des suffrages des personnels des PVC. Tel est le dernier épisode (au moment où nous écrivons) d’une longue crise qui touche à la fois la stratégie économique du groupe et l’orientation éditoriale de son titre principal : Le Monde lui-même.

Une crise sans fin ?

Si une inflexion dans l’orientation est envisageable, la stratégie industrielle incarnée par Jean-Marie Colombani n’est pas substantiellement remise en cause par le nouvel attelage.

Or, le 22 mai 2007, les journalistes de la SRM, semble-t-il, s’étaient surtout mobilisés contre cette stratégie. Ainsi, sans remettre totalement en question les orientations de Jean-Marie Colombani, Robert Solé, ancien médiateur travaillant toujours au journal, s’en inquiétait dans une lettre à la rédaction rendue publique, avant le 22 mai, sur le Bigbangblog : « Ces dernières années, Le Monde n’a pas seulement changé de taille : il a changé de nature. Nous étions un journal, nous sommes devenus un groupe de presse. Un groupe complexe, dans lequel nous avons du mal à nous retrouver, avec des actionnaires extérieurs de plus en plus puissants. Un groupe qui achète et vend des titres, puise dans la trésorerie de l’un, cède les immeubles de l’autre... Bref, un groupe qui fait des affaires. » A l’instar de Solé, considérant que le journal leur échappait et que le PDG aurait eu les yeux plus gros que le ventre, une majorité de rédacteurs s’était cabrée [4].

Le choix stratégique ? Constituer un groupe qui, à condition d’atteindre un seuil suffisant, permettrait de garantir l’indépendance de son « navire amiral » et de sa « flotille » (ou plus exactement de ses « flotteurs » comme dit Minc) en lui évitant de tomber sous la coupe des appétits des groupes financiers... auxquels on a cependant ouvert la porte, de toutes les façons. En les laissant entrer de plus en plus massivement dans le capital, en minant les pouvoirs de la sociétés des rédacteurs, en envisageant le passage du Monde en bourse [5], en s’endettant pour multiplier les acquisitions hasardeuses. Une dette remboursable en actions à compter de 2012 [6]... S’offrir comme une proie pour ne pas le devenir : on peut difficilement imaginer stratégie plus périlleuse.

Sans doute les marges de manœuvres sont-elles très étroites pour une presse quotidienne nationale en difficulté. Encore faudrait-il ne pas éluder les vrais problèmes. À commencer par celui que pose la financiarisation des médias, c’est-à-dire la recherche par leurs grands propriétaires d’investissements non seulement rentables (ou les moins déficitaires possibles...), mais profitables aux actionnaires à des taux équivalents à ceux des secteurs « de pointe » de l’économie. Les quotidiens, souvent très déficitaires, ne sont pas directement concernés. Mais cette financiarisation est le moteur de la constitution des petits et grands empires médiatiques et, plus généralement, de « l’économie de l’immatériel ». Comme nous l’écrivions il y a un an, « Cette financiarisation pèse, indirectement, sur les médias qui ne lui sont pas directement assujettis » et notamment « sur la presse généraliste qui, à défaut d’être profitable et même souvent rentable, tente de sauver ce qui peut l’être, en se soumettant à des groupes financiers ou en s’efforçant d’échapper à leur emprise par des moyens similaires, comme le montre l’exemple du Monde [7]. » Sans doute les urgences ne permettent-elles pas, à brève échéance, une remise en cause radicale de l’économie des médias. Mais il ne faut guère attendre d’entreprises médiatiques entièrement acquises aux « fondamentaux » du capitalisme libéral et managérial qu’elles procèdent à leur « révision ».

Fins de règnes ?

Du triumvirat qui présidait aux destinées du Monde, que restera-t-il après un départ de Colombani ?

Edwy Plenel a dû démissionner [8]. Depuis lors, revendiquant une orientation éditoriale qui a été désavouée, reniant une amitié pour Alain Minc qu’il avait proclamée, il se répand contre une stratégie économique qu’il avait approuvée. Il explique ainsi à Marianne le 22 juin 2007 que « Dans l’immédiat, valider la solution proposée [le ticket Patino-Jeantet] (...) c’est valider Minc » alors que celui-ci serait « le premier responsable des choix stratégiques qui ont mené Le Monde dans une impasse » et que « son engagement auprès de Sarkozy est notoire ».

Ne resterait alors que le président du Conseil de surveillance du Monde, Alain Minc, « dont, comme le dit sobrement Robet Solé, les liens avec les milieux d’affaires et les prises de position politiques créent la confusion parmi nos lecteurs et nous valent d’incessantes allusions dans la presse. ». Confusion ? C’est le moins qu’on puisse dire... D’après Libération du 12 juin 2007 : « le choix du remplaçant de Jean-Marie Colombani pourrait être rapidement suivi d’une nouvelle secousse : le débarquement d’Alain Minc, président du conseil de surveillance depuis 1994, à la faveur d’un renouvellement dudit conseil avant la fin du mois. (...) Selon nos informations, les actionnaires ‘‘ internes ’’ (SRM, personnels des Publications de la Vie catholique, journalistes de Midi libre, etc.) poussent en ce sens. Quant au front des actionnaires ‘‘ extérieurs ’’, qui a toujours soutenu Alain Minc sans faillir, il pourrait bien se lézarder. »

D’après « un grand ancien du journal » cité par Stratégies, Jean-Louis Beffa successeur pressenti de Minc « ne poussera jamais Minc si quelqu’un ne le met pas dans l’escalier. » Serait-ce le cas ? Une motion s’inquiétant des « prises de position publiques de M. Minc qui sont de nature à jeter un doute sur l’indépendance et la crédibilité des publications du groupe Le Monde » et proposant de refuser son renouvellement à la tête du Conseil de surveillance doit d’ailleurs être soumise aux membres de la SRM. On compte parmi ses premiers signataires Eric Le Boucher du Monde, Josyane Savigneau du Monde des livres et Ignacio Ramonet du Monde diplomatique. Le 25 juin, cette motion aurait été signée par 116 journalistes sur 340. Le Conseil de surveillance se réunit le 28 juin pour valider le choix de Jeantet et pour renouveler le mandat des administrateurs. A cette occasion, pour se maintenir, Alain Minc devra obtenir 11 voix sur 20 [9].

Reste que Le Monde, sauf erreur, a surtout besoin de changer de stratégie économique et d’orientation éditoriale. Le vote de la SRM du 22 mai n’était-il qu’une simple rebuffade infligée à Colombani ou l’amorce d’un changement de cap ? Et dans quelle direction ? En tout cas, il confirme la tendance observée par Pierre Rimbert dans Le Monde diplomatique en février 2007 : « Un décrochage s’amorce entre les rédactions et les dirigeants d’entreprise à mesure que ces derniers parachèvent la normalisation commerciale de l’information [10] ». Que produira ce « décrochage » ? L’avenir le dira. Conséquence d’une accélération des tendances à la financiarisation, à la concentration et à la précarisation dans le secteur des médias, ce « regain de conflictualité » tournera-t-il à l’avantage du pluralisme et de l’indépendance des journalistes ? Rien n’est moins sûr, mais on peut toujours l’espérer...

À suivre...

Henri Maler et Grégory Rzepski.

 
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Notes

[1LeMonde.fr, 22 mai 2007. Statutairement, la reconduction de Jean-Marie Colombani devait obtenir 60% des suffrages au sein de la SRM pour éviter un veto des représentants de la rédaction au Conseil de surveillance. Le directeur ne réunira que 48,49%. Les élus de la SRM s’étaient, par ailleurs, engagés à utiliser leur droit de veto si les salariés du groupe PVC votaient contre le candidat, or les personnels des filiales se sont également prononcés contre cette reconduction : à 52,3% pour Le Midi libre et à 61,4% pour le groupe PVC (Télérama, La Vie...).

[2Sur ce livre et sur la lucidité tardive de Mauduit, lire « Le système ‘‘ j’oublie tout ’’ » dans Le Plan B n°8.

[3Sur ce projet, lire ici même : « Presse quotidienne régionale : un monoPole sud ».

[4Elle l’avait déjà fait en septembre 2006 mais en vain. Ainsi que nous l’écrivions dans L’Actualité des médias n°52 : « Contre l’avis de la Société des rédacteurs du Monde (SRM) qui a voté contre à 54 % ainsi que 85 % du personnel de Télérama et en dépit de toute logique comptable (un endettement de 140 millions d’euros en cinq ans), Le Monde de Colombani, passe outre, et achète Le Midi Libre, La Provence et Nice-Matin. (...) Le même Colombani a refusé de séparer le poste de directeur du quotidien de celui de directeur du groupe, comme le réclamait aussi la SRM. »

[5Voir notre rubrique : « Le Monde en bourse ? ».

[6La dette du groupe (62 millions d’euros d’endettement net pour 146 millions d’euros de pertes cumulées sur six exercices consécutifs, d’après Stratégies) est en partie remboursable en actions. 69 millions d’euros d’obligations remboursables en actions émises arrivent ainsi à échéance entre 2012 et 2014.

[9D’après Rue89. Lien mort (octobre 2013)

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Sortie du Médiacritiques n°52 : Médias et écologie

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