Le journal Le Monde (8 août 2007) consacre un long article au QPM, « la machine qui détecte la personnalité » où le doute est à peine de mise… « En corrélant 180 points du corps humain, le QPM réalise en quelques secondes un profil psychologique du patient ». La journaliste s’interroge alors : « supercherie, mascarade ou nouveau procédé ? » Mais la réponse est sans ambiguïté : votre intelligence émotionnelle, vos points forts et vos points faibles, vos aptitudes sociales, bref un profil complet de votre personnalité vous est livré devant lequel vous ne pouvez qu’être « troublé par la justesse des résultats ». Le témoignage d’une psychologue clinicienne renforce le propos : « Au départ je n’y croyais pas. Je pensais impossible qu’une machine puisse mesurer les fondamentaux psychologiques d’une personne, mais après avoir passé le test, j’en serais tombée de ma chaise ». Comme souvent quand il s’agit de produits miraculeux, le témoignage se substitue à la preuve et à la référence scientifique. Le journal Le Monde ne déroge pas à cette habitude.
Pour faire bonne mesure, un avis sceptique est mentionné en fin d’article, celui du Docteur Frédéric Chapelle, vice-président de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive. Mais la conclusion ne reprend nullement ce scepticisme et s’interroge sur le bon usage éthique d’un outil qui « en apprend trop sur la personne ». Pas de conditionnel. La question n’est pas la validité du procédé, mais l’éthique de ses applications.
Une machine miraculeuse qui n’a pas éveillé de doutes
Que l’on y réfléchisse une minute : si les propos avancé avaient un minimum de réalité, il s’agirait vraiment d’une avancée majeure, d’une révolution dans les neurosciences. Le QPM affirme par une simple mesure de courant électrique pouvoir déterminer votre attitude face à l’épreuve, votre besoin de récompense, votre propension à rechercher la nouveauté, une « empreinte » de deuil, de dévalorisation de soi, votre maîtrise des pulsions, votre gestion de l’anxiété, votre confiance dans l’avenir, votre capacité à identifier et nommer vos pulsions… Il peut également préconiser les exercices mentaux ou physiques qui vous sont adaptés, identifier « une motivation extérieure éphémère impliquant une dépendance trop forte à la récompense-gratification », vos manques affectifs, vos sentiments de honte, votre besoin d’approbation… La liste est sans fin. Et comme le proclament les concepteurs, « ce sont de plus en plus nos utilisateurs qui, en fonction de leur parcours et de leur sensibilité, découvrent de nouvelles idées d’utilisation pour cet outil ». Chacun peut ainsi se transformer en découvreur de l’esprit humain, en analyseur de la personnalité humaine. Tout cela, sans crayon ni papier… Des électrodes, des cadrans, une imprimante… et un QPM au prix conséquent.…
Le QPM : tout sauf une nouveauté.
Pas besoin d’être spécialiste de neurosciences, ni même d’avoir une grande culture scientifique, pour lever la supercherie. La simple visite du site des « concepteurs » de la machine nous renseigne très rapidement. Le QPM est l’acronyme de « Quantic potential measurement. » On se demande ce que vient faire « quantic » dans le nom, si ce n’est donner un profil encore plus complexe et mystérieux. En réalité, le QPM n’est rien d’autre qu’une simple machine à mesurer une conductivité électrique. Le Pont de Wheatstone, du nom de son inventeur, permettait déjà de telles mesures depuis le milieu du 19e siècle. D’autres méthodes ont été mises au point depuis, mais ne relèvent pas d’une « électronique de pointe » comme l’affirment les promoteurs. La mesure de la conductivité des tissus humains est utilisée depuis des décennies en neuropsychologie et en psychosociologie. Marcel-Francis Kahn rappelait dans Sciences et pseudo-sciences (n° 240 décembre 1999) comment une réaction émotive se traduit par des augmentations de la transpiration, faisant ainsi varier sensiblement la résistance opposée à un courant électrique, et l’usage qui pouvait être fait d’un tel dispositif dans des expérimentations psychologiques (mesure de temps de réaction à certains stimuli par exemple). Les prétendus « détecteurs de mensonges » utilisent le même principe. Les pèse-personnes électroniques mesurent aussi une conductivité du corps humain et en déduisent des informations sur la composition des tissus.
La scientologie l’appelle « Electropsychomètre de Hubbard »
Le même genre de dispositif est commercialisé depuis plusieurs décennies par l’Église de scientologie. L’« électropsychomètre de Hubbard » (c’est son nom) est vendu fort cher aux adeptes de l’Église parvenus à un certain niveau dans la hiérarchie. Ce dispositif, selon la scientologie, permet de « mesurer l’état mental ou les changements d’état mental d’une personne, aidant ainsi les “préclairs” (adeptes en cours d’apprentissage) à localiser leurs zones de détresse psychologique pour pouvoir les prendre en charge » [2].
Le QPM vu par ses concepteurs : un charabia scientifique…
Petite visite sur le site des concepteurs du QPM [3]. Première surprise : dans l’onglet « Biblographie », là où on s’attend à trouver des références d’articles, des publications scientifiques, on trouve en réalité une liste de noms, allant d’Einstein, mentionné pour ses recherches en physique quantique (quel rapport avec QPM ?) à Jacques Benveniste, surtout connu du grand public pour ses théories sur la mémoire de l’eau, en passant par un dénommé Niboyet, au titre de ses « recherches dans les années 1940-1950, sur les effets des méridiens sur le corps ».
Une page est consacrée aux « fondements scientifiques ». Sa lecture nous confirme qu’il ne s’agit de rien d’autre qu’une simple mesure de conductivité du corps humain. Là où les autres dispositifs analogues mettent deux électrodes, le QPM en propose 6. Il faut bien innover. On trouve alors un mélange de charabia scientifique et d’affirmations sans fondement. Florilège :
– « La cellule comprend également un réseau de microtubules, les centrioles, qui relient les cellules entre elles qui s’appellent les centrioles et qui laissent passer qu’un électron à la fois, donnant ainsi une communication électrique entre les cellules puisque les électrons sont des particules chargées ». Les centrioles ne sont pas organisés en réseau, mais surtout sont des structures intra-cellulaires qui interviennent dans la division cellulaire. Ils ne relient aucunement des cellules entre elles et ne sont pas impliquées dans une « communication électrique entre cellules ». br>
– « La conductivité électrique de l’organisme est le reflet des échanges Na+ et K+ au niveau de la membrane cellulaire ». En réalité, la conductivité de l’organisme n’a rien à voir avec les échanges sodium/potassium des cellules, mais avec la sudation et la composition des tissus (base pour mesurer le stress… ou la prétendue masse graisseuse dans les pèse-personnes électroniques). br >
– « Le noyau de la cellule constitué d’ADN émet une lumière cohérente type laser ». L’ADN qui émet une lumière laser… nouveauté scientifique…
Comment ensuite passer d’une mesure de conductivité à un profil psychologique ? Voici la clé : « Le psychisme et les capacités d’une personne sont sous la dépendance du cerveau et donc des échanges cellulaires et de la conductivité électrique ». Mesurez une conductivité électrique, et vous saurez tout sur le psychisme.
Enfin, concernant la réalité des profils psychologiques créés par la machine et le sérieux de l’interprétation proposée, il faudra se contenter d’affirmations telles que « corrélation des mesures avec les travaux des neurosciences (analogie existant entre la somatotopie des fonctions cérébrales et le corps) », « Corrélation de nos mesures avec différents tests déclaratifs », « Corrélation des résultats des dérivations avec la médecine (dosage sanguin des neuromédiateurs) ».
… mais un marketing astucieux
On ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit peut-être d’un canular, tellement tout est cousu de fil blanc… Pas une ligne du site Internet de QPM qui n’inspire le doute… ou la consternation. Mais en tout cas, le marketing est bien monté. Les différentes applications de QPM sont précisément ciblées : QPM-STRESSPRO pour les « ressources humaines », QPM-PSY « uniquement réservé aux psychiatres et aux psychothérapeutes et psychologues comportementalistes », QPM-SPORT pour les entraîneurs, et même une déclinaison QPM-KIMEOSTEO pour les ostéopathes et les kinésithérapeutes. Une liste d’« utilisateurs certifiés » est mise à jour. Un grand journal du soir en parle… L’affaire est lancée. Le journal télévisé de 13 heures, le lendemain sur France 2, reprend l’affaire et consacre un reportage à cette « machine à explorer l’âme, au carrefour de la bioconductivité, des neurosciences et de la médecine chinoise et hindou ». Si le ton est à l’humour, la véritable démystification, est absente. Là encore, le journaliste qui a testé la machine parle de « résultats troublants », soulignant que sur « 200 critères, la plupart correspondent ». Au passage, nous apprenons que la machine coûte 10.000 € à l’acquisition, et qu’une consultation s’élève à 250 ou 300 €.
L’effet Barnum à l’œuvre
N’importe quel journaliste muni d’un peu de sens critique devrait immédiatement détecter la supercherie. La journaliste du Monde semble avoir été séduite par le profil qui lui a été proposé, troublée par « la justesse des résultats », et a alors abandonné tout esprit critique. L’effet Barnum (voir notre précédent numéro) exprime le fait que la plupart des gens tendent à accepter une vague description de personnalité comme les décrivant bien, surtout si cette description est plutôt positive ou flatteuse, sans se rendre compte que la même description pourrait s’appliquer aussi bien à n’importe qui. C’est sans doute cela qui fait le succès du QPM, tel que rapporté par le journal, auprès des responsables de ressources humaines ou de consultants.
Le Monde fait la promotion des charlatans
En conclusion, ce qui est le plus surprenant dans cette histoire, ce n’est pas tant qu’une équipe de 4 personnes, un médecin acupuncteur, un spécialiste marketing et deux ingénieurs en informatique et en électronique proclament avoir mis au point une machine miraculeuse capable de percer les secrets de la psychologie humaine, ni que de nombreux consultants s’emparent de l’« invention » à des fins mercantiles. Non, c’est bien plutôt qu’un journal comme Le Monde ait pu publier un tel article, sans le moindre discernement, et ait ainsi pu faire la promotion du charlatanisme.
Jean-Paul Krivine