L’imminence du rachat du groupe Midi Libre par le groupe Sud Ouest, alors que ce dernier vient de se rapprocher du groupe La Dépêche du Midi en constituant le GIE (groupement d’intérêt économique) Média Sud Europe, ne peut qu’inquiéter les lecteurs de la presse quotidienne régionale et départementale de cette vaste région du grand sud ouest de la France, et plus généralement, tous ceux qui sont attachés au pluralisme de l’information. L’axe Bordeaux - Toulouse - Montpellier ouvre, aux dires même des acteurs de ce rapprochement, une autoroute à toutes les « rationalisations » et « synergies », lourdes d’atteinte au droit à une information complète et indépendante de tous les pouvoirs.
Certes, la concurrence commerciale entre les groupes Sud Ouest, La Dépêche du Midi et Midi Libre [1] n’est pas une garantie de la qualité de l’information, minée par la précarité galopante des journalistes (qui réduit au silence les plus fragiles), et par la complaisance, voire la connivence de tant de chefs de services, avec les pouvoirs internes ou externes. Certes, cette même concurrence ne garantit pas non plus que tous les journalistes respectent la déontologie professionnelle et se souviennent qu’ils doivent ce respect d’abord aux lecteurs. Certes, la pluralité des groupes et des titres n’assure pas tous les mouvements sociaux et politiques et leurs représentants qu’ils pourront se faire entendre des rédactions et que leur propre droit d’informer sera satisfait. Mais, au moins, parce que la concurrence commerciale impose aux directions d’avoir les yeux également rivés sur les chiffres de la diffusion, les responsables associatifs, syndicalistes, militants et élus locaux pouvaient jusqu’à présent trouver auprès de quelques journalistes une oreille attentive, pour peu que ceux-ci sachent utiliser auprès de leur direction, ce sésame efficace : « si ne je sors pas cette info, on risque d’être doublé par la concurrence ».
La concentration Sud Ouest / La Dépêche / Midi Libre risque grandement de porter un coup fatal à ce qui restait de ce pluralisme, pourtant mutilé par la course à la publicité et la dégradation des conditions de travail des journalistes. Dans des départements comme l’Aude (où sont diffusés Midi Libre / l’Indépendant et La Dépêche du Midi), l’Aveyron (Centre Presse, Midi Libre, La Dépêche), le Gers (Sud Ouest, La Dépêche), le Lot-et-Garonne (La Dépêche, le Petit-Bleu d’Agen, Sud Ouest), la presse quotidienne régionale, nous le redoutons, ne parlera plus que d’une seule voix. Sans doute, les responsables d’édition plus sensibles au marketing qu’à la mise en valeur de l’information sauront-ils habiller cette « mutualisation » des moyens rédactionnels qu’annoncent leurs patrons. Mais c’est le même journal, fait par les mêmes journalistes, puisant aux mêmes sources, et confrontés aux mêmes rétentions d’information, qui sera proposé au lecteur. On gardera son nom à chaque titre, on modifiera l’apparence de la première page, mais le contenu sera tristement identique. Les exemples sont multiples (voir dans les Hautes-Pyrénées ou les Pyrénées-Orientales).
Plus généralement, et plus insidieusement encore, la concentration du pouvoir dans les mêmes mains et le partage du territoire en toute « cohérence » qui s’ensuivra auront forcément des conséquences sur la ligne éditoriale de l’ensemble du groupe, afin d’éviter que ne paraisse une information « gênante » pour les détenteurs du groupe de presse comme pour le pouvoir politique ou économique, puisque ces derniers tiendront désormais d’une seule main, une seule régie publicitaire, l’ouverture ou la fermeture du robinet aux publicités payantes.
Face aux lourdes menaces qui pèsent sur l’indépendance rédactionnelle de chaque titre concerné par cette concentration et sur le pluralisme que cette indépendance, bien que relative, permettait encore d’assurer, les journalistes et l’ensemble des personnels qui ne savent que trop ce que « rationalisation » signifie en termes d’emplois et de conditions de travail, doivent bénéficier du soutien de tous. Mais parce que la défense du pluralisme de l’information et l’indépendance des journalistes n’est pas seulement l’affaire de ces derniers, nous appelons les responsables associatifs, militants, syndicalistes, élus locaux et tous les citoyens attachés à la liberté de la presse à manifester leur refus de ces concentrations. Ce refus peut s’exprimer en interpellant les pouvoirs publics et le gouvernement (avant que la direction de la concurrence qui dépend du ministère des finances ne donne une fois encore son feu vert à ce type d’opérations), mais ce refus peut aussi et avant tout s’exprimer en interpellant les actionnaires du groupe en formation afin d’obtenir de leur part des engagements clairs, concrets et précis.
Aux côtés des syndicats de journalistes et des organisations professionnelles, l’Association Action-Critique-Médias (Acrimed) entend contribuer aux débats et aux mobilisations nécessaires, dans notre région comme partout ailleurs en France, où les mêmes concentrations produisent déjà leurs néfastes effets.
Pour en débattre et organiser d’ores et déjà la défense du droit à l’expression citoyenne, nous prévoyons d’organiser dans le courant du mois d’octobre, partout où ne nous le pourrons, des réunions publiques avec la participation de tous ceux qui sont concernés.
Acrimed-Toulouse
Contact : acrimed31@laposte.net