Accueil > Critiques > (...) > Secteur public : Des programmes de "Service public" ?

TF1 et France 2 : Regarder les différences ? (1) – Premières comparaisons

par Ian Eschstruth,

« Si la télévision publique fait ce que font les télévisions commerciales à travers le monde, ce n’est pas la peine que ce soient des télévisions publiques. » Ainsi parlait le directeur général de France Télévisions, Patrice Duhamel, en décembre 2006 [1]. Mais ce qu’offrent les chaînes publiques est-il fondamentalement différent de ce que proposent les chaînes privées ? Les articles que nous avons déjà publiés apportaient quelques éléments de réponse [2]. Nous poursuivons ici par une première étude comparative entre la programmation de France 2 et celle de TF1. À suivre...

I. Une programmation générale assez similaire

Selon Médiamétrie (Figure 1), sur l’ensemble de l’année 2004, la programmation de France 2 ne fait pas apparaître de différences fondamentales d’avec celle de TF1. Dans les deux cas, les genres principaux sont les « émissions de plateau » (26% sur TF1, 32% sur France 2) et les « fictions » (respectivement 27% et 24%). Certes, la chaîne publique accorde un peu plus de place à l’information (15% contre 10%) ainsi qu’à la culture (3,9% contre 0,9%), et un peu moins à la publicité (7% contre 10%) mais, dans tous les cas, les ordres de grandeur restent globalement les mêmes (à part, peut-être, pour la culture, qui est de toute façon très marginale). Pour ce qui est des « documentaires », TF1 en diffuse un peu plus que sa concurrente (8% contre 5%). Cependant, là encore, la différence apparaîtra sans doute peu perceptible au téléspectateur moyen non muni d’un chronomètre.

Figure 1. Comparaison de la programmation de TF1 et de France 2 en 2004 selon Médiamétrie [3]

La nomenclature utilisée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel est proche de celle de Médiamétrie. Elle conduit grosso modo aux mêmes conclusions (Figure 2) : beaucoup de fictions et d’émissions de divertissement sur les deux chaînes (56% et 44%), plus d’« information et émissions de service » sur France 2 (22% contre 12%) et un peu plus de « documentaires / magazines » sur la chaîne de Bouygues (19% contre 15%).

Figure 2. Comparaison de la programmation de TF1 et de France 2 en 2005 selon le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel [4]

Afin de disposer de données plus récentes, Acrimed a comparé sur une semaine (du 12 au 18 septembre 2007) la programmation des deux chaînes, en construisant sa propre nomenclature, elle-même basée sur les indications fournies par les chaînes (Figure 3) [5].

Même s’il s’agit d’une comparaison sur une courte durée, elle a valeur d’indice. Les conclusions rejoignent les deux précédentes : la fiction et le divertissement dominent (52% sur TF1, 47% sur France 2), l’information est un peu plus présente sur France 2 (8% contre 5%), et TF1 diffuse très légèrement plus de documentaires que sa « rivale » (9% contre 7%) [6].

Figure 3. Comparaison par Acrimed de la programmation de TF1 et de France 2 entre le 12 et le 18/09/2007

La structure générale et quantitative de la programmation n’apporte que des informations très sommaires sur son contenu. L’analyse peut franchir un pas supplémentaire si l’on s’intéresse aux programmes.

II. Coup de sonde sur les programmes d’une semaine

Un coup de sonde sur une semaine (ce qui demeure insuffisant...) offre un premier aperçu. Certes, ce passage en revue des principaux genres – à l’exception ici de l’information – ne permet pas toujours d’examiner le contenu de chacun d’eux et de chaque émission. Au moins permet-il de planter quelques jalons comparatifs provisoires. Documentaires, films et téléfilms, séries et feuilletons, émissions de divertissement, magazines : quelles sont les différences d’une chaîne à l’autre ?

Les documentaires

Les documentaires constituent, nous l’avons vu, entre 5% et 9% de la programmation (suivant la chaîne et la période considérées). Laissons chacun libre de juger si c’est trop ou trop peu. Il reste que les horaires de diffusion sont généralement défavorables à leur accès à un large public.

TF1 programme ainsi 92% de ses documentaires en pleine nuit (entre 1 heure et 7 heures du matin) et les 8% restants en début d’après-midi.

Pour ce qui est du service public, on s’attendrait à des plages horaires plus exposées, d’autant que le directeur général de France Télévisions avait déclaré : « Nous y insistons énormément : le documentaire, c’est l’une des marques de fabrique, l’ADN de la télévision publique. » Et le même Patrice Duhamel de souligner la nécessité de ne pas cantonner ces programmes au milieu de la nuit : « Sur TF1 et M6, quand voyez-vous des documentaires en première ou en deuxième partie de soirée ? Jamais ! Même pas la nuit... Si ! Si si : la nuit et l’été parce qu’il y a des obligations. Donc, vers 3 heures du matin, vous devez voir un certain nombre de choses. Nous, on en fait la promotion en première partie de soirée, en deuxième partie de soirée, plusieurs fois par semaine sur France 2 et sur France 3. On y consacre 80 millions d’euros par an. France Télévisions finance 60% du documentaire en France. De tout ce qui se fait en documentaire. » Un an après cette déclaration, il s’avère que ces efforts ne sont pas flagrants. Sur la semaine étudiée par Acrimed, 85% des documentaires de France 2 ont eu le droit à une diffusion nocturne, les 15% restants étant programmés en deuxième partie de soirée...

Les thèmes abordés (toujours pour la semaine considérée) sont toutefois très différents. TF1 s’intéresse beaucoup à la chasse et à la pêche (49% des sujets), mais aussi à la nature de manière générale ainsi qu’aux têtes couronnées (le 15 septembre était diffusé un documentaire sur Grace Kelly, princesse de Monaco). France 2 a fait un choix de programmation sensiblement plus « haut de gamme » qui a permis aux insomniaques de s’instruire sur la vie et l’œuvre de l’écrivain et réalisateur Cizia Zykë, sur le compagnonnage ou encore sur Nicholas Winton, un banquier britannique qui sauva plus de 600 enfants du nazisme.

Les films et téléfilms

Immédiatement après avoir évoqué les documentaires, Patrice Duhamel enchaînait : « Deuxième exemple : le cinéma. [...] Une des raisons pour lesquelles le cinéma français tient sa place [...], c’est le soutien que lui donne la télévision et, en particulier, France Télévisions. Nous coproduisons 50 films par an. On y consacre plus de 50 millions d’euros. Et, là, on considère qu’on a un rôle culturel absolument central qu’on va d’ailleurs renforcer et développer dans les mois qui viennent. »

Seule une étude globale sur une année permettrait de savoir s’il existe aujourd’hui, entre TF1 et France 2, des différences quantitatives et qualitatives significatives, qu’il s’agisse des films coproduits ou des films simplement diffusés (ou rediffusés).

En 2005, selon le CSA, 3,7% de la programmation de TF1 avait été consacrée au cinéma, soit 323 heures. Sur France 2, la proportion avait été exactement la même, à une heure près : 322 heures !

Sur la semaine étudiée, TF1 a diffusé deux films (une comédie dramatique française et un film d’action états-unien) contre trois pour France 2 (un film de suspense français, une comédie dramatique française et un film d’action états-unien). Quant aux horaires de diffusion, ils s’établissent ainsi : TF1 a programmé ses deux films à 22h55 et 02h20, tandis que France 2 diffusait les siens à 20h55, 23h05 et 01h20. Petites différences dont il reste à évaluer si elles sont généralisables sur une plus longue durée d’observation.

Si l’on porte à présent le regard sur les téléfilms, on observe à nouveau une durée de programmation à peu près équivalente : 8 h 45 mn sur TF1 (5,2%) et 7 h 15 mn sur France 2 (4,3%). Mais, alors que la première chaîne s’intéresse à l’humour, aux sentiments et au suspense – essentiellement originaires d’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) –, la deuxième « ose » programmer des fictions plus « culturelles ». Ainsi les téléfilms biographiques Colette, une femme libre (France, Belgique, 2003) et Callas et Onassis (Italie, Suisse, 2003). Ces deux fictions étaient programmées respectivement à 20h50 et 15h00, TF1 proposant toutes les siennes à 14h40.

Les séries et feuilletons

Toujours lors de son interview sur France Culture, Patrice Duhamel avait expliqué : « Il faut absolument donner une prime aux inédits, éviter les rediffusions, [...] ce qui pose des problèmes budgétaires. »

Or, si on se penche sur les séries et feuilletons diffusés par France 2 sur la semaine considérée, on constate qu’ils ne sont pas toujours de première fraîcheur (ni particulièrement de première qualité) : Amour, gloire et beauté (présent sur les écrans français depuis 1989 [7]), Des jours et des vies (depuis 1991) et Le Renard (depuis 1987). Il existe bien sûr quelques séries plus récentes comme La prophétie d’Avignon (2007) ou Fais pas ci, fais pas ça (2007 également) mais, dans l’ensemble, France 2 ne semble pas vraiment se distinguer de TF1 qui, elle aussi, a à la fois de vieilles séries (comme Les feux de l’amour) et quelques nouveautés (Section de recherches, L’Hôpital).

Seule différence observable entre les deux chaînes : les séries et feuilletons de TF1 sont plus nombreux et plus souvent originaires d’Outre-Atlantique (11 sont états-uniennes, 4 françaises et 2 allemandes) que celles de France 2 (3 états-uniennes, 4 françaises, 4 européennes).

Les émissions de divertissement

Sur les deux chaînes, on se montre assez joueur : on comptabilise 8,5% de jeux sur TF1 contre 8,8% sur France 2. Ainsi, en début d’après-midi ou en début de soirée, TF1 propose Attention à la marche !, Un contre 100 et La roue de la fortune. Sur France 2, c’est autour de l’heure du déjeuner que l’on peut regarder Les Z’amours, Motus et Tout le monde veut prendre sa place.

Hormis les jeux, le téléspectateur qui aurait envie « de [se] divertir, de [se] détendre pour [se] préparer entre deux messages [publicitaires] » [8] a aussi la possibilité de se tourner vers des clips, des enregistrements de one-man-show et, surtout, des émissions de plateau : talk-shows, télé-achat, sketchs ou résultats du loto. Au total, ces émissions représentent 9,1% du temps d’antenne de TF1 et 12,9% de celui de France 2.

Disons un mot des talk-shows. Sur TF1, ces émissions sont animées par Arthur (Les enfants de la télé) et Cauet (La méthode Cauet). En face, les « amuseurs » s’appellent Laurent Ruquier (On n’a pas tout dit, On n’est pas couché) et Michel Drucker (Vivement dimanche). Contrairement aux animateurs de TF1, ceux de France 2 aiment à recevoir des personnalités politiques. Nous avions déjà eu l’occasion de le noter : le mélange des genres information et divertissement (l’« infotainment ») est plutôt une spécialité du service public.

Les magazines

La catégorie « Magazines » est apparemment ce qui, d’un point de vue quantitatif, distingue le plus France 2 de TF1. Tandis que la première chaîne en diffusait 10%, la seconde atteignait les 28%. Voyons de quels magazines il s’agit.

Figure 4. Comparaison par Acrimed des types de magazines de TF1 et de France 2 entre le 12 et le 18/09/2007 [9]

France 2 diffuse un peu moins de magazines de reportages (330 minutes : Envoyé Spécial, Un œil sur la planète) que TF1 (455 minutes : Reportages, 50 mn Inside, Sept à huit, Le Droit de savoir [10]). La chaîne publique leur préfère les magazines de société auxquels elle consacre 718 minutes (Faites entrer l’accusé, Toute une histoire, C’est au programme) contre 500 minutes pour sa concurrente privée (Appels d’urgence, Sans aucun doute, Du côté de chez vous, Confessions intimes, Là où je t’emmènerai). France 2 est par ailleurs la seule à diffuser des « magazines de services » (717 minutes : Télématin, Consomag...), des magazines religieux (225 minutes : Islam, Judaïca, Présence protestante, Le jour du seigneur...), des magazines musicaux (157 minutes : CD’aujourd’hui, Presto)... et un magazine politique (7 minutes : Expression directe).

Passons aux magazines « culturels ». Et, d’abord, à la littérature. TF1 y consacre environ une heure par semaine (!) avec son émission Vol de nuit – qui, comme son nom l’indique, n’est pas diffusée à une heure de très grande écoute. L’émission littéraire de France 2 (Dans quel éta-gère), elle, est beaucoup plus courte (environ 1mn40s), mais diffusée 15 fois par semaine (le matin et la nuit), ce qui lui permet d’atteindre approximativement les 25 minutes hebdomadaires.

Là où on peut considérer que France 2 se différencie (un peu) de TF1, c’est dans le domaine des magazines culturels et scientifiques, puisqu’il n’en existe que sur la chaîne publique. Avec des émissions comme Esprits libres de Guillaume Durand, Thé ou café de Catherine Ceylac et Science, on tourne de Philippe Gougler, ce sont 8 heures par semaine qui sont réservées à la culture – au sens large – et à la science (soit 4,8% de la programmation de France 2). Bien sûr, ils n’ont pas le droit à la première partie de soirée...

TF1, de son côté, est la seule à s’intéresser à la nature (Sur les routes d’Ushuaïa, 2 h 35 mn) et à l’économie (Les coulisses de l’économie, 55 mn). Mais il s’agit d’un intérêt nocturne et, pour ce qui est de l’économie, exclusivement libéral (l’émission étant présentée par l’indépassable Jean-Marc Sylvestre).

Bilan très provisoire

En décembre 2006, Patrice Duhamel avait martelé : « Les télévisions publiques doivent apporter, renforcer, accentuer et marquer leurs différences. Ce ne sont pas les mêmes programmes sur une télévision publique et sur une télévision privée. »

Le tableau que nous venons de dresser (et que nous synthétisons en figure 5) tend à montrer qu’il y a loin du discours à la réalité. D’abord, il n’existe pas de différence vraiment sensible entre les structures de programmation de TF1 et France 2. Ensuite, pour ce qui est du contenu, France 2 privilégie certes un peu plus la culture, mais d’une manière qui reste par trop anecdotique : en diffusant quelques téléfilms biographiques par-ci, quelques magazines culturels et scientifiques par-là et une poignée de documentaires un peu plus loin (au milieu de la nuit).

Figure 5. Bilan provisoire de la comparaison de la programmation de TF1 et de France 2 [11]

Ces premières comparaisons en appellent d’autres. Mais elles montrent qu’il existe encore des différences entre la première chaîne privée et la première chaîne publique. De là ces simples questions : ces différences suffisent-elles à distinguer le service public du service commercial ? Quelles sont celles qui méritent d’être accentuées ? Quelles sont les similitudes qui mériteraient d’être abandonnées ? Comment ? A quelles conditions ?

Ian Eschstruth

Nota bene : Les graphiques proposés à partir des chiffres fournis par Médiamétrie et le CSA ainsi que ceux qui portent sur une semaine ont été établis par Ian Eschstruth pour Acrimed. Merci à tous ceux qui souhaiteraient utiliser ces chiffres et ces graphiques de citer cette source. Le fichier Excel ayant permis d’élaborer le graphique de comparaison sur une semaine est disponible sur simple demande à acrimed@wanadoo.fr (Acrimed).

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1« La Culture à la télévision », Masse critique, France Culture, samedi 2 décembre 2006 ; toutes les citations de Patrice Duhamel qui suivent ont la même origine.

[3d’après les données de Benoît Danard, Rémy Le Champion, Les programmes audiovisuels, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2005, p. 61

[4D’après Bilan de la société privée TF1. Année 2005, CSA, décembre 2006, p. 9 et Bilan de la société nationale de programme France 2. Année 2005, CSA, novembre 2006, pp. 11 et 12.

[5Précisons que les grilles de programmes telles qu’elles sont communiquées n’incluent pas les plages publicitaires. Nous ne pourrons donc rien en dire.

[6Comme pour les études de Médiamétrie et du CSA, tous nos pourcentages expriment des rapports de durée (et non, par exemple, des rapports entre des nombres d’émissions).

[7D’après Wikipédia

[8Patrick Le Lay, PDG de TF1, Les dirigeants face au changement, éditions du Huitième jour, 2004.

[9A noter que les magazines sportifs ont été comptabilisés dans la catégorie « Sport » et non « Magazine » ce qui explique qu’ils n’apparaissent pas ici.

[10Considérés par les programmes télé comme des « magazines de société », il nous a semblé plus conforme à la réalité de ranger Sept à huit et Le Droit de savoir dans la catégorie des « magazines de reportages ».

[11Note technique  : On a estimé qu’il n’y avait pas de réelle différence quantitative lorsque l’odd-ratio TF1/France 2 était compris entre 0,5 et 1,5. (L’odd-ratio est une manière de comparer des pourcentages entre eux. Dans le cas présent, il s’agit du rapport entre les chances que le type de programme en question soit diffusé sur TF1 et les chances qu’il le soit sur France 2. Par exemple, pour les documentaires, le calcul est le suivant : [8,6/(100-8,6)]/[7,4/(100-7,4)]=1,2.).

A la une

Médias français : qui possède quoi ?

Vous avez dit « concentrations » ? Nouvelle version de notre infographie.

Louis Sarkozy : le capital médiatique s’hérite aussi

Le journalisme politique dans sa bulle.