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L’audiovisuel dans le collimateur de la droite « décomplexée »

par Grégory Rzepski, Henri Maler,

A trop se focaliser sur les liens personnels de Nicolas Sarkozy et de certains patrons de presse, à trop se concentrer sur son omniprésence, on laisse de côté l’essentiel : l’interdépendance, inédite à un tel degré, entre le pouvoir politique actuel et le pouvoir médiatique détenu par une oligarchie capitaliste [1]. Car, si jamais candidat ne spécula plus systématiquement sur la servilité des médias dominants, le président Sarkozy sait se montrer reconnaissant et accède aux désirs des magnats de la télévision privée française. En attestent les projets pour l’audiovisuel exposés au salon Mipcom à Cannes le 8 octobre 2007 par la ministre de la Culture et de la Communication.

« Une remise à plat complète du PAF, de ses structures jusqu’à son fonctionnement. » Telles seraient, d’après Les Echos du 9 octobre 2007, les intentions de Christine Albanel, ministre de la Culture. Pour « changer la donne », selon la formule de la manchette de « une » du quotidien économique, la ministre prévoit une « loi d’ensemble » en 2008, justifiée notamment par la transposition de la directive européenne Télévision sans frontière.

Le nouveau texte législatif sera articulé autour de « quatre chantiers prioritaires » qui tous font la part belle au secteur privé, qui tous poursuivent le démantèlement du secteur public. On notera sans surprise que l’avenir des télévisions associatives n’est pas l’objet d’un « chantier prioritaire ».

Défense de la production ? Défense de l’appropriation capitaliste

Première promesse : faire évoluer la réglementation afférente aux obligations des diffuseurs en matière de production. Autrement dit : abroger ou modifier les décrets Tasca (du nom de la ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement Jospin). Au nom de la défense des producteurs indépendants, ces décrets obligent les chaînes de télévision à investir une part de leur chiffre d’affaires dans la production audiovisuelle et à externaliser les deux tiers de leurs productions, au bénéfice de producteurs « indépendants », c’est-à-dire privés. Ainsi fut signé l’arrêt de mort de la Société française de production (SFP), prestataire public né de l’éclatement de l’ORTF, vendue à la holding Bolloré. La première de ces obligations (rien n’est dit, semble-t-il sur la seconde), « justifiée » par le soutien nécessaire à la création est aussi, historiquement, une contrepartie de la concession d’une partie de l’espace hertzien. Les œuvres ainsi produites ne sont donc pas la copropriété des diffuseurs… qui en sont forts marris car ils ne peuvent les rediffuser totalement à leur gré sur les nombreux segments aujourd’hui (ou très bientôt) disponibles : câble, satellite, web, télévision sur mobile… Récemment, Nicolas de Tavernost , PDG de M6,déplorait, par exemple, « une incitation négative à investir » (Les Echos, le 14 septembre 2007). Dans l’univers impitoyable du libéralisme audiovisuel, une obligation non profitable est un archaïsme ou une absurdité [2].

De la publicité avant toute chose…

La ministre promet ensuite d’accroître l’importance et la place de la publicité à la télévision. Plaidant récemment pour obtenir une coupure publicitaire supplémentaire dans les programmes de flux de France Télévision (ou pour une augmentation de la redevance), Patrick de Carolis a été éconduit [3], notamment en raison de la mobilisation des entreprises de médias. Comme le résume Les Echos (le 14 septembre 2007) : « Le secteur est vent debout contre [une coupure publicitaire supplémentaire pour le service public], des télévisions privées à la presse écrite. Les prises de position sur ce sujet se sont multipliés au cours des dernières semaines. Depuis Alain Weill, le président de Next-Radio TV, jusqu’à Bertrand Méheut, son homologue chez Canal +, et Nicolas de Tavernost, le président de M6, jusqu’aux syndicats de presse nationale, régionale et magazine. » Le lobbying des grandes chaînes privées revendiquant, en outre, un alignement de la publicité sur l’heure d’horloge en lieu et place de l’heure glissante et une autre coupure publicitaire dans les films a également fonctionné. Peu importe, cette fois, le risque de voir souffrir la presse écrite [4], risque invoqué pour retoquer Carolis. Les Echos note que : « Le seul passage de la publicité de l’heure mobile à l’heure d’horloge permettrait aux grandes chaînes privées, TF1 en tête, de récolter plusieurs dizaines de millions d’euros de recettes supplémentaires. » Dans l’univers impitoyable du libéralisme audiovisuel, satisfaire « l’abominable vénalité » des grands groupes audiovisuels prévaut sur toute autre considération.

Des groupes privés de plus en plus concentrés

Quels sont ces grands groupes ? Bouygues, Lagardère, Vivendi et Bertelsmann. Quatre groupes de dimension internationale qui détiennent quasiment à eux seuls l’ensemble de l’audiovisuel privé français. Mais ce n’est manifestement pas assez ! Sous prétexte de faire émerger des entreprises capables de rivaliser avec les plus grands conglomérats internationaux du secteur, la ministre Albanel annonce vouloir réformer les dispositions anti-concentration : d’après Les Echos (citant « certains observateurs »), « la règle interdisant à un actionnaire de détenir plus de 49 % d’une chaîne hertzienne a bel et bien vécu. » [5]

Le pluralisme politique et la diversité culturelle ? C’est au marché, et au marché seul, d’en décider ! Alors que leur défense et leur développement impliquerait la mise en œuvre des dispositifs visant, directement et indirectement, à limiter les concentrations financiarisées et à renforcer les médias sans but lucratif et les droits des journalistes et des salariés [6], la droite au pouvoir choisit de remettre en cause ces dispositifs pour servir les intérêts capitalistes qui possèdent l’audiovisuel privé et la presse écrite. Comme l’écrivait Fernand Braudel : « Le capitalisme ne triomphe que lorsqu’il s’identifie avec l’Etat, que lorsqu’il est l’Etat [7]. »

Feu sur l’audiovisuel public

Le dernier des quatre « chantiers » ouverts par Christine Albanel est la refonte de l’audiovisuel public.

- La « rationalisation » de l’audiovisuel extérieur est déjà en cours. Le rapprochement de TV5, RFI et France 24 se ferait soit sous la forme d’une fusion, soit par la création d’une holding [8].

- La fusion France 2 – France 3 pourrait également être à l’ordre du jour. Selon Le Monde du 9 octobre 2007, il s’agirait de « parvenir à une "mutualisation des moyens et peut-être à une fusion" des chaînes France 2 et France 3. (...) Ce sont les fonctions dites "support" qui sont visées. En clair, les services administratifs (l’informatique, les ressources humaines ou encore les services financiers) pourraient être mutualisés. Même si ce n’est pas "une priorité", notamment parce qu’elles remplissent des missions très différentes, les rédactions de France 2 et France 3 pourraient aussi être mises en commun pour former une "news factory". L’objectif de ce rapprochement est de parvenir à une économie de 3 % à 4 % sur les 2,8 milliards d’euros de budget annuel de France Télévisions. Le service public pourrait perdre 900 emplois d’ici à la fin 2012, soit près de 10 % de ses effectifs. »

- Et sur le financement ? Rien. S’il n’est pas question d’augmenter la publicité sur les chaînes publiques, ce n’est pas pour limiter son emprise, mais pour favoriser le secteur privé. Et comme il n’est pas question d’augmenter la redevance, le secteur public se verra confier à la fois des objectifs d’audiences et des missions culturelles qu’il n’est pas en mesure de remplir, jusqu’au jour radieux où la droite « décomplexée », voire une gauche qui ne le serait pas moins, proposera de le réduire encore ou de le transformer en « Bantoustan » du PAF : une réserve où Arlette Chabot et Michel Drucker auront trouvé des successeurs « innovants ».

Sans surprise, « TF1, M6 et Canal+ ont vu leurs actions respectives décoller, mardi matin 9 octobre à la Bourse de Paris, grâce au projet de réforme de l’audiovisuel annoncé lundi par la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel. Peu après 15h, TF1 prenait 10,02% à 20,86 euros, Canal+ 6,60% à 8,40 euros et M6 Metropole TV 9,63% à 23 euros, dans un marché parisien en baisse de 0,34% [9]. »

Ce qui se trame ainsi est grave. Faut-il dès lors se satisfaire d’une critique des médias dans les médias qui, dépolitisée, mais « branchée », se bornerait à amuser sa clientèle en collectionnant les « dérapages » et en multipliant les cris d’indignation contre l’omniprésence et les interventions de Sarkozy (ou de ses proches) ? Ou est-il indispensable, sans négliger les hauts faits des princes qui nous gouvernent et des médiacrates qui les servent, de contester leur rôle pour contester leur politique ? Une critique radicale des médias prend les choses à la racine. La racine ou les racines, ce sont les formes d’appropriation des médias, les modalités de leur financement, les conditions de travail de leurs salariés, et en particulier le statut des journalistes, comme le rappelle leur intersyndicale [10]. S’en souvenir c’est traiter la question des médias – en l’occurrence la question de l’avenir de audiovisuel – comme une question politique qui appelle la mobilisation de tous ceux qui contestent l’ordre néolibéral. Nous essaierons d’y contribuer.

Henri Maler et Grégory Rzepski

 La ministre et son double. - « Il n’y a qu’un seul ministre de la Communication, il est rue de Valois ! », déclare Madame la Ministre au Midcom. Comment la croire ? Le démantèlement de l’audiovisuel public est piloté par Georges-Marc Benamou, conseiller pour la culture et l’audiovisuel du Président. Pseudo-trublion, prêt à servir tous les pouvoirs, capitaliste ou politique, de gauche ou de droite, Benamou est passé en quelques années de Globe, hebdomadaire branché et mitterrandolâtre, au sarkozysme. Avec, toutefois, une certaine cohérence dans son itinéraire de journaliste-conseiller du prince puisque de L’Evénement du jeudi (qu’il a dirigé de 1997 à 1999) en passant par Europe 1, La Provence et Nice-Matin, il a d’abord été un serviteur du groupe Lagardère [11], un des plus puissants oligarques français dans le secteur des médias, le « frère » de Nicolas Sarkozy [12].

 
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Notes

[2Un retour de la production elle-même au sein des chaînes ? C’est improbable. C’est pourtant souhaitable, du moins pour le secteur public, à condition que celui-ci, après la mort de la SFP, dispose des outils et des moyens de maîtriser de sa production.

[4Cette presse écrite « qui a dû déjà s’adapter à l’apparition des journaux gratuits, de l’information sur Internet et au développement des télévisions locales » comme l’expliquait pourtant Albanel aux Echos, le 14 septembre 2007.

[5Pour mémoire, le seuil limitant la part détenu du capital pour l’audiovisuel privé a été relevé de 25% à 49% par la loi Carignon de janvier 1994, une loi conçue par un gouvernement dont Nicolas Sarkozy était simplement le porte-parole. Aujourd’hui président, il reste l’homme de main des grands du secteur : Lagardère et Bouygues, notamment.

[7La Dynamique du capitalisme, Champs Flammarion, 1985, p. 68.

[8Voir « Audiovisuel extérieur : Christine Albanel veut “avancer avec modestie” », (Les Echos du 14 septembre 2007) et « L’Actualité des médias n°60 ».

[9D’après Le Nouvelobs.com.

[11Comme le relate Le Plan B n°10 : En juin 1986, Globe, le magazine dirigé alors par Benamou « applaudit la privatisation de TF1 annoncée par François Léotard, qui sonne le glas de la “ religion du service public ” ; en juillet, le magazine assène en couverture que “ Le privé c’est pas si con ”. L’édition de mars avait pourtant publié un manifeste, signé par BHL, qui listait les mesures formant “ l’infranchissable limite au-delà de laquelle c’est notre culture démocratique qui se verrait entamée ”. Y figurait “ la remise en cause du principe de service public, de radio et de télévision. ” Comment expliquer ce revirement ? Lagardère, candidat à l’acquisition de la chaîne publique, avait sifflé la fin de la récréation et exigé de ses caudataires (dont BHL, directeur de collection à Grasset [propriété de Lagardère, note d’Acrimed]) qu’ils revoient leurs positions. Ce que Lévy, son boy Benamou et Globe à sa suite, s’empressèrent de faire ».

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