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Préparatifs médiatiques des grèves du 18 octobre

« La France prise en otages » (France Soir), « Une majorité de Français contre la grève » (Le Figaro avec une photo de quai de gare bondée), « Jeudi noir dans les transports » (en « une » du Monde.fr), « C’est parti pour la grande galère » (en « une » du site internet de RTL) : Le 17 octobre, à la veille de la journée d’action, les titres de la plupart des titres de presse écrite ou des sites Internet d’information recyclent une nouvelle fois les expressions éculées (voir en « Annexe »), les commentaires prémâchés et hostiles aux salariés en lutte, mais de rigueur par temps de mobilisations sociales [1]. Passage en revue…

Et d’abord, le titre de « Une » qui propose l’alternative la plus judicieuse :

Généralement, dans les titres mêmes (et plus encore dans les « informations »), on retrouve le déplacement habituel du conflit. Informant sur les effets plutôt que sur les motifs du conflit, la plupart des médias opposent les grévistes aux « usagers », plutôt qu’à leurs employeurs ou au gouvernement qui s’attaque à leurs droits. Quand les motifs du mouvement sont évoqués, seule la question des « régimes spéciaux » est mentionnée, alors que les revendications sont beaucoup plus larges et diverses.

Ainsi, la presse écrite quand elle ne vient pas ouvertement au secours du gouvernement, lui vient indirectement en aide... en déclarant sa solidarité avec les usagers, informés sur les désagréments qu’ils vont subir et conseillés avec tendresse. Var-Matin titre ainsi le 17 octobre : « Ce qui vous attend demain dans le Var ». Paris Normandie décline la même idée : « Grève en Haute-Normandie. Ce qui vous attend demain » Pour L’Union, le même jour, la question principale est : « Jeudi noir : comment faire face ».

Les sondages laissant croire, pour la plupart d’entre eux, que les Français sont hostiles aux grévistes et à leurs revendications, les éditorialistes prétendent, plus que jamais, parler au nom de l’opinion. Et c’est sans la moindre retenue qu’il lancent leurs commentaires à la tête des salariés « privilégiés ». Dans la presse quotidienne et hebdomadaire, sur les radios, le chœur des gardiens du consensus entonne son hymne à la « réforme ». Jean-Jacques Camus explique ainsi le 18 octobre dans La République du Centre  : « Tout le monde sait que la réforme des régimes spéciaux de retraite est inéluctable [2]. » Hervé Chabaud lui fait écho le même jour dans L’Union : « Ne rien faire serait synonyme de lâcheté envers combien de générations d’actifs et de jeunes qui ne sont pas encore sur le marché du travail ? » Il faudrait même aller encore plus loin puisque selon Patrick Fluckiger dans L’Alsace du même jour : « Chacun sait que le simple alignement des cotisations ne suffira pas à garantir le système général des retraites. »

Au diapason de ses confrères, Hubert Coudurier expliquait ainsi le 17 octobre, dans Le Télégramme de Brest  : « La légitimité d’un alignement de la durée de cotisation des régimes spéciaux est incontestable . On peut s’étonner que la gauche qui brandit constamment la notion d’égalité ne l’ait pas faite. » On s’étonne d’autant plus qu’une « immense » figure de la « gauche intellectuelle », Jean Daniel, assène dans Le Nouvel Observateur  : « En principe, le sujet est de savoir s’il faut supprimer les régimes spéciaux de retraite pour les aligner sur le régime de la fonction publique. A la question posée comme je viens de le faire, la réponse est évidemment oui . Et l’on trouve qu’ après l’injustice faite à Alain Juppé en 1995 (et que devaient déplorer plus tard quelques éminentes personnalités de gauche), il serait temps de devenir raisonnable . Le dialogue a eu lieu entre l’Etat et les syndicats, et le ministre négociateur, Xavier Bertrand, n’a pas une réputation d’homme irascible. »

Le 18 octobre encore, ces mêmes (petits) maîtres-penseurs sont prompts à stigmatiser les « crispations » (Philippe Waucampt dans Le Républicain Lorrain), « la fièvre des assemblées générales » (Hervé Favre dans La Voix du Nord) mais aussi la « guérilla » (Dominique Quinio dans La Croix), le « baroud d’honneur » (Jacques Camus dans La République du Centre) des syndicats et des salariés mobilisés. D’irrationnels fauteurs de trouble, en somme. Comme d’habitude…

Les sondages ? Lire ici même : « Après les grèves du 18 octobre, faire la grève des sondages ? ». Le 17 octobre, Metro titre : « La réforme oui, la grève non » en s’appuyant sur un sondage IFOP commandé par ses soins précisant que 82% des sondés ayant répondu seraient favorables à une réforme des régimes spéciaux de retraite et 61% seraient hostiles à la grève. Pourtant, ce même jour, L’Humanité titre en « Une » : « Sondage CSA pour L’Humanité. 54 % des Français soutiennent la grève ». Que conclure de ces contradictions (qu’une analyse des questions posées et de la signification des réponses permet d’éclairer) sinon qu’elles révèlent déjà la validité de ces « thermomètres » sociaux qui, s’ils font l’opinion, font surtout l’opinion des journalistes qui les accréditent.

Et les JT ? Si Le 19/20 de France 3 du 17 octobre est introduit par un reportage sur « Les voyageurs [qui] se préparent à une belle pagaille », il propose un reportage sur les revendications des grévistes et donne la parole à deux syndicalistes [3]. Rien de tel, on s’en doute, le même jour, dans le journal télévisé de 20h de TF1 Un premier reportage fait le point sur « un jeudi noir dans la France entière [On voit un voyageur monter dans un RER bondé] ». Patrick Poivre d’Arvor introduit ensuite un second reportage sur le nécessaire « recours au système D pour conjurer cette paralysie des transports publics ». En pratique, il s’agit d’un habituel micro-trottoir qui enchaîne les témoignages (« Je crois que ça va être galère  », « Je vais pas au boulot demain à cause des grévistes  »). Enfin, un dernier reportage analyse ce qui aurait changé si la loi sur le service minimum était entrée en vigueur. « Pas grand chose » selon PPDA. Les revendications des grévistes ? « Pas grand chose » non plus. A dire vrai, rien.

Le 18 à deux heures du matin, le journaliste (non gréviste) qui présente le flash sur France Inter annonce lui aussi la couleur : « C’est le jour G comme grève. Elle a déjà commencé mais le pire est à venir évidemment. » Il parlait ainsi de la grève, et non d’un certain journalisme.


Annexe : Pour prendre la mesure de l’originalité troublante et de la diversité profonde de la plupart des médias (et en particulier de la presse écrite), petit florilège...

 Jeudi noir » :

Des le 8 octobre, le « Portail Orange » donnait le ton (lire ici même : « Le « Portail Orange » mobilise contre les grévistes du 18 octobre ») : « Piqués de grève. B. Thibault et les syndicats promettent un jeudi noir ». Le 15 octobre, RTL titrait sur son site « Jeudi noir en perspective dans les transports ». Le 17, Le Courrier de l’Ouest, Le Maine Libre [Groupe Ouest France] annoncent : « Jeudi noir sur les rails ». Midi Libre  : « Jeudi noir en perspective pour les usagers du train ». L’Union : « Jeudi noir : comment faire face ». Sur www.europe1.fr, à 20h02 : « Grève des transports : le jeudi noir a commencé ». Le Monde, sur son site, pour faire autorité (c’est le rôle qu’il s’attribue ne craint pas de risquer une trouvaille « Jeudi noir dans les transports ». Sur tf1lci.fr : « Jeudi noir dans les transports ». Et quand la référence au « jeudi noir » n’apparaît pas dans les titres, elle se retrouve dans des sous-titres ou corps d’articles ou éditoriaux. Ainsi, dans Paris-Normandie : « Manifestations. Le gouvernement s’attend à un jeudi noir à l’occasion de la journée d’action sur les régimes spéciaux ». En page intérieure, le quotidien sous-titre : « Mouvement social : Un jeudi noir est en vue pour demain avec une grève qui s’annonce massivement suivie pour protester contre la réforme des régimes spéciaux. » Le titre ? « Ça va être la galère... »

 « La galère » qui « vous attend »

Nice - Matin [Groupe Hersant Médias] : « Grèves : ce qui vous attend demain dans les A.M. » Var Matin [Groupe Hersant Médias] : « Ce qui vous attend demain dans le Var ». Le site électronique du Figaro titre le 17 au matin... « Grève des Transports : ce qui vous attend demain ». Les Echos répliquent sur leur site à 15h24 : « Grève des transports : ce qui vous attend... » Paris Normandie, Le Havre - Presse, Le Progrès de Fécamp [Groupe Hersant Médias], dans la rubrique « France Monde » : « Ça va être la galère… » L’indépendant Catalan  : « Transports : un jeudi de grosse galère ». RTL sur son site électronique le 17 octobre : « C’est parti pour la grande galère ». Le site du Figaro innove : « Toutes les adresses pour éviter la galère ». Le 16 octobre, le site de Libération [« avec de sources AFP »], la « maison de toute la gauche » affichait un article titré... « Grève : nos conseils pour éviter la galère ».

 
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Notes

[1Analysées, entre autres, dans notre livre Médias et mobilisations sociales. La morgue et le mépris ?, que quelques internautes n’ont pas encore acheté (et qui est toujours en vente en ligne sur le site des Editions Syllepse.

[2Les citations des éditoriaux de la PQR sont extraits de la revue de presse du site www.nouvelobs.com.

[3Dans un reportage, pas en plateau, réservé à Laurent Fabius…, il ne faut rien exagérer…

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