Un traité qui nous veut du bien
De l’avis même de quelques journalistes qui l‘approuvent, le Traité dit « simplifié » [1] reprend pour l’essentiel celui qui avait été rejeté lors du référendum du 29 mai 2005. Jean Quatremer, qui ne dissimule guère son approbation, le reconnaissait dans Libération dès le 19 juin 2007 : : « Disons-le tout net : le « traité simplifié » que le chef de l’Etat français appelle de ses vœux et qu’il espère voir adopter par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui se tient jeudi et vendredi n’est rien d’autre que la défunte “Constitution” présentée avec un autre habillage. Dit autrement, le futur texte n’en aura pas le titre, il n’en aura pas l’apparence, mais il aura le même contenu, à quelques éléments près. » Ceux qui s’y opposent, comme Attac, ne disent pas autre chose [2]. Mais la plupart des médias se gardent bien d’établir la comparaison.
On ne sera donc pas étonné que la quasi-totalité de ces mêmes médias et des éditorialistes qui les décorent, implicitement ou explicitement, se réjouisse, avec plus ou moins d’enthousiasme, de voir confirmer l’essentiel du Traité rejeté par référendum. L’éditorial du Monde du 20 octobre - « Europe, une étape » - résume le sentiment de presque tous : « Enfin. En approuvant le traité simplifié, les Vingt-Sept ont mis un terme à la querelle institutionnelle dans laquelle les Européens s’épuisaient depuis le traité de Maastricht de 1991. Le résultat n’est pas parfait. Mais il n’y avait sans doute pas, aujourd’hui, d’autre compromis possible. »
On ne sera pas étonné non plus que leurs arguments se ressemblent et que, aussi discutables soient-ils, ils ne soient pas présentés comme tels. Principal argument ? Le nouveau traité permettrait de sortir l’Europe de « l’impasse » dans laquelle elle serait bloquée depuis les « non » Français et Néerlandais.
Dès le 19 octobre, les J.T. avaient donné le ton, entre soulagement et acclamation. Catherine Matausch (19/20 de France 3) : « L’Europe à 27 à nouveau en marche [...] deux ans après le non français à la Constitution. » François Beaudonnet (envoyé spécial de France 2) : « Il y a deux ans avec le référendum, la France avait plongé l’Europe dans une grave crise institutionnelle ; aujourd’hui à Lisbonne, avec le Traité simplifié, elle espère l’avoir aidée à sortir de l’impasse. » Claire Chazal (sur TF1, bien sûr) : « Chacun y voit une chance de sortir l’Europe de la crise institutionnelle. » Qui nous dira qui est ce « chacun » qui nous englobe tous ?
Le lendemain, 20 octobre, la presse écrite est au diapason [3]. Dans Le Journal de la Haute-Marne Patrice Chabanet est soulagé : « L’accord de Lisbonne marque une avancée après la crise déclenchée par les "non" français et hollandais. » Andre Schlecht lui fait écho dans L’Alsace : « L’Union est sortie de l’impasse . » Hervé Faure ne dit rien d’autre dans La Voix du Nord : « L’accord trouvé à vingt-sept, dans la nuit de jeudi à vendredi à Lisbonne, sur le nouveau traité européen, met un terme à plus de deux années de panne institutionnelle. »
Asséner comme une vérité indiscutable ce qui mériterait discussion est un privilège d’éditorialiste tout aussi discutable. Or, le 22 juin 2007 dans Le Monde, Florence Deloche-Gaudez secrétaire générale du Centre d’études européennes de Sciences Po tempère l’ardeur des dispensateurs de pseudo-évidences : « Contrairement à une idée reçue, dit-elle, pour l’instant, l’Europe n’est pas bloquée au quotidien. Chiffres à l’appui, une étude de l’Observatoire des institutions européennes montre que l’Union continue à décider, et même plus rapidement qu’avant l’élargissement de mai 2004 à dix nouveaux pays ! » Même Jacques Espérandieu, éditorialiste au Journal du Dimanche, pourtant favorable au nouveau texte, corrige ses confrères le 24 juin 2007 : « Prétendre que l’Union ne fonctionnait plus depuis le "non" français est un pieux mensonge. »
Ce référendum qui nous ferait tant de mal
Mais ces « pédagogues » autoproclamés qui, à ce titre, avaient monopolisé la campagne de 2005 sont aussi de fervents soutiens de la démocratie [4]. C’est pourquoi nombre d’entre eux s’étaient opposés à la tenue d’un référendum pourtant maintenu par le Président Chirac. Et, une fois le résultat connu, les mêmes ne s’étaient pas bornés à le déplorer : c’est le référendum lui-même qui était mis en accusation.
On ne sera donc pas étonné que désromais la quasi-totalité des médias et des éditorialistes se réjouissent du recours à une procédure parlementaire de ratification. Toujours prompts à donner des leçons de démocratie, ils se félicitent que les gouvernements n’envisagent pas de commettre l’irréparable : soumettre le nouveau texte à référendum. Le Monde dans son éditorial daté du 20 octobre assène : « L’engagement de Nicolas Sarkozy de ne pas organiser de référendum sur ce nouveau texte est un gage de succès. »
André Schlecht dans L’Alsace, le 20 octobre, constate : « Sauf en Irlande, où la Constitution le prévoit de façon contraignante, le référendum est ouvertement déconseillé partout, pour ratifier le nouveau texte, au profit de la voie parlementaire. » Déconseillé ? Mais par qui ? Par les gouvernants ? Soit. Mais aussi par les commentateurs qui les suivent.
Patrice Chabanet dans La République de la Haute-Marne du même jour se réjouit lui aussi : « A priori, la ratification par chaque Etat-membre ne devrait pas poser de problème, dans la mesure où elle passera par le canal parlementaire. Chat échaudé craint l’eau froide : Nicolas Sarkozy n’entend pas se prendre les pieds dans le tapis référendaire comme son prédécesseur. » [5]
Le choix de la procédure parlementaire étant donné comme le meilleur, le rôle des éditorialistes, comme toujours, est de concourir à une indispensable « pédagogie ». Celle-là même que préconise François Tartarin, dans La Nouvelle République du Centre Ouest du 20 octobre 2007 : « L’accord obtenu à Lisbonne ne dissipe pas les réticences des "nonistes" de 2005 [...]. Les critiques seront d’autant plus vives que la France recourra à la ratification par voie parlementaire, et non par référendum, un choix qui rend décidément nécessaire le travail d’explication auprès de l’opinion. Pour inscrire le traité de Lisbonne dans l’histoire commune, l’Europe ne pourra faire l’économie d’un vrai projet. » [6]
Jean Quatremer, dans l’article de Libération déjà cité, expliquait : « C’est le second effet du vote du 29 mai 2005. La démocratie directe, du moins en France, a sans doute son avenir derrière elle. Surtout en matière européenne. Désormais, les Etats membres veulent qu’un gouvernement soit capable d’assumer sa signature et puisse garantir que son accord ne sera pas ensuite invalidé par son peuple. Et cela, seule la voie parlementaire le garantit [...]. Certains affirment que la négociation par les seuls diplomates, suivie d’une ratification parlementaire, va concourir à éloigner davantage les peuples de l’Europe. On peut sérieusement en douter. »
Ainsi le renoncement au référendum serait un « effet du vote du 29 mai 2005 » et non, ce qui serait plus exact, une des leçons que la plupart des politiques et des majestés du commentaire médiatique ont tiré de ce vote [7].
Alain Duhamel, au micro de RTL, le 1er juin 2007 s’indignait par avance de toute campagne en faveur du recours au référendum sur RTL : « Il y aurait sûrement de toute façon une campagne là-dessus. Cela dit je trouve que ça se serait une campagne injuste. D’abord parce que c’est plus du tout une constitution. Plus du tout. Peut-être malheureusement mais ça l’est plus. Ensuite parce que le traité de Nice il a été ratifié par voie parlementaire. Là il s’agirait d’amendement au traité de Nice. » Il suffisait donc de changer l’adjectif et de remplacer « constitutionnel » par « simplifié »… On attend toujours sur RTL le débat qui permettrait d’examiner s’il s’agit là d’arguments ou d’arguties.
Aux yeux de ces éducateurs du peuple qui, conseillers des gouvernements, enseignent une version singulière du droit constitutionnel et de la démocratie, le rejet du recours au référendum est tellement évident que Laurence Ferrari sur le plateau de Dimanche+ le 21 octobre 2007, n’interroge même pas François Hollande sur l’éventualité d’un référendum préférant le questionner, non pas sur le contenu du Traité, mais sur les divisions au sein du PS.
Ne reste alors qu’une seule inquiétude : la majorité des 3/5 sera-t-elle ou non atteinte ? Jean-Michel Helvig, dans La République des Pyrénées du 25 juin 2007, mettait déjà en garde le PS et les parlementaires éventuellement récalcitrants de ce parti : « Il ne manquerait plus que la gauche française, pour ressouder ses rangs entre "ouistes" et " nonistes " y fasse obstacle au Parlement. Le PS s’il prenait ce risque, y perdrait sans doute assez d’électeurs pour prolonger sa cure d’opposition bien au-delà de 2012. » [8]
À ce péril s’en ajoute un autre dont Alain Duhamel agite la menace sur RTL : « Ce sera une majorité des trois cinquièmes. L’opposition de gauche dispose à l’Assemblée nationale de plus de 220 sièges, donc il n’y a pas de majorité automatique [...]. Et puis il faut dire les choses comme elles sont, ça serait difficile que pour la deuxième fois, la France propose une formule, puis la refuse parce qu’à ce moment là, ce ne serait plus le pays fondateur de l’Europe, ça deviendrait le pays fossoyeur de l’Europe . » On attend toujours sur RTL et ailleurs le débat correspondant. Le suivisme à l’égard des gouvernements en tient lieu [9].
Un référendum ? Peut-être… Mais une autre fois ainsi que le suggère Jean Levallois dans La Presse de la Manche : « En fait, pour clarifier les procédures, il serait bon que, sur de grands sujets, éventuellement sur un projet de Constitution, un jour, ce soit l’ensemble des citoyens de l’Union européenne qui, le même jour, votent ensemble, par référendum, sur proposition conjointe du Conseil européen et du Parlement de Strasbourg. Ça aurait du sens, et nous connaîtrions le choix véritable des Européens. » [10]
Que l’on approuve ou non le Traité, que l’on soutienne ou non le recours à la voie parlementaire, force est de constater l’ampleur du consensus éminemment pluraliste qui permet de soustraire aux débats les objets même des débats. On se prend alors à regretter (presque…) que, au nom de ce même consensus, le référendum ne soit pas réservé aux éditorialistes, chroniqueurs, interviewers, présentateurs : l’approbation du « nouveau » traité serait presque unanime ! Et au cas où un tel référendum ne pourrait pas être organisé, qu’on les réunisse à Congrès à Versailles : la majorité des 3/5 serait largement dépassée !
Les médias de masse sont, nous dit-on, des garants de la démocratie. Soit. Mais ils peuvent être aussi les gardiens de sa mise en quarantaine au nom de la « pédagogie » et de la raison... des gouvernants.
Henri Maler et Denis Perais