Alors que Bernard Arnault (patron de LVMH) s’apprête à s’emparer du premier quotidien économique français Les Echos (et à vendre La Tribune) [1], l’émotion des dignitaires du journalisme français reste très contenue face à ce nouvel achat dans le jeu de monopoly des entreprises médiatiques.
De son côté, le pouvoir politique se satisfait même d’une telle acquisition. Le conseiller audiovisuel de Nicolas Sarkozy, Georges-Marc Benamou, constant dans sa fidélité avec le pouvoir d’où qu’il vienne, estime que « c’est une formidable nouvelle pour un journal qu’un industriel l’achète pour 240 millions d’euros. » (BFM, 6 novembre 2007) Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, assure quant à elle que « le groupe LVMH a pleinement respecté le droit de la concurrence. » [2]
Aveugles au-delà des frontières, les amis médiatiques et politiques du tout-libéral seraient-il sourds aux inquiétudes que suscite ce rachat chez « nos voisins » européens ?
Dans le numéro des Echos du 8 novembre 2007 (qui a suivi les deux jours de grève et de non-parution du quotidien) plusieurs journalistes étrangers se sont exprimés, avec stupéfaction, sur le mode de financement des médias français. Avec pour thème central : « cela serait impossible chez nous ».
Le néerlandais Stefan de Vries de BNR Nieuwsradio et RTL 4 Nieuws s’étonne que « Bernard Arnault ne voie pas, ou ne veuille pas voir la confusion qu’un éventuel rachat des Echos par LVMH créerait ». « Il est difficile, souligne-t-il, d’imaginer un autre pays européen où des marchands d’armes et des vendeurs de produits de luxe posséderaient la presse libre sans que le public se révolte. »
Le danois Aske Munck, de Politiken, ose un parallèle qui lui vaudrait en France un procès en « théorie du complot » : « Quand je raconte au Danemark le poids dans la presse quotidienne française de proches du pouvoir et d’industriels comme Bolloré, Lagardère et Dassault, on m’interpelle souvent : "Mais alors, la France est en voie de berlusconisation !". » Avant d’ajouter qu’ « un tel paysage médiatique serait inconcevable au Danemark. Personne n’est assez naïf pour croire qu’un industriel de l’armement ou du pétrole ou de biens de consommation qui investit dans la presse quotidienne le fait pour gagner de l’argent. Car le secteur est notoirement peu rentable. Et ce n’est pas un hasard si aucun journal danois n’a été racheté par un non-professionnel de la presse ou de l’édition. »
Alors si ce n’est pas pour gagner de l’argent, pourquoi LVMH rachète-t-il Les Echos ?
La réponse sans équivoque de Stefan Braendle, journaliste à Der Standard, lui vaudrait en France un procès en marxisme simpliste : « Car si un futur propriétaire déploie tant de moyens pour arriver à ses fins il attendra un juste retour sur investissement : une “bonne presse ” pour LVMH. » Même réponse pour Octavi Marti du journal El Pais : « ses grands actionnaires sont là, non pour gagner vraiment de l’argent, mais plutôt pour asseoir leur influence et leur pouvoir politico-économique, voire contrôler l’information. C’est un choix, mais ce choix ne convient pas au journalisme. »
Ces inquiétudes se retrouvent chez l’allemand Lutz Meier du Financial Times Deutschland : « Pour les Allemands, il est particulièrement difficile de comprendre qu’un pays dont on a tant appris sur les principes démocratiques et les valeurs républicaines ait connu une évolution si problématique en matière de médias. Et particulièrement le fait que les grands journaux influents soient contrôlés par des actionnaires qui ne semblent pas avoir investi dans la presse pour la presse, mais pour d’autres raisons. En Allemagne, des médias forts, indépendants et pluralistes sont considérés comme la base de la démocratie. Ce principe sacré est l’un des enseignements tirés du nazisme. »
Peut-être « nos voisins » idéalisent-ils la presse de leur propre pays. Mais leur critique de la situation française ressemble à s’y méprendre à celle que nous pratiquons. Et pourtant aucun d’entre eux n’a encore demandé son adhésion à notre association. Patience…