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Journalisme d’insinuation et de révérence contre des étudiants en lutte

« Informer sur les faits ne pose que des problèmes techniques : il faut confronter les sources, vérifier les chiffres, fournir les indications les plus récentes et les plus complètes possible. » (Le Monde du 18 novembre 2007, dans son sermon contre les acteurs des mobilisations sociales, en général et étudiantes en particulier).

A Strasbourg, les étudiants en lutte ont pu vérifier comment certains de ces « problèmes techniques » sont résolus.

Un exemple, parmi des centaines d’autres, de journalisme d’insinuation et de révérence que conteste l’AG des étudiants.

Un incendie à charge contre les étudiants mobilisés

 Le Nouvel Obs.com, le 16 novembre 2007 publie, sous le titre « Plainte de Strasbourg II après un début d’incendie », un article, fondé, semble-t-il, sur une dépêche d’Associated Press, que le « chapeau » résume ainsi : «  Un incendie s’est déclaré vendredi matin dans une salle de cours, alors qu’une AG d’étudiants se tenait non loin . L’établissement a été fermé . » Trois faits exacts, mais le rapprochement entre les deux premiers est délibérément suggestif, comme le confirme la suite qui accrédite en les citant, sans la moindre vérification, les mensonges – comme on le verra plus loin – de Valérie Pécresse.

« L’université Marc-Bloch (Strasbourg II) a porté plainte vendredi 16 novembre après un début d’incendie à la mi-journée dans une de ses salles de cours, a-t-on appris auprès de la présidence.

Alors qu’une assemblée générale d’étudiants se tenait dans le hall d’entrée d’un des bâtiments de l’université, un rideau a pris feu vers 13h dans une salle vide après les cours du matin. Le sinistre ne s’est cependant pas propagé de façon importante. Après l’évacuation du bâtiment à cause des fumées et l’intervention des pompiers, l’immeuble a été fermé au public. […] La ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse a condamné "avec vigueur" un "incendie intentionnel (...) provoqué par des individus qui participaient au blocage de l’université" . Les étudiants qui la bloquaient avaient toutefois été évacués sans heurts jeudi soir par les forces de l’ordre. Dans un communiqué, Valérie Pécresse a renouvelé son appel à la fin des blocages dans les facultés. (avec AP) »

Des accusations mensongères (le blocage de l’université n’a pas été décidé), des affirmations sans preuve et partant diffamatoires reproduites sans la moindre vérification.

 France 3 Alsace, sous le titre « "Un bâtiment de l’UMB fermé jusqu’à lundi" publie le même jour un communiqué de l’AFP qui dément partiellement les propos de la ministre sur le blocage de l’Université, mais qui accrédite la version des autorités universitaires et confirme le rapprochement entre l’incendie et la tenu d’une Assemblée générale :

« L’incendie s’est déclaré vendredi matin dans une salle alors que se tenait à proximité une assemblée générale des étudiants, a indiqué le secrétaire général de l’université. Des rideaux d’une salle de cours étaient en feu lorsque l’alerte a été donnée. Les pompiers sont intervenus et ont rapidement maîtrisé l’incendie tandis que les étudiants ont été tous évacués, a précisé M. Baraton. "Nous avons pensé que, pour ne prendre aucun risque, il était préférable de fermer l’université aux étudiants jusqu’à lundi", a-t-il expliqué. L’origine de l’incendie demeure inconnue. "Nous avons porté plainte, puisqu’il y a eu dégradation des locaux", a encore indiqué M. Baraton. Dans un communiqué, la ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse a assuré que le "procureur de la République a été saisi de ces faits par le Président de l’université". "Il s’agissait a priori d’un incendie volontaire qui commençait à se propager au plafond" de la salle de cours, a précisé une source à la présidence de cette université qui compte 12.000 étudiants. Mme Pécresse a de son côté "condamné avec vigueur" cet "incendie intentionnel", provoqué selon elle "par des individus qui participaient au blocage". Le blocage de l’université n’a jamais été voté en assemblée générale. Une quinzaine de jeunes gens qui occupaient un amphithéâtre ont été évacués jeudi soir sur réquisition du rectorat. En revanche, au moment de l’alerte, une assemblée générale, à laquelle participaient environ 300 étudiants, se tenait dans le hall de l’université, à proximité de cette salle de cours. Jugeant l’incendie "inacceptable", Mme Pécresse a précisé qu’il faisait "suite à des actes d’intimidation à l’égard des personnels de l’université". Elle a renouvelé "son appel aux syndicats et aux étudiants à cesser les blocages qui sont sources de violence et d’affrontements". […] AFP »

Les accusations de Valérie Pécresse sont partiellement et discrètement démenties. Mais l’insinuation est maintenue, sans la moindre vérification [1].

Et il se trouve encore des journalistes pour se demander si la « suspicion » à l’égard des médias, comme ils disent, ne relève pas de la « paranoïa » comme ils disent également.

La réplique de l’AG des étudiants

L’AG de L’Université Marc-Bloch de Strasbourg (UMB) a adopté le mardi 20 novembre 2007 le communiqué suivant :

« Les évènements survenus vendredi 16 novembre à l’Université Marc Bloch (UMB) et la manière dont ils ont été traités démontrent une nouvelle fois les collusions objectives qui animent l’ordre dominant administratif qui se fait le relais des logiques politico-économiques d’un gouverne-ment et la quasi totalité des media aussi bien papiers que télévisuels.

Un feu s’est effectivement déclaré dans une salle du bâtiment 3 du Patio au cours de l’Assemblée Générale réunissant près de 400 étudiants. Le Nouvel Observateur, pourtant déjà une vieille parution, écrit avoir « appris auprès de la présidence » que « L’université Marc-Bloch (Strasbourg II) a porté plainte vendredi 16 novembre après un début d’incendie à la mi-journée dans une de ses salles de cours ». Le même article cite Valérie Pécresse « condamnant avec "vigueur" un "incendie intentionnel (...) provoqué par des individus qui participaient au blocage de l’université" ».

Benoîtement, les politiques, qu’ils soient femmes ou hommes, dans les media, peuvent sans crainte se faire juges et partis sans craindre l’attaque en diffamation. Sans rien commenter de tout cela, l’article qui se veut sûrement relever d’un journalisme rigoureux, nous livre un fait comme une vérité d’Etat assénée avec tant de vigueur qu’on peut se demander si l’assurance de ces propos ne cache pas autre chose. Faut-il encore rappeler, pour prouver « les vues et les bévues » de cette chère ministre, qu’il n’y a jamais eu aucun blocage à l’UMB.

Le journal L’Alsace livre, lui, les propos du bras droit de Bernard Michon, Monsieur Baraton, véritable petit-chef et tyran du personnel : « Nous avons pensé que, pour ne prendre aucun risque, il était préférable de fermer l’université aux étudiants jusqu’à lundi ». Presque jamais, n’est dit que tous les amphithéâtres avaient été fermés dès 11h le même vendredi pour empêcher les étudiants de se réunir attentant, par-là, à leur liberté d’expression et les obligeant à se retrouver dans le hall principal du bâtiment. Rien n’est dit encore du fait que la fumée aperçue depuis quelques minutes par les étudiants n’a été officiellement signalée que par l’un des responsables administratifs et que, c’est seulement 15 à 20 minutes après ce constat susceptible de laisser croire à un nouveau bluff de l’administration, que les alarmes ont retenti. […]

S’il y a de quoi s’interroger, reste que tous les journaux s’emparent du pain béni que représente la parole officielle des personnes les mieux placées : comme si la vérité sur le monde, mieux, la vérité sur leur monde et celui qu’ils nous préparent, était celle qui faisait loi. Quand ce n’est pas cela, c’est le spectaculaire qui est mis en titre comme en ouverture des articles ou encore le formidable courage de Bernard Michon ayant porté une nouvelle plainte après les deux autres portées contre X pour : « des tags anti-CRS et anti-UNEF, tracés à la bombe à peinture noire » (tout le monde a vu que ces tags étaient gris métallisé) et des menaces verbales. Eléments évidemment indiqués dans un encart réservé à ce cher Bernard Michon dans les DNA. […]

La liste serait longue des mises en avant et mises en exergues écœurantes de propos de personnes qui ont tout intérêt à ce qu’aucune contestation ne s’élève ; les présidents eux-mêmes, futurs chefs d’entreprise, sont trop contents de voir leurs pouvoirs décuplés par la réforme que l’on veut faire passer au sein des universités. Les journalistes, les media, qu’ils en soient conscients ou pas, se jettent sur ces paroles d’évangile en définitive assez rassurantes pour eux et leur position, ce qui montre bien que dans notre pays, il y a une différence de traitement automatique de la parole et que l’on est plus à même de croire un membre de l’appareil, aussi vil soit-il, non pour la vérité de ses propos, mais en raison de la position qu’il occupe et en raison de l’ordre qu’il représente. C’est dire que la liberté de presse et la liberté d’expression, dans notre pays, sont aujourd’hui de vains mots, des croyances que l’on accepte comme cette blague du « travailler plus pour gagner plus ». Rien n’est dit par exemple des mots véritablement racistes qu’un administrateur a clairement exprimé à un étudiant, la parole de ce dernier compter largement moins que celle de ceux qui se définissent comme des « serviteurs de l’Etat » ; aussi injuste, totalitaire soit-il, il faut le servir, ce qui n’est pas sans rappeler quelques années noires. Rien n’est dit non plus de l’interdiction d’affichage dans le hall du Patio complètement vidé par l’administration, initiative allant réellement contre la liberté d’expression. Rien du tout. […]

Les media et d’autres séides, véritables « casseurs de grèves » pour rêve de capitalisme tonitruant et élitiste, sont aussi parmi les complices patentés de ceux qui tentent d’empêcher un mouvement et de le réduire à de simples fauteurs de troubles sans cervelles, utopistes ou sans arguments. Les conditions de travail et d’apprentissage, l’augmentation généralisée des inégalités sociales que nous laissent entrevoir les différentes réformes sont inhumaines et intolérables : c’est parce que les étudiants réunis à Strasbourg et ailleurs ont conscience de cela et qu’ils militent contre un intérêt commun privatisé, que jamais ils ne se seraient tirés une balle dans le pied en allumant ce feu qui prend la forme d’un faux incendie fédérant vraiment ceux qui veulent nous réduire à « être de la chair à patron ». En l’état donc, l’Assemblée Générale condamne fermement cet acte, le déplore et se dégage de toute responsabilité.

De sorte que, s’il n’y a pas de fumée sans feu et que Valérie Pécresse continue « son appel aux syndicats et aux étudiants à cesser les blocages qui sont sources de violence et d’affrontements », il ne faudrait pas non plus nous faire prendre un feu pour une fumée, une cause pour une conséquence, car c’est bien sa réforme et celles qui s’appliquent dans le différents services publiques qui sont pour le moment « source de violence et d’affrontement ». […] »

AG de L’Université Marc-Bloch de Strasbourg (UMB)
Communiqué voté par l’AG, le mardi 20 novembre 2007.

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Notes

[1L’Alsace et Les Dernières Nouvelles d’Alsace ont conforté, eux aussi, la version des autorités.

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