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Royal soutient MediaPart : tempêtes dans un verre à dents… longues

par Marie-Anne Boutoleau,

Le jeudi 13 décembre, Ségolène Royal invitait par courriel l’ensemble des militants de Désirs d’Avenir à soutenir MédiaPart, le projet de site d’information « participatif » et payant porté entre autres par Edwy Plenel, ex-directeur de la rédaction du Monde. Immédiatement, l’information a été reprise par de nombreux sites web, et abondamment commentée par l’ensemble de la « galaxie » de l’Internet « citoyen » [1]. Enjeu : le positionnement de chacun sur un créneau en pleine expansion, et de moins en moins gratuit. Une bataille de pistolets à eau dans un bac à sable, pour déterminer qui est le plus « indépendant » et le plus « beau ».

Depuis quelques mois, le nombre de sites « indépendants » à prétention « citoyenne » et « participative » explose. Blogs ou sites d’actualités, la plupart des plus connus ont pour caractéristiques communes d’être chapeautés par un ou plusieurs journalistes professionnels, souvent issus de la « grande » presse et de prétendre faire participer le public, invité à commenter le contenu ou à proposer des articles, reportages, etc. Parmi eux : AgoraVox, Rue 89 (fondé par des transfuges de Libération), Arrêt sur images (qui est pour l’instant le blog de l’équipe de l’émission défunte de Daniel Schneidermann), nonfiction.fr (dont le directeur éditorial est Frédéric Martel, producteur à France Culture), La Télé Libre (fondée par John-Paul Lepers, ancien reporter au Vrai Journal de Canal + et ex-chroniqueur d’Arrêt sur images)... Ces sites cherchent à se positionner sur un « marché » porteur, alors même que certains d’entre eux ont choisi – chose nouvelle sur le web francophone – de faire payer tout ou partie de leur contenu à leur public, à l’instar d’Arrêt sur images ou du dernier né, MédiaPart.

Le dernier épisode de cette compétition concerne précisément MédiaPart, projet porté entre autres par Edwy Plenel, auquel l’ex-candidate à la présidentielle Ségolène Royal vient d’apporter son soutien. Dans un courriel en date du 13 décembre, elle invite donc les militants de Désirs d’Avenir à soutenir, « au nom de la liberté de l’information et du pluralisme », le projet MédiaPart, qui fait partie selon elle des « initiatives audacieuses qui tentent de changer la situation de la concentration de la presse ». Elle conclut son courriel par ces mots : « Au nom du pluralisme des médias, je vous invite à leur donner leur chance en vous abonnant. Merci de ce geste militant qui s’inscrit dans la logique de la démocratie participative. » [2]

Immédiatement, ce message déclenche un flot de réactions chez les concurrents de MédiaPart. Alors que jusque là, les réactions à la création de MédiaPart dans la « blogosphère citoyenne » avait été plutôt bienveillantes, tout d’un coup, chacun se met à s’indigner d’une éventuelle collusion entre MédiaPart et les formations politiques, et plus exactement, le Parti socialiste.

Quelques heures seulement après avoir publié un papier accommodant sur MédiaPart qui a suscité les remerciements d’Edwy Plenel, « pour ce papier factuellement juste et confraternel sans complaisance » [3], Rue 89 change son fusil d’épaule et dénonce à mots couverts un soutien royaliste suscité par « l’amitié » qui lie Ségolène Royal à Benoît Thieulien, responsable de sa campagne sur le Net et co-fondateur de Médiapart : une « amitié » que le site de la « révolution de l’info » feint de découvrir. Aussitôt Edwy Plenel répond dans des termes que son comparse Laurent Mauduit reprendra presque mots pour mots dans une réponse que l’on lira plus loin [4].

Rue 89 est suivi dans la foulée par Daniel Schneidermann qui profite de l’occasion pour régler ses comptes avec Edwy Plenel, son « ancien patron et co-licencieur », qu’il accuse implicitement d’avoir copié le concept d’Arrêt sur images nouvelle formule, « en appel[ant] les futurs lecteurs à s’abonner (ça ne vous rappelle rien ?) ». Et puisque Plenel, bientôt suivi par MédiaPart, se réjouit de ce soutien, tout en en espérant d’autres afin de ne pas être accusé de collusion avec Royal, Schneidermann ajoute : « Si je comprends bien Plenel, il souhaite en finir avec la dépendance des médias par rapport aux politiques. Sauf...quand ils le soutiennent. » Suit une petite phrase assassine contre Rue 89, financé par la publicité.

Ayant ainsi fustigé ses principaux adversaires, Schneidermann peut donc se poser en parangon de vertu : Arrêt sur images ne sera pas financé par la publicité et ne cherche pas à s’attirer des soutiens politiques. Rappelant l’épisode du soutien de Royal à Arrêts sur images, il précise : « En recevrait-on, qu’on serait bien embarrassés. Pour tout vous dire, l’été dernier, après la suppression de l’émission sur France 5, quand Royal nous avait offert l’asile politique en Poitou-Charentes (proposition qui s’est ensuite perdue dans les méandres du marais poitevin), je n’avais pas trop sû comment gérer ce cadeau empoisonné. Je pense que la proximité, la sollicitude des politiques, sont tout aussi handicapants pour un média, que leur hostilité. » Pourtant, à l’époque, il avait accepté ce soutien, avec quelques réserves, certes, mais tout de même [5]... Daniel Schneidermann, dont l’indépendance vis-à-vis des puissances politiques et des puissances de l’argent [6] n’a donc jamais été prise en défaut, conclut : « Nous souhaitons rester indépendants. Obsessionnellement, maladivement indépendants. » [7] A bon entendeur...

Puis viennent les « amis » de nonfiction.fr qui font part du courriel royaliste, précisant qu’il est « rare et significatif » et même « atypique » : « nonfiction.fr ne porte aucun jugement favorable ou défavorable sur la lettre de Mme Royal, ou sur ce soutien, mais estime intéressant de la poster ici. » [8] Et pour cause : Benoît Thieulin est également l’un des animateurs de nonfiction.fr...

Enfin, ratissant large, Guy Birenbaum, collaborateur de la Télé Libre et lui aussi ancien du Vrai Journal, soupçonne, sur LePost.fr (l’hébergeur de blogs du Monde), Ségolène Royal de vouloir « s’appuyer sur un vrai réseau médiatique parallèle, alternatif. Un réseau, apparemment ni politique, ni, surtout, socialiste, qui pourrait lui permettre de relayer ses propositions et ses initiatives jusqu’en 2012 », et qui serait composé de nonfiction.fr, BetaPolitique et MédiaPart, autant de sites animés – entre autres – par des proches de l’ex-candidate socialiste à la présidentielle. Et Guy Birenbaum de souligner qu’en appelant à « Un "geste militant" "au nom du pluralisme des médias" et de l’indépendance donc et qui "s’inscrit dans la logique de la démocratie participative" », madame Royal oublie de « préciser cependant que Benoît Thieulin, co-fondateur de MediaPart donc, fut aussi l’artisan de sa propre campagne web... » [9].

Et du côté de MédiaPart ? Pris en flagrant délit de contradiction entre l’indépendance revendiquée et le soutien obtenu (voire sollicité ?), on est embarrassé, mais on se défend, dans Le Figaro notamment [10]. Selon Benoît Thieulin, justement, Ségolène Royal « soutient le site, mais elle n’a aucune mainmise sur les contenus et aucun lien capitalistique ». Quant à Laurent Mauduit, ex-soutien de Plenel au sein de la rédaction du Monde, il « trouve l’initiative de Ségolène Royal courageuse. Car, dans le passé, dans mon travail de journaliste à Libération puis au Monde, j’ai souvent conduit des enquêtes qui ont bousculé la gauche ou écrit des éditoriaux critiques - tout comme Edwy Plenel qui dirige notre projet. La dirigeante socialiste a donc du mérite de défendre d’abord un principe : le pluralisme de la presse est actuellement sous très forte menace. Elle a du mérite... et j’espère fortement que d’autres dirigeants politiques de toutes sensibilités suivront son exemple [...]. En clair, ce soutien socialiste ne nous embarrasse pas ; il nous réjouit. Et nous en espérons de nombreux autres, de toutes sensibilités, à droite comme à gauche, dans le monde des affaires, comme dans le monde intellectuel. » Ainsi soustrait aux influences politiques, parce qu’il rêve d’être appuyé de tous côtés, MédiaPart promet des grands moments de journalisme ! Nous verrons sur pièces.

Les hostilités étant donc déclenchées, qui remportera la compétition « citoyenne » ? Peu importe ! Acrimed ne manquera pas non seulement de compter les coups, mais surtout d’exercer sa vigilance sur le contenu et l’évolution de tels sites qui s’inscrivent dans le cadre des changements qu’Intermet induit dans le secteur des médias et dans les pratiques journalistiques.

Marie-Anne Boutoleau


Annexe :
 Réjouissons-nous !

Les initiateurs de Médiapart, pris d’une crise de lucidité tardive, découvrent ce qu’Acrimed (mais aussi Le Plan B et quelques autres…) ne cesse de dire depuis plus de dix ans, alors que nos audacieux soutenaient la cotation du Monde en Bourse, taisaient leur farouche opposition à l’emprise croissante des pouvoirs économique et politique sur les médias, désertaient le combat politique pour le pluralisme et l’ indépendance des médias, prenaient la défense des notables du journalisme de connivence et de complaisance et réservaient leur mauvaise humeur à tous ceux qui prenaient à partie la démission de ces nouveaux Croisés... A les lire, tout commence avec Médiapart.
Et pourtant…

Sur le site d’Acrimed, on pouvait lire dans un article daté du 10 octobre 2007 et intitulé « L’audiovisuel dans le collimateur de la droite « “décomplexée” » : « A trop se focaliser sur les liens personnels de Nicolas Sarkozy et de certains patrons de presse, à trop se concentrer sur son omniprésence, on laisse de côté l’essentiel : l’interdépendance, inédite à un tel degré, entre le pouvoir politique actuel et le pouvoir médiatique détenu par une oligarchie capitaliste  ». Dans Le Monde Diplomatique de novembre 2007, on pouvait lire un article de Serge Halimi intitulé : « L’oligarchie, le parti socialiste et Bernard-Henri Lévy ». Sur le site de Rue 89, Edwy Plenel s’exclame : « Et l’un de ses constats de départ est une évidence : l’anormale situation de dépendance, économique et politique, de nos médias envers une oligarchie financière imbriquée à l’actuel pouvoir présidentiel.  » Edwy Plenel complice (et copiste ?) d’Acrimed et de Serge Halimi ? Ce serait… troublant !

Sur le site de MédiaPart, on peut lire, sous la plume de François Bonnet : «  Nous avons aussi interpellé les responsables politiques. Et nous avons bien l’intention de poursuivre. Qu’ont donc à dire nos élu(e)s du rachat, contre l’avis quasi unanime de sa rédaction, de la principale source d’information économique de ce pays, le quotidien « Les Echos », par le groupe de Bernard Arnault ? Qu’ont-ils donc à dire des concentrations accélérées à l’œuvre dans l’ensemble des médias sur fond de coupes sombres dans les rédactions ? Jeudi, Ségolène Royal a été la première à nous répondre. [...] Mais il n’y a pas que les politiques ; l’ensemble des acteurs sociaux, syndicalistes comme associatifs, seront -comme vous l’avez été- eux-aussi interpellés.  » [11] Quand on vous disait que tout commence avec Médiapart et ses interpellations ! Médiapart ignore (ou méprise superbement) les Etats généraux pour le pluralisme qui n’ont pas attendu ce pathétique appel pour exister (et dont on peut lire ici même ce qu’ils ont fait).

Accès soudains de lucidité ? Interpellations novatrices et originales ? Recours à des arguments « porteurs » pour le lancement d’un nouveau « produit » ?

 
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Notes

[1Les extraits cités dans l’article qui suit sont tous en date du 14 décembre

[6voir, par exemple, le temps où "Scheidermann léchait les chaussettes de Jean-Marie Messier" sur le site de PLPL.

[9Citations complétées le 18-12-2007. Lire, sur le blog de Guy Birenbaum.

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