Une couverture minimaliste...
La signature du traité à Lisbonne le 13 décembre marque le démarrage d’une course de vitesse pour ou contre la ratification de ce texte majeur qui, prévu pour entrer en vigueur dès le 1er janvier 2009, aura, qu’on y soit favorable ou non, d’importantes répercussions politiques.
La plupart des médias ont assuré un service minimum [2]. Pas de grands dossiers ou débats, que ce soit dans la presse écrite ou audiovisuelle. En particulier, aucune des émissions politiques télévisées ou radiophoniques programmées à une date proche de la signature du traité n’a été consacrée à cette question.
Les hebdomadaires L’Express, Le Nouvel Observateur, Le Point du 13 décembre 2007 (date pourtant de la signature du traité), choisissent le… silence. Le 20 décembre , ils sortent enfin de leur mutisme et passent à l’offensive. Le Nouvel Observateur concède soixante quinze mots pour promouvoir un ouvrage sur le sujet. L’Express et Le Point accordent, eux , quelques lignes à la question européenne : une phrase pour le premier dans l’article intitulé « Ljublana, capitale de l’Europe » [3] ; deux pour le second, dans la chronique de Nicolas Baverez. Aucun des deux articles n’a pour objet le traité de Lisbonne. Quant à Paris Match, il réalise lui aussi une prouesse. Entre le 22 novembre et le 20 décembre 2007, « le poids des mots et le choc des photos » s’arrêtent à... une phrase le 20 décembre dans le reportage hagiographique consacré au nouveau compagnon de Carla Bruni, Nicolas Sarkozy.
Parmi les rares exceptions, Marianne – dont les “Unes” sont focalisées sur Sarkozy – consacre le 22 décembre deux articles pointant le déficit démocratique de l’Union européenne et par conséquent, la nécessité de recourir à la procédure référendaire pour sa ratification.
Dans la presse quotidienne nationale généraliste, ce n’est guère plus brillant. Aucun d’entre eux n’a fait son titre principal sur la signature de ce traité [4]. Le 13 décembre, ni Le Figaro, ni Libération n’accordent un titre première page à la signature du Traité, le second se contentant d’un microscopique article en page 13 sur la campagne pour obtenir un référendum. Le 14, Le Figaro concède un titre discret en première page, un article en page 5 et un éditorial favorable au texte. Libération se contente d’un article en page 13. Le Monde des 13 et 14 décembre fait lui aussi l’impasse en première page pour ne consacrer que de petits articles en pages 8 et 10. Le lendemain, le quotidien du soir affiche un titre discret en bas de première page complété par des articles en page 13. Dans Le Parisien, rien, pas plus le 13 que le 14.
En ce qui concerne la presse économique, si Les Echos ont signalé deux fois en première page le traité avec un titre identique dans les éditions des 13 et 14-15 décembre (avec articles en pages intérieures), leur placement était fort discret, La Tribune a réglé la question de manière radicale : aucun titre en première page et aucun article dans sa version papier. Idem pour la presse quotidienne régionale.
Pour les journaux télévisés les éditions de la mi-journée de France 2 et TF1 du 13 décembre ne disent rien de cet évènement politique. Dans le 12/13 de France 3, il valait mieux être attentif puisque le temps imparti au sujet fut de vingt cinq secondes. France 3 reste toujours très discret en soirée : respectivement dix-huit et dix-sept secondes dans le 19/20 et le Soir 3. TF1 est plus « généreuse » avec 1 minute 42 secondes dont un reportage. Et c’est France 2 qui est la plus « ambitieuse » avec 3 minutes 42 secondes comprenant un reportage et une analyse. Le lendemain, nouveau silence pour les journaux télévisés de France 2 et TF1 de la mi–journée. Le 12/13 consacre cette fois-ci deux minutes dix secondes au sujet. Le soir du 14, PPDA expédie l’affaire en dix secondes, et France 2 en 43 secondes.
Nous sommes bien loin de la campagne présidentielle qui avait vu l’ensemble des médias lui consacrer une place de choix. Cela amène Dominique Quinio à s’interroger dans La Croix le 14 décembre : « Quel contraste entre la vivacité du débat autour du projet de Constitution européenne qui aboutit, au printemps 2005, à une victoire du « non » français au référendum et l’indifférence dans laquelle s’est déroulée la signature du nouveau traité par les 27 chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, hier à Lisbonne ». C’est incontestable. A la lumière de ce qui précède, nous pouvons lui rétorquer que la plupart des médias ne facilitent pas la vitalité de ce débat et que leur responsabilité est donc largement engagée dans cet état de discrétion partagée.
De ce choix éditorial de la quasi-totalité des médias - silence ou couverture minimaliste -, Didier Pourquery a donné une première raison le 14 décembre dans une courte chronique parue dans Libération et consacrée aux « Coulisses de Libération ». Son titre : « La grande absente ». La question étant justement de savoir quel traitement le quotidien devait réserver au traité de Lisbonne : « "Et la signature du mini traité à Lisbonne, on en fait quoi ?" Autour de la table de la conférence de rédaction ce jeudi matin, le débat est lancé [...]. Il faut traiter largement de cette promulgation trop discrète… "Oui mais, répondent d’autres chefs de service, ça n’a plus l’air d’intéresser grand monde, ce débat européen." ». Libération a donc opté pour d’autres priorités : le procès d’Yvan Colonna puis l’idylle Nicolas Sarkozy-Carla Bruni [5]. L’information spectacle dans toute sa splendeur...
Ce sont donc les chiffres d’audience ou de diffusion – ces nouvelles divinités – qui hantent tous les cerveaux des responsables de rédaction, imposent une hiérarchisation de l’information où prédominent les sujets censées doper l’audimat ou les ventes et se traduisent par une quasi-uniformité éditoriale. Sous couvert de contraintes économiques – réelles ou supposées -, un option politique qui occulte les enjeux du traité européen. Et qui le fait d’autant plus et d’autant mieux que les questions pourtant controversées soulevées par ce traité, - contenu et mode de ratification- ont déjà été tranchées par les médias dominants. Inutile donc de s’y attarder.
Un Traité indiscutable ?
Couverture minimaliste certes, mais positionnement idéologique affirmé, car bien évidemment, la signature du traité à Lisbonne n’a pas fait évoluer la situation.
Un même lieu commun éditorial est partagé par la plupart des commentateurs : « L’Europe était bloquée, le Traité va la débloquer » À titre d’exemple, dans Marianne du 10 novembre 2007, Maurice Szafran expliquait déjà que ce texte « débloquera une machine européenne asphyxiée depuis tant d’années , et que c’est là, aujourd’hui, l’essentiel ». Qu’importe si l’existence même d’un blocage pourrait-être discutée [6] Le Traité serait la seule solution envisageable pour sortir de ce « qui a tourné au cauchemar en 2005 », comme le soutient avec finesse Jean Quatremer dans Libération du 14 décembre 2007. Le débat est ainsi clos avant même d’avoir eu lieu...
Le choeur des commentateurs est unanime. Jean-Gabriel Fredet, journaliste au Nouvel Observateur explique dans une interview donnée au site de son hebdomadaire le 13 décembre : « La signature de ce traité est une bonne nouvelle ». David Pujadas cache mal sa joie le soir de ce 13 décembre au journal télévisé de 20 heures de France 2. Une première fois dans les titres : « L’Europe se relance . Les 27 pays de l’Union ont solennellement signé le traité de Lisbonne. Il remplace la Constitution européenne rejetée par la France et les Pays-Bas en 2005 ». Pour ceux qui seraient sourds, il récidive lors du lancement du sujet : « On en vient à l’Europe qui tourne une page et se relance . Les 27 pays ont donc signé officiellement le traité de Lisbonne aujourd’hui ». Son homologue de France 3, Stéphane Lippert, s’enflamme lui aussi dans le 12/13 : « Ce 13 décembre est une date historique pour l’Europe, deux ans après le rejet par les Français et les Néerlandais. »
Joseph Limagne avoue son bonheur le même jour dans Ouest-France : « Vingt-sept chefs de l’État et de gouvernement signent, aujourd’hui, à Lisbonne, l’acte de naissance du nouveau traité européen qui porte le nom de la capitale portugaise. C’est un moment heureux de l’histoire de l’Union ». Solennel, il espére que cette fois-ci, le sort sera conjuré : « À la cérémonie de Lisbonne, on percevra plus un « ouf ! » de soulagement qu’une franche euphorie. C’est que le chemin a été rude. Certains des signataires d’aujourd’hui se souviennent de leur enthousiasme quand, avec leurs partenaires de l’époque, ils paraphèrent, il y a trois ans, à Rome, la Constitution européenne. Ils n’imaginaient pas, alors, que ce texte se briserait, l’année suivante, sur les récifs des refus français et néerlandais de le ratifier. » Le lendemain, galvanisé par son salarié, François-Régis Hutin partage son soulagement : « L’Europe a repris sa marche , jeudi, à Lisbonne. Le traité simplifié, relancé, en particulier, par le président de la République française, Nicolas Sarkozy, a été signé par les vingt-sept États membres. Il était temps, car le monde n’attend pas .[...] Avec le traité de Lisbonne, elle peut entreprendre ces très grandes tâches. » (Ouest –France, le 15 décembre 2007)
Alain Duhamel, moins enthousiaste, reprend sensiblement les mêmes arguments sur RTL le 14 décembre : « Ce traité, ce n’est pas un chef-d’œuvre immortel. C’est en fait un préalable qui est levé.[...]Et puis ce qu’on se dit, quand on voit la façon dont depuis deux ans, les États-Unis ont mené en matière monétaire, financière, une politique égoïste ; quand on voit la rapidité avec laquelle la Chine, l’Inde, le Brésil, prennent du poids ; on se dit qu’il n’y a quand même, pas beaucoup de temps à perdre. »
Patrick Poivre d’Arvor est lui tellement ému par cette signature qu’il en oublie même que le texte n’a pas encore été ratifié par tous les Etats. Le 13 décembre à dans le journal de 20 heures, pour refermer la couverture ouvertement favorable de son journal de la cérémonie de signature, il prédit l’avenir enchanteur qui nous attend : « Et il entrera en vigueur le 1er janvier 2009. »
Information ou « service après vente » ? Dans le reportage du 13 décembre diffusé dans le journal de 20 heures sur TF1 l’envoyé spécial de la chaîne se contente de traduire du portugais les propos tenus lors de la cérémonie de présentation officielle C’est donc qu’il se les approprie. Les téléspectateurs apprennent en particulier que le « nouveau » traité signerait « l’abandon de la concurrence libre et non faussée comme objectif de l’Union. » Information ou mensonge caractérisé ? L’abandon de cet objectif, qui avait mobilisé contre lui les partisans du « non » au référendum de 2005, marquerait une inflexion de la construction européenne telle qu’elle existe. Pourtant les arguments ne manquent pas pour soutenir que sur ce point rien n’a changé. [7].
Leur existence même n’est pas mentionnée. Vous avez dit « information » ?
Jean-Gabriel Fredet, journaliste au Nouvel Observateur, invente un argument complémentaire, (dans une interview accordée au site électronique de son hebdomadaire le 13 décembre) : « Après le rejet du traité constitutionnel, l’Europe s’est retrouvée en zone de non droit . » La pratique du droit ne doit pas faire partie des priorités de ce journaliste. Doit-on lui rappeler que le fonctionnement de l’Union Européenne est défini par des traités, et en particulier par le traité de Nice, lui aussi soutenu par les mêmes médias avant même qu’il ne soit finalement ratifié en 2001.
Informer, ce devrait être, en la matière, informer sur l’existence de positions différentes et les exposer. Mais les médias de parti pris ont pris parti de ne rendre compte que d’un seul point de vue : le leur. Et il en va de même dans les médias de consensus, et notamment ceux du secteur public. C’est à peine, si un un espace minimal est concédé à ceux qui s’opposent au Traité. Cette fenêtre permet d’exhiber, à très peu de frais, un pluralisme de façade. Si la surface médiatique accordée à ce traité est déjà assez faible, la place dévolue à ceux qui s’opposent au mode de ratification retenu ou au contenu, est particulièrement réduite. Deux tribunes dans la presse quotidienne [8], quelques secondes pour Nicolas Dupont-Aignan (UMP) et Jean-Luc Mélenchon (PS) et un reportage de France 2, qui évoque au moins, même brièvement, l’existence d’une contestation [9] suffisent à Didier Pourquery pour en donner une explication le 14 décembre dans sa chronique précitée (« La grande absente ») : « Non vraiment, les nonistes semblent avoir perdu leur voix. » Dans les médias dominants, ont-ils jamais eu réellement la possibilité » de la faire entendre ?
Un référendum inacceptable ?
Aux yeux de ces éducateurs du peuple qui, conseillers des gouvernements, enseignent une version singulière du droit et de la démocratie, le rejet du recours au référendum (pourtant demandé par certains partisans du « oui »..), est tellement évident qu’il convient de tout mettre en oeuvre pour le rendre indiscutable.
France 2, le 13 décembre, par la voix de Fabrice Beaudonnet, envoyé spécial à Lisbonne, résume à sa façon la situation : « Et bien, depuis deux ans, un bataillon de juristes européens a repris le traité de Nice d’un côté, le texte de la constitution européenne de l’autre. Ils ont expurgé la constitution européenne de tout ce qui pouvait choquer . [vraiment ?] Ils ont réuni avec le traité de Nice. Et ça donne aujourd’hui un texte très compliqué, compréhensible justement uniquement par les juristes, un texte de 300 pages. Alors est-ce qu’il est scandaleux d’avoir procédé ainsi ? Est-ce que la démocratie européenne, ce soir, est perdante ou au contraire, est-ce qu’il s’agissait d’un passage obligé pour relancer l’Europe ? Et bien, là je crois qu’il s’agit à chacun de se faire sa propre opinion » . On attend toujours que France 2 organise le débat qui permettrait de répondre à ces questions.
D’autres, comme Sylvie Pierre-Brossolette, du Point expriment brutalement leurs préventions sur ce type consultation : « Je crois qu’il faut quand-même tirer les leçons des erreurs passées. C’était une erreur effectivement dans le contexte politique et social de l’époque d’avoir soumis la constitution européenne à référendum. [...] En France, toujours, dans la plupart des référendums, une partie des réponses ne concerne pas la question, et donc c’est un gros risque sur un sujet aussi controversé que l’Europe dans un malaise économique et mondial d’aujourd’hui, ce serait un gros risque de soumettre de nouveau ce texte à référendum, c’est peut-être effectivement dommage, mais je trouve que c’est c’est plus raisonnable d’en sortir, on est bloqués depuis plusieurs années. [...]C’est un peu un mariage de raison où chacun signe un peu sans vraiment s’aimer et sans être sûrs de vouloir faire des enfants d’ailleurs mais au moins, le mariage est conclu, réjouissons-nous. »(« Duel », sur France Info, 13 décembre.) Même son de cloche sous la plume de Pierre Rousselin dans Le Figaro : « La leçon a été tirée de la bourde passée : il n’y aura de référendum que lorsque c’est inévitable, c’est-à-dire en Irlande seulement, pays où la Constitution l’impose. » (14 décembre)
Ces leçons de pédagogie démocratique, infligées par des éclaireurs du peuple qui se chargent de lui expliquer, non sans mépris, qu’il ne mérite pas (ou pas toujours) le droit de suffrage, seraient incomplètes sans un éloge appuyé de la sagesse et de la responsabilité des parlementaires… pour peu qu’ils se prononcent dans le sens espéré.
Quand des représentants ont été élus, c’est à eux seuls qu’il appartient de se prononcer soutient, en toute impartialité, Quentin Dickinson, le 14 décembre sur France Inter dans « Inter-activ » : « Il ne faut pas oublier non plus d’une certain façon aussi, et pas seulement en France, que le référendum est une démission de la classe politique . Après tout, des gens sont élus pour prendre des décisions au nom des gens qui les ont élus, donc il est normal qu’ils assument cette responsabilité, qui passe aussi par la ratification des traités internationaux. »
Et le lendemain dans Ouest-France François Régis-Hutin surenchérit : « Certains, en France par exemple, regrettent que l’on ne recourt pas au référendum et s’efforcent de faire croire que l’adoption par le Parlement ne serait pas une démarche démocratique. C’est quasiment insultant pour les parlementaires. Ils sont élus précisément pour cela : élaborer les lois, contrôler les traités. Ils représentent la nation dans tous ces domaines, ils votent librement. En quoi cette ratification ne serait-elle pas démocratique ? On se le demande ! » On se le demande en effet. Surtout depuis 2005...
... Et cela d’autant plus que l’élection de Nicolas Sarkozy aurait eu valeur de référendum sur l’Europe, puisque la ratification par voie parlementaire était inscrite dans le programme électoral du candidat Sarkozy. Patrice Chabanet se révèle un excellent attaché de presse du président le 14 décembre 2007 dans Le Journal de la Haute-Marne : « On ne peut lui reprocher ce choix : il faisait partie du programme sur lequel il a été élu ».Alain Duhamel, le même jour sur RTL, lui fait écho : « Mais Nicolas Sarkozy au moins, avait dit les choses, il les fait. »
Ces arguments sont donnés pour indiscutables puisqu’aucune infomation n’est livrée sur les arguments qui permettraient de les discuter.
... A une variante près qui consiste à renvoyer dos à dos partisans et adversaires de la ratification par voie référendaire. A ce petit jeu, Bernard Guetta se montre particulièrement brillant, toujours dans « Inter-activ » sur France Inter le 14 décembre. L’argument de ceux qui se mobilisent « pour soutenir que ce qui avait été défait par le suffrage universel direct par un référendum, ne devrait pouvoir être refait ou défait que par la même voie », est-il recevable ? « Bien sûr que oui », soutient Guetta qui valide aussitôt l’argument opposé : « D’un autre côté , le président de la République peut faire valoir, et c’est tout à fait exact aussi, que durant sa campagne, il n’ y avait eu aucune ambiguïté sur le fait qu’il ferait ratifier par voie parlementaire et non pas référendum, le nouveau traité. Donc, il n’y a pas malhonnêteté de la part du président de la République, même si évidemment, le premier argument est tout à fait légitime. »
Mais pour être exacte – sans céder à la tentation de se comporter en chargé de communication du Président de la République – cette présentation devrait être complète et ne pas oublier ce que disait exactement Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle : « J’ai proposé à nos partenaires un traité simplifié limitée aux questions institutionnelles , que nulles n’a contestées pendant la campagne référendaire afin que l’Europe se dote rapidement de moyens pour fonctionner . » [10]
Une information complète devait donc mentionner deux points de contestation : qu’il s’agit d’un traité « simplifié » et qu’il est « limité aux question institutionnelles. ».
L’appellation de « traité simplifié » est généralement reprise sans le moindre recul.. Ainsi, ’l’envoyé spécial de TF1 explique le 13 décembre dans le journal de 20 heures : « Le Portugal voulait marquer les esprits en faisant signer [dans] un somptueux monastère gothique[...] le traité simplifié » . Laurent Delahousse entonne la même sérénade au journal de 20 heures de France 2 le 14 décembre : « Le chef de l’Etat qui est également revenu sur la signature du traité simplifié , à Lisbonne . » Or, de l’aveu même de certains de ceux qui le soutiennent, ce traité est tout sauf…simplifié, comme le rappelle le 14 décembre un des plus fidèles soutiens de Nicolas Sarkozy : l’éditorialiste du Figaro Pierre Rousselin, quand il évoque « le traité "réformateur", qui n’a rien de "simplifié " . » Quant à la prétendue limitation aux questions institutionnelles, c’est cette fois-ci Le Monde du 13 décembre qui se charge, discrètement, d’indiquer le contraire : « Le nouveau traité conserve la plupart des dispositions du TCE et réorganise les institutions. »
On peut même soutenir que ce texte est bien la copie conforme de son prédécesseur comme le fait François Beaudonnet le 13 décembre au 20 heures de France 2 : « Alors le traité de Lisbonne qui a été signé ici derrière moi, il y a quelques heures , est une réplique fidèle , à 90%, de la constitution européenne. Pour prendre une image, je dirai c’est un peu comme des frères jumeaux qui porteraient des vêtements de couleur différente. En fait, tout se joue dans l’apparence. » Cette ressemblance est telle qu’Audray Pulvar commet un lapsus révélateur le même jour dans le 19/20 de France 3 : « C’est aujourd’hui que les dirigeants de l’Union européenne signaient le nouveau traité de Constitution européenne . »
Il est donc parfaitement discutable que Nicolas Sarkozy respecte ses engagements. Pourquoi ne pas le mentionner ?
Seuls (ou presque) ont droit de cité les arguments (ou les arguties) favorables à la procédure parlementaire. Pour la légitimer, Christophe Barbier n’hésite pas, lui non plus, à prendre quelques libertés avec la réalité le 30 octobre 2007 dans son éditorial vidéo disponible sur le site de L’Express : « Les socialistes français ont raison, il faut un référendum puisque c’est un référendum qui avait scellé le sort du traité dit « de Constitution européennne » en 2005. Mais les socialistes ont tort parce que la fonction politique de ce texte n’est pas du tout la même que pour le texte d’il y a deux ans ». Liberté prise aussi par Quentin Dickinson dans l’émission « Inter-activ » précitée, sans que Nicolas Demorand, Bernard Guetta ou Jean-Marie Colombani, pourtant en direct avec lui, ne le contredisent : « Il ne s’agit pas du même texte [...]Le traité de Lisbonne n’a aucune prétention à devenir une Constitution [11] ou l’embryon d’un super Etat. » A supposer d’ailleurs que ces dernières affirmations sur la nature du texte soient exactes, la question d’une consultation directe du peuple pour sa ratification méritait t-elle d’être traitée avec tant de désinvolture ?
Peut-on considérer que l’exigence pluralisme est satisfaite quand seuls quelques journaux, abordent sérieusement la question ? [12].
Le 27 novembre 2007 sur RTL, Alain Duhamel n’avait pas de mots assez durs : « Ils ont peur de la démocratie », jugeait-il. Mais ceux qu’il vilipendait ainsi étaient tout simplement des étudiants en lutte contre la loi Pécresse sur l’autonomie des universités. Dans une interview à Libération le 22 octobre 2007, Etienne Chouard, enseignant connu pour le succès de son site lors du référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel, explique : « On nous impose par voie parlementaire ce qu’on vient de refuser par référendum. Pour moi, c’est un viol, un viol politique, c’est une cause de guerre civile. Et les journalistes qui défendent cela sont subordonnés. Ils ne font pas leur boulot de journaliste. » Il semblait cependant garder espoir en leur rôle démocratique et leur demandait de l’exercer : « Je compte sur les journalistes pour être les sentinelles du peuple et l’alerter. » Une alerte qui se fait toujours attendre.
Depuis deux mois, rien n’a changé. La conclusion de notre article du 22 octobre dernier [13] demeure entièrement valide : « Que l’on approuve ou non le Traité, que l’on soutienne ou non le recours à la voie parlementaire, force est de constater l’ampleur du consensus éminemment pluraliste qui permet de soustraire aux débats les objets même des débats. On se prend alors à regretter (presque…) que, au nom de ce même consensus, le référendum ne soit pas réservé aux éditorialistes, chroniqueurs, interviewers, présentateurs : l’approbation du « nouveau » traité serait presque unanime ! Et au cas où un tel référendum ne pourrait pas être organisé, qu’on les réunisse en Congrès à Versailles : la majorité des 3/5 serait largement dépassée ! Les médias de masse sont, nous dit-on, des garants de la démocratie. Soit. Mais ils peuvent être aussi les gardiens de sa mise en quarantaine au nom de la « pédagogie » et de la raison... des gouvernants. »
Denis Perais
La rédaction de cet article n’aurait pas été possible sans la participation de Daniel, Jamel, Henri, Marie-Anne, Mathias, Nadine, Serge et Thierry.