C’était le 17 janvier 2008. Le « dieu » de la Presse quotidienne régionale en personne s’est déplacé sur les terres de Vendée pour prêcher la bonne parole... Invité par « Chrétiens médias », François Régis Hutin s’est attelé à répondre à cette question cruciale de « l’information au service de la démocratie et de l’humanisme ». Une bien belle démonstration…
Si Ouest-France est un empire, c’est d’abord celui du paradoxe. Alors que le quotidien de Chantepie s’est construit sur la proximité territoriale et éditoriale, ce dernier est en train de tout saborder. Encore solide aujourd’hui, son lectorat principal aura disparu dans les trente ans avec la fin du baby boom. Conscient de ce vieillissement et du peu d’intérêt que portent les jeunes à ses colonnes, le leader français de la PQR a décidé de tout miser ou presque sur le virtuel. En retirant progressivement leurs prérogatives à ses 2 600 correspondants, véritables maillons d’un réseau serré durant des dizaines d’années. Un lien quasi charnel entre lecteurs et rédacteurs irrémédiablement écarté et remplacé par la technologie. Sans autre forme de considération [1] En totale contradiction avec le discours officiel encore tenu, le 17 janvier dernier à La Roche-sur-Yon, par François Régis Hutin en personne : « Nous ne voulons pas faire travailler des gens de manière éhontée comme dans de sinistres contrées. Je l’ai dit et répété, Ouest-France, c’est avant tout le respect de la personne. » Ouest-France, c’est surtout une machine qui part à la conquête de nouveaux lecteurs… Les jeunes s’informent sur Internet, la toile est donc prise d’assaut. Comme a pu l’être jadis la Bretagne.
Car, évoquer l’empire Ouest-France, c’est aussi parler de la proximité entre les convictions d’une direction avec celle de « sa » région. Une concomitance éditoriale fixée chaque samedi en « Une » du quotidien.
Un rendez-vous – aujourd’hui tenu par François Régis Hutin - initialement pris en 1899 par deux hommes : l’abbé Trochu et Emmanuel Desgrées du Lou. Deux hommes pour une posture claire et cléricale : fonder un titre répondant aux courants spirituels et de pensées. Un titre « Pour Dieu ! Pour le peuple ! Pour la France ! » proclamaient ces patrons de presse au début du XXe siècle. Leur terre de mission sera l’Ouest breton… avant de s’étendre à la Normandie et aux Pays de la Loire. Leur arme : une kyrielle de petits hebdos chrétiens démocrates.
Avec les années, cette kyrielle devient synergie. Les titres fusionnent et donnent naissance à l’Echo de l’Ouest. D’hebdomadaire, ce journal prend finalement le rythme quotidien sous la forme d’Ouest-Eclair, l’ancêtre de l’actuel leader français de la PQR. « Ce journal a été fondé pour contribuer à résoudre la question sociale en faveur de la justice et de la solidarité », explique FRH devant l’assemblée vendéenne. Pour cela, « Ouest-Eclair doit devenir un journal populaire à grand tirage ». La marmite bouillonne. Les corrélations entre ligne éditoriale et gestion économique du titre font déjà bon ménage. « Ce journal politique et républicain dirigé par des catholiques » explose. De 1 200 exemplaires la première année, le tirage passe à 120 000 douze ans plus tard, pour culminer à 250 000 numéros après guerre.
La Seconde guerre mondiale, période durant laquelle cette belle machine va se gripper. En 1940, le journal indépendant continue de paraître sur demande de l’occupant allemand ! Une situation paradoxale qui voit la direction se scinder en deux. « Ceux qui ont choisi de poursuivre la publication pour sauver l’affaire, poursuit le PDG de l’ogre breton. Et ceux comme Paul Hutin, mon père, et François Desgrées du Lou qui décident de quitter le journal pour entrer en résistance. » Le 4 juillet 1944, Ouest-Eclair réapparaît, cautionné par le régime pétainiste. A la Libération, ce dernier se verra interdire de publication par les Alliés. La partie « résistante » du journal se reconstitue donc et fonde Ouest-France.
Le pognon plus fort que les convictions
Ouest-France, « journal démocrate refusant le totalitarisme, mettant en avant ses finalités et pas l’affaire », insiste François Régis Hutin qui martèle : « Le reste n’est qu’une histoire de moyens. » Des moyens qui, n’en déplaise à l’actuel maître du titre, ont pris le pas sur les convictions. Celles des années 70 et la lutte pour l’abolition de la peine de mort. Celles de la décennie suivante et son engagement pour la liberté de l’Education. Celles des années 90 et les combats pour la dignité des conditions de vie des prisonniers français et pour une Europe des peuples etc. De nobles causes qui appartiennent au passé. Comme si, dans la France du XXIe siècle, « Justice et Liberté » (slogan d’Ouest-France) avaient finalement triomphé ? Comme s’il n’y avait plus de combats à mener, de paroles à soutenir, de convictions à porter ?
La politique d’immigration, les conditions de vie dans les centres de rétention, le réchauffement climatique, la confiscation du débat européen par le Parlement etc. Hier anticipés, développés, ces sujets ne sont aujourd’hui traités qu’à la remorque de la presse nationale. Une vision que réfute le patron de big OF. « Nous alertons régulièrement nos lecteurs sur ces problématiques, se défend FRH. En ce qui concerne les migrations, elles vont s’accroître avec le réchauffement et l’appauvrissement de ces pays. On n’en est qu’au début… Comment faire pour lutter contre cela ? Nous avons atteint notre cohérence. C’est un problème que nos petits enfants devront gérer. »
Car, pour l’heure, la destinée de l’ogre breton est autre : dire sans nuire ; montrer sans choquer et dénoncer sans condamner. Elle consiste surtout à étendre son emprise sur les ondes, les écrans et la toile. A faire de la forme son anticipation. Sans que le fond ne suive vraiment. « Ce qui fait que nous sommes devenus le 8e journal européen avec une progression de 200 000 à 800 000 exemplaires par jour, sans compter le journal du dimanche. Et le numéro un en France (avec un tirage supérieur à celui du Monde et du Figaro réunis), loin, très loin devant les autres quotidiens régionaux. » Des concurrents à qui Ouest-France taille non seulement des croupières, mais se paye le luxe de leur vendre maville.com, un site Internet déjà utilisé par La Voix du Nord (Nord-Pas-de-Calais) et Nice Matin (Provence-Alpes-Côte-d’Azur). Le tout pour un chiffre d’affaires cumulé s’élevant à 1 122 millions d’euros en 2006.
Une puissance de feu portée par un large consensus éditorial. « On vend d’abord un journal aux annonceurs avant de le vendre aux lecteurs », apprend-on dans n’importe quelle école de journalisme. Or dans un département comme la Vendée, l’un des plus gros annonceurs de Ouest-France n’est autre que le conseil général présidé par Philippe de Villiers. Une collectivité territoriale qui, par le biais d’une société d’économie mixte, pilote aujourd’hui un événement phare comme le Vendée Globe. Comment, dès lors, rendre compte objectivement de cette actualité et de ses à côtés quand vos pages sont remplies de publicités vantant les mérites de l’événement ? Qu’elle est la frontière entre information et publi-reportage ?
S’agissant du monopole, de la concentration médiatique et des grands groupes de presse « oui, cela pose un problème notamment quand ces industriels sont des firmes d’armement (pour le reste pas de soucis donc) » ; « bien sûr que ce serait mieux autrement, mais sachant que des journaux comme Presse Océan n’ont pas réussi à équilibrer, il est sûrement préférable de les voir rachetés par Ouest-France que de les laisser mourir ». Sauf qu’à la différence du quotidien nantais, si Le Maine Libre et Le Courrier de l’Ouest faisaient bien partie du paquet cadeau Dassault, ils étaient en revanche largement majoritaires sur leur territoire reléguant Ouest-France au rang de second.. Faire entrer ses concurrents dans son escarcelle ne répond donc pas à une logique de concentration, mais bien de défense du pluralisme. On croit rêver ! « Nous accuser de monopole ? réagit le PDG. Nous qui n’étions pas dans cette situation dans le grand Ouest. Nous qui ne le voulions pas ! Ce n’est pas de notre faute si, successivement, ces quotidiens se sont mis en vente, d’abord rachetés par Hersant avant d’être vendus à Dassault qui s’en est finalement débarrassés. Nous ne nous sommes pas précipités pour les racheter, on nous a suppliés de le faire ! » [2]
Hutin, un vrai fils de pub
C’est donc uniquement par charité chrétienne que big OF a investi dans le pôle Ouest de la Socpresse. Certainement pas pour mettre la main sur Presse Océan, sa télé locale et le Football club de Nantes. Encore moins pour permettre aux annonceurs de publier dans deux quotidiens plutôt qu’un. Aucunement pour posséder tous les supports de diffusion imaginables allant de la radio, à Internet, en passant par la TV et les « gratuits »…Car posséder tous ces supports - comme c’est déjà le cas pour Ouest-France avec la radio Hit West, le site Internet maville.com, le gratuit 20 Minutes, la cinquantaine d’hebdos locaux du groupe Publihebdos, le pôle Ouest de la Socpresse etc. - permet à la presse régionale de recycler et d’optimiser ses contenus. Dans le cas de l’ogre rennais, une même information se retrouve donc à la fois dans les colonnes du quotidien payant, dans celles du journal gratuit, sur Internet et pourquoi pas, prochainement, en images sur l’écran d’une télévision locale. Un véritable monopole informatif doublé d’une puissante concentration publicitaire.
La publicité, obsession affichée sans aucune pudeur par le maître de la PQR. Une manne qui représente déjà 40% des recettes de « son » journal, « ce qui est très insuffisant ». Des encarts qui « intéressent les gens, les renseignent sur d’autres types d’informations ! » Des pubs qui, « si nous le pouvions, seraient encore plus présentes dans nos pages, mais malheureusement des… (hésitations prolongées)… réglementations nous en empêchent ». Pauvre François Régis qui ne comprend pas la question de création d’un Fonds de soutien à la presse alternative, calqué sur celui du Fonds de soutien à l’expression radiophonique – sorte de pot commun alimenté par une infime taxation des recettes publicitaires des radios commerciales et redistribué aux radios associatives par le CSA - ou celle de la constitution de sociétés de presse à but non lucratif alors même que Ouest-France est porté par une association de loi 1901 : « association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste », c’est son nom.
Un pluralisme médiatique qui passe donc par… les recettes publicitaires des journaux. « Qu’ils se débrouillent d’abord pour équilibrer, après ils pourront se poser la question de leur indépendance ! » Une affirmation aux multiples saveurs. Surtout quand on sait que Chrétiens médias Vendée (présidée par un ancien journaliste de Ouest-France) l’avait invité pour répondre à la question cruciale de « l’information au service de la démocratie et de l’humanisme ». Une bien belle démonstration…
Le Sans-Culotte 85
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