Accueil > Critiques > (...) > 2007-2008 : un « nouveau » traité européen

Traité de Lisbonne : la morgue de L’Est républicain

par Claudine Girod,

L’Est républicain, édition de Franche Comté, publiait le dimanche 3 février un article à propos du rassemblement des partis et associations mobilisés à Besançon le 2 février, à l’appel du Comité National pour un Référendum [1]. Pour les militants, il s’agissait de demander un référendum sur le Traité de Lisbonne et de faire pression sur les membres du Congrès appelés à se prononcer sur la nécessaire modification de la Constitution avant la ratification. Des enjeux liés à ce texte, à sa ratification et aux mobilisations qu’elles suscitent, on ne saura rien en lisant L’Est républicain. Le quotidien a en effet choisi de traiter le rassemblement avec mépris et de le réduire à un spectacle.

« “Vous avez signé la pétition ?” Si la retape est insistante et l’argumentaire bien huilé, la liste des pétitionnaires a du mal à s’étoffer. » Le journaliste de L’Est républicain a trouvé une accroche vivante mais qui a « du mal » à dissimuler son mépris pour le « rassemblement de la gauche de la gauche » (évoquée dans le « chapeau »). Une entrée en matière qui assimile le militantisme à du racolage (« retape ») et qui réduit l’argument démocratique, à une sorte d’antienne répétitive, mécanique et vidée de sens, un « argumentaire bien huilé ». Insistant et besogneux, le militant selon L’Est républicain est toutefois peu efficace puisque « la liste de pétitionnaires a du mal à s’étoffer ». De l’« argumentaire » proprement dit, de son contenu, nous ne saurons rien tout au long de l’article.

Plus généralement, si le décor est planté, quid des enjeux du rassemblement ? À la lecture de l’article, on n’en saura rien. Rien sur le texte de la pétition, rien sur l’appel du CNR : un appel pourtant signé par plus de 85000 personnes en France, à la date du 2 février, et par plus de 400 personnes dans le département du Doubs [2]….

Prêtant son désintérêt et sa distraction aux passants, notre envoyé très spécial auprès des « sarkophages » tient une explication au supposé manque d’enthousiasme pour la pétition : « sans doute parce que le public est accaparé par la scène qui se joue juste à côté ». En effet, « les jeunes communistes procèdent à l’enterrement de la démocratie. Arborant des mines de circonstance et des coquelicots en papier crépon, une partie de l’assistance est recueillie (…) une étudiante militante lit l’oraison funèbre de la démocratie dans un porte voix estampillé LCR, JC, AC, Attac, FSU, Solidaires, CGT, PCF, PRS… la constellation des sigles satellites de la planète Marx avait répondu présent. Soit quelque 80 personnes de tous âges ». Illustrant l’article, une photo de ces « funérailles » prend autant d’espace que le texte lui-même.

Un texte ironique : on relève ainsi quelques procédés rhétoriques visant à mettre les rieurs de son côté comme le tour de passe-passe faisant état des organisations appelant au rassemblement via le « porte voix estampillé » (celui-ci, à dire vrai, ne portait mention que de la LCR) ou comme le recours au jeu de mots un peu usé « planète Marx », réduisant ainsi Marx à une planète lointaine avec ses « satellites ». Mais, surtout, un texte qui réduit le militantisme à sa dimension la plus folklorique et qui tourne en dérision l’action collective, sans doute menée par des extra-terrestres (des marxiens ?)… Tout en hauteur et en finesse, le journaliste moque ces « 80 personnes de tous âges » qui « ont ainsi joué le recueillement devant le tombeau de la démocratie. » La mobilisation, pour L’Est républicain, relève donc du « jeu ».

Certes, le retournement opéré par le journaliste qui décide que la mise en spectacle opérée par les militants eux-mêmes nuit à l’efficacité de leur action peut inciter à se demander si ce type de mise en scène n’est pas risqué au regard d’une possible malveillance journalistique et, surtout, au regard du goût médiatique pour le spectaculaire au détriment du fond. Dans un livre d’Acrimed publié en 2007, notre association s’interrogeait :« Les formes de lutte et de mise en forme des luttes sont indissociables de l’impact médiatique escompté, au point que les impératifs de médiatisation des conflits invitent souvent à adopter des formes d’actions et de représentation ajustées à la logique médiatique. Oui, mais à quel prix ? Comment éviter de substituer le spectacle à la mobilisation ? Comment éviter que l’ingéniosité dans l’invention des formes ne se substitue l’organisation des forces [3] ?  »

Cependant, par-delà ses modalités et ses formes, c’est bien l’action collective elle-même et le refus du consensus qui pose problème à L’Est républicain. La clôture de l’article, conventionnellement, convoque le bon peuple sous les traits d’ « une dame d’une soixantaine d’années venue s’enquérir de la nature du rassemblement : “l’extrême gauche se soucie de la démocratie ? Bonne nouvelle !” ». Une « dame » tombée à point, juste durant les 5 minutes que le journaliste a passées pour « couvrir » l’événement : incarnation du bon sens, son regard sur ce « cérémonial » vaut jugement définitif sur un courant politique auquel le quotidien régional, à l’évidence, ouvre grand ses colonnes. Une conclusion qui conforte surtout un compte-rendu se caractérisant par sa condescendance. Mauvaise nouvelle : L’Est républicain se soucie de la démocratie comme d’une guigne.

Claudine Girod

 
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Notes

[1L’appel est consultable sur le site du CNR.

[2Idem.

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