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L’AFP privatisée par voie de presse ? (CGT-AFP)

Nous publions ci-dessous un communiqué de la CGT-AFP (Acrimed).

Dans Le Monde daté du 21 Mars, le PDG Pierre Louette a lancé une nouvelle attaque en règle contre le statut de l’AFP, mêlant allègrement la notion d’un « toilettage » à des réformes radicales qui impliquerait la constitution d’un véritable capital et la création d’un actionnariat, y compris parmi les membres du personnel.

Au moment même où paraissaient ses déclarations dans la presse française, M. Louette présidait une réunion du Comité d’entreprise, l’organe suprême de consultation avec les salariés de notre Agence, mais il n’en a pas dit un mot.

Il est évident que ce que propose M. Louette n’a rien d’un toilettage : il s’agit ni plus ni moins de sortir l’agence du cadre de la loi de 1957, sans doute pour la transformer en société anonyme tout comme d’autres entreprises médiatiques.

En effet, peut-on croire que le gouvernement actuel, confronté à l’occasion de modifier le statut d’une entreprise qui dépend non pas du droit commun mais d’une loi du parlement, va se contenter d’un « toilettage » ? Le silence de M. Louette sur ce point essentiel n’est certainement pas innocent. Lorsque le statut de l’AFP ne dépendra plus que d’un simple décret, ou sera tout simplement rentré dans le droit commun, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer.

Ce n’est certainement pas un hasard si cette offensive arrive au moment même où le paysage médiatique français est bouleversé par d’autres initiatives hasardeuses, et notamment le projet d’abolir la publicité sur les télévisions publiques, sans assurer les moyens de financement adéquats et en donnant des gages en or aux intérêts privés proches du pouvoir.

Petite ironie de l’histoire : à l’heure où l’on parle d’abolir la publicité sur les chaînes de télévision publiques en France, Pierre Louette introduit la réclame sur les services fournis directement, et gratuitement, aux internautes par l’AFP ! Cf par exemple les services "AFPBB" en japonais et surtout le jeu de tous les dangers sur le site "Facebook", lequel est non seulement douteux en termes rédactionnels mais un flop total sur le plan commercial !

Pierre Louette n’a rien inventé. Il ne fait que s’inspirer des funestes projets de vente de l’agence à Jean-Marie Messier (ex-Vivendi) par Eric Giuily et du successeur de ce dernier, Bertrand Eveno, avec la réduction de la voilure rédactionnelle et son souhait de privatiser la photo après avoir avoir vendu le siège de l’AFP en crédit bail.

A chaque fois, le plus haut responsable de l’AFP, a fait ces déclarations hors des instances légales de consultation de l’agence, au moment même où est renégocié le COM.

Le flou qui entoure ces négociations -qui devaient être conclues au 15 mars dixit le PDG- laisse à penser que la remise en cause du statut pourrait être au centre des débats, nonobstant la réduction de la masse salariale ou de nouvelles cessions d’actifs et ou des projets d’externalisation.

Plusieurs syndicats, dont le SNJ CGT, ont immédiatement réagi aux propos du PDG au Monde découverts à peine la réunion du dernier CE terminée. L’intersyndicale a exigé un CE extraordinaire qui se tiendra le 11 avril, et le PDG a enfin daigné s’exprimer dans une longue note interne qui précise un peu plus sa pensée.

Que dit le PDG ?

Il jure qu’il y a des « principes intangibles » et qu’ « aucune réforme du statut ne pourra se faire qui porterait atteinte à l’esprit général de l’article 2, celui qui voit décrites, comme autant de droits, les obligations fondamentales de l’agence ». Il évoque la présence d’ « un actionnaire majoritaire public ou une Fondation éventuellement dotée d’une golden share » — anglomanie, quand tu nous tiens — ainsi que la « représentation du personnel au capital ».... Pétition de principe.

Petit détail de l’histoire : le mécanisme du « golden share » - une action réservée ayant un pouvoir de veto sur l’ensemble du capital d’une entreprise - n’est plus du tout à la mode car il signifie en général qu’une société est contrôlée par l’Etat. Et cela ne plaît pas du tout aux instances ultra libérales de l’Union européenne. Que ce serait regrettable de voir la France retoquée par la Cour européenne sur ce point, alors que la loi de 1957 était déjà à la poubelle !

Les choses s’emballent dès qu’on rentre dans le détail : « Quant à la présence des clients au capital, si elle devenait réalité, elle devrait être très minoritaire et symboliser leur attachement à l’agence... », écrit faussement naïf M. Louette. Soit notre PDG, ancien du cabinet du Premier ministre Edouard Balladur, est mal informé du système économique qui régit notre économie, soit il prend le personnel et les syndicats pour des minus habens. A qui veut-il faire croire qu’un actionnaire même très minoritaire viendrait au « capital » (lequel ?) de l’agence par philanthropie ?

L’arrivée d’un actionnaire ne peut se faire qu’aux conditions expresses d’un retour sur investissement, de préférence à deux chiffres. Et l’article 2 et les belles déclarations d’intention sur l’indépendance voleraient aussitôt en éclat emportées par les exigences financières de cet actionnaire. « Action d’or » ou pas.

Preuve en est ce qu’il s’est passé à Libération avec la mise en coupe réglée du quotidien de Serge July par le financier Rothschild avec sa cohorte de plan d’austérité et de départs de salariés. Preuve aussi de ce qu’il se passe aujourd’hui au Monde, les 130 suppressions d’emplois et le poids de plus en plus grand des groupes Lagardère et Prisa, avec Bolloré en embuscade, qui montent au capital sous le poids idéologique de l’influent conseiller économique Alain Minc. Mais aussi la prise de contrôle des Echos, et les diverses concentrations de presse en PQR aux mains de quelques grands groupes financiers. Preuve en est encore ce qui est arrivé à Reuters qui malgré des protections réputées inviolables a été acquis par le groupe canadien Thomson.

Les propositions du PDG d’ouvrir le capital à des clients (lesquels ? : Google, Getty, Bolloré, Lagardère ?) sont inacceptables car tout démontre que l’arrivée d’actionnaires est un danger mortel pour l’indépendance rédactionnelle de l’agence, de son statut et TOUJOURS au détriment de l’emploi et de l’avenir de ses personnels.

On remarquera d’ailleurs que M. Louette ne parle plus de Yahoo comme actionnaire possible - et pour cause, car cette entreprise fait l’objet d’une OPA de la part de Microsoft. Voudrait-on voir l’AFP se fondre dans une entreprise ultra-capitalistique qui joue sur tous les tableaux, et qui est très loin d’être une simple firme médiatique ? Sans parler du fait, que nous savons déjà, qu’un actionnariat constitué au moins en partie par nos propres clients n’est pas très propice en ce qui concerne les tarifs !

Pour la CGT, le meilleur « capital » des salariés reste les acquis : salaires, plan de carrière, droits sociaux et traitement de l’information hors de toute pression.
Le statut doit être préservé car il n’a jamais empêché le développement de l’agence. Les erreurs tactiques et stratégiques répétées de nos directions successives et leur gestion souvent irresponsable, les patrons de presse et l’Etat qui n’ont pas joué leur rôle d’administrateurs, sont les causes directes de toutes les difficultés de l’agence.

Le Conseil d’administration doit jouer pleinement son rôle

1/ Les pouvoirs publics doivent voter un budget à la hauteur des ambitions de développement pour les abonnements des services de l’Etat, en ouvrant des possibilités d’emprunt à taux zéro à long terme pour le multimédia, etc.

2/ La presse doit faire jouer à l’agence un vrai rôle de coopérative en payant notamment le juste prix des abonnements, ET non pas en jouant contre l’AFP comme ils l’ont fait en créant par exemple un GIE photo (avec l’aide de l’AFP...) ou le projet actuel de création d’un GIE texte.

Un Com, pour qui ? Pour quoi ?

La CGT n’a eu de cesse de dénoncer la philosophie du Com qui vise avant tout à avoir une vision comptable de l’agence en réduisant la masse salariale et à faire payer aux salariés les erreurs des directions. Pourtant combien a coûté à l’agence Global Ethics Monitor, Sports Com Asia, le projet de pages froides, la poursuite de la politique des bonus sous des formes déguisées (primes pour objectifs atteints), les primes de départ de hauts responsables qui se chiffrent par centaines de milliers d’euros, etc...?

Et pour calmer les communiqués de victoire sur la gouvernance Louette, rappelons aujourd’hui la nécessité de rachat du siège, le remboursement de l’emprunt, avec une dette de quelque 40 millions d’euros. Pas d’argent pour la vidéo, le multimédia ni pour titulariser les CDD ? Et les
15 ME issus de la cession d’AFX, pourquoi ne pas les débloquer d’urgence ?

Pourtant dans le même temps, la Direction préfère investir 500.000 euros sur un projet flou de filiale Web 2:0 aux USA - et avec quels résultats !

Selon un article publié dans le New York Times le 2 mars, un des jeux les plus populaires sur le réseau « Facebook » totalise environ 600 000 utilisateurs par jour (Il s’agit de « Scrabulous », un plagiat du « Scrabble »). Grâce aux publicités qui s’affichent sur toutes les applications « Facebook », nous explique le journal, les créateurs de ce jeu touchent environ 25 000 dollars par mois : ceci pour un projet qui n’exige aucun entretien, car il s’agit d’un simple programme informatique.

Sachant que « Deadline », le quizz de l’AFP, atteint péniblement quelque 600 utilisateurs par jour depuis des mois, et que les pages d’infos « Fuel News » en attirent péniblement quelques dizaines par jour, nous pouvons nous faire une idée de la rentabilité de ce projet coûteux. Grâce à la folie « Facebook », l’AFP gagne environ 25 dollars US par mois - même pas de quoi offrir un café à chacun des salariés de la filiale au Starbucks du coin ! Pas étonnant dans ces conditions que M. Louette, qui veut se donner une image furieusement moderne, préfère insister aujourd’hui sur le rôle de « laboratoire » joué par sa filiale. Là aussi, il devra s’expliquer.

En même temps la Direction décide, sans en informer les élus du CE, de prendre une participation dans la plateforme de journalisme dit citoyen Citizenside et l’annonce une fois de plus par voie de presse.

Pourtant toujours aucune précision n’est fournie sur les projets stratégiques du passage au tout numérique. Circulez, y’ a rien à voir !

Quels projets ?

Force est de constater la réduction de la couverture rédactionnelle en province (Besançon, Perpignan, etc) justifiée dans un plan de réorganisation rédigé dans la précipitation, les dérives de plus en plus fréquentes qui nous entraînent sur la voie de la pipolisation, la précarisation des statuts avec des CDD de plus en plus nombreux dans la rédaction qui, comme dirait M. Louette, « n’ont pas vocation à être titularisés », le développement de l’anglicisation du service général au détriment des postes francophones, alors qu’il faudrait développer l’ensemble des langues de travail.

La Direction a-t-elle le projet de fermer le service portugais alors que des pays comme le Brésil sont une des nouvelles puissances émergentes ? La vidéo va-t-elle enfin avoir les moyens techniques et humains d’un vrai développement ? Qui se rappelle encore l’échec de l’AFP pour le rachat de WTN il y a 10 ans ? Et l’abandon du fonds d’image Keystone ?.

Le financement


Les pouvoirs publics doivent contribuer au développement de l’agence : quelque 100 mE de contribution de l’Etat aux abonnements de l’AFP ne représentent qu’une goutte d’eau dans le budget national (pour un nouveau sous-marin nucléaire ce sont 2 mds d’euros que le contribuable va débourser).

Face à cette situation, la CGT réitère sa proposition de table ronde sur l’avenir de l’agence avec les parlementaires, les administrateurs de l’agence, la Direction de l’agence, les représentants des personnels.

Quoi qu’il en soit, la solution ne peut être que politique et dans le cadre du statut. N’est ce pas le moment de consolider les fondamentaux de l’AFP alors que Thomson rachète Reuters et que Bolloré tente de mettre la main sur AP France ?.

La CGT lance un avertissement clair à la Direction de l’agence : nous nous opposerons par tous les moyens à la privatisation de l’agence qui représente une menace grave contre son avenir, le statut de ses personnels, son indépendance rédactionnelle et le droit à une information objective.

Aujourd’hui avec l’élection d’un représentant des personnels au CA, pourtant minoritaire, favorable aux thèses de la Direction, nous appelons le personnel à se mobiliser dans l’union de toutes les organisations syndicales.

CGT Toutes Catégories, Paris le 10 avril 2008

 
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