Racheter des titres concurrents sans vraiment injecter les fonds nécessaires à leur redressement, c’est ce que François Régis Hutin, PDG de Ouest France [2] , appelle le pluralisme atténué. La première victime de l’ogre breton s’appelle donc Vendée Matin. La seconde devrait être l’actualité vendéenne dans sa globalité. Avec comme grande gagnante, l’information institutionnelle…
La nouvelle est tombée le 2 avril au soir. Comme un couperet. Elle est sans appel : le quotidien Vendée Matin fermera définitivement ses portes à la fin du mois de juin 2008. Un sérieux coup porté au pluralisme médiatique vendéen par Ouest-France. Le propriétaire du futur ex-titre de la presse quotidienne plus que jamais en situation de monopole sur le département.
Un journal meurt et personne ne pleure. Alors même que Vendée Matin n’a plus que deux mois à vivre, nul ne semble vraiment affecté par ce sabordage annoncé. Responsables associatifs, syndicalistes, hommes politiques… Pas un n’a daigné déposer une gerbe de circonstance. Comme si la disparition d’un titre de presse dans un département aussi particulier que la Vendée n’avait aucune incidence. Comme si, après tout, chacun reconnaissait, par ce silence gêné, la suprématie incontestée de l’ogre breton sur les douze départements que comptent les régions Pays de la Loire, Bretagne et Normandie.
Pourtant le coup de massue est bien réel. « Nous nous savions tous en sursis, avouent certains de nos collègues. Mais, on ne pensait pas que le couperet allait tomber si vite. » Les signes avant-coureurs, eux aussi, étaient légion : lors du rachat du titre par Ouest-France, Vendée Matin a gardé son nom, alors que l’identité renvoyée au grand public restait focalisée sur le titre Presse Océan.
« Comment voulez-vous que les gens s’y retrouvent quand d’un côté on s’appelle Vendée Matin et de l’autre notre site Internet, notre calendrier 2008, notre référencement sur maville.com, (site d’infos géré par Ouest-France) nous ramènent encore et toujours à Presse Océan ! Cette confusion a sciemment été maintenue. Alors que cela n’aurait rien coûté au groupe de nous baptiser à notre tour Presse Océan, tout en faisant mention de la Vendée en sous-titre. Cette non prise de décision voulait bien dire quelque chose, non ? »
On ne sait. Ce que l’on peut en revanche ajouter à cette liste des signes de mauvais augure, c’est le fait que le traditionnel supplément d’été, prévu chaque début d’année, n’avait toujours pas été évoqué en avril ou, prémonitoire, que la direction n’ait même pas essayer de mettre en place un partenariat avec le Vendée Globe qui part des Sables-d’Olonne en novembre 2008... Un événementiel sportif de renommée mondiale. Surtout, une manne publicitaire dont aucun quotidien ne peut décemment se priver ! Et que dire des nombreux problèmes techniques liés à l’impression, des cafouillages dans la diffusion et le portage etc. Pourtant le nerf de la guerre et de la réactivité dans l’univers impitoyable des quotidiens...
En 2005, Jacques Auxiette, Jean-Marc Ayrault et tous les ténors de l’échiquier politique régional avaient pourtant jugé cette reprise comme étant la plus logique et, surtout, la plus viable pour le pôle ouest de la Socpresse (Le Courrier de l’Ouest, Le Maine Libre, Presse Océan et Vendée Matin). « A l’époque, j’avais pris mes responsabilités, répond aujourd’hui Jacques Auxiette, ancien maire de La Roche et actuel président de Région. Quand François Régis Hutin m’a contacté pour m’annoncer la nouvelle, je lui ai dit mon regret de voir fermer ce titre, mais ma compréhension face à l’équilibre économique de son groupe. » Comme si Ouest-France avait des problèmes de trésorerie. Comme si la mauvaise santé financière de PO et Vendée Mat’ n’était pas connue de tous, avant ce funeste mois d’avril 2008.
Cette décision de supprimer Vendée Matin de la carte des quotidiens de la presse régionale se ferait, selon nos informations, au profit du développement de Presse Océan, sur l’axe Saint-Nazaire/Nantes. Une fermeture qui n’est nullement une entorse au code de la concurrence médiatique. Ce dernier stipule qu’un titre qui en rachète un autre doit attendre trois années avant de décider éventuellement de fermer ce dernier. « Or Ouest-France ne ferme pas Presse Océan, mais son édition vendéenne qu’est Vendée Matin. » Ce n’est pas la même chose. Une histoire de nuance, comme souvent...
« On ne veut pas partir comme ça ! »
Récemment racheté par l’Ogre breton avec tout le pôle Ouest de la Socpresse, initialement détenu par un autre papivore du nom de Robert Hersant, Vendée Matin avait déjà connu le jeu des chaises musicales et des mutations, voyant les plus anciens quitter le navire par le biais de la clause de cession et les autres rejoindre les rédactions de la Loire-Atlantique ou du Maine-et-Loire. Laissant la porte ouverte à de jeunes journalistes. Certes talentueux, mais bien plus faciles à bouger au gré des mutations et bien moins chers à virer, dans le cas d’un hypothétique licenciement, qu’un rédacteur ou une rédactrice ayant 40 ans de boîte.
Sur ce point au moins, les collègues peuvent être rassurés. Le plan social n’a jamais fait partie de la politique maison du leader de la presse quotidienne régionale. Tous les salariés de Vendée Matin devraient donc être reclassés dans les rédactions de Presse Océan, du Maine Libre ou du Courrier de l’Ouest. Et pourquoi pas, au sein même des rédactions de Ouest-France ou dans la myriade d’hebdomadaires locaux appartenant à Publihebdos, filiale du groupe Ouest-France.
Au-delà même du seul cas des journalistes, d’autres interrogations demeurent : que vont devenir les CDD qui essayent de survivre dans la profession - même si, ces derniers temps, rares étaient ceux qui se voyaient affecter au sein de la rédaction vendéenne ? Quid des correspondants de presse qu’on imagine mal réintégrés par Ouest-France, au vue de sa propre politique en la matière. Et puis, se pose bien évidement la question des abonnés et plus généralement des lecteurs ? « J’espère au moins que la direction aura le bon goût de les avertir de la situation un mois ou quinze jours à l’avance. On ne veut pas partir comme ça, sans les prévenir. C’est une question de morale. »
Un boulevard pour l’information institutionnelle
Trois ans après ce rachat, voici donc le premier coup de canif porté par l’ogre breton dans sa propre entreprise de presse. Un empire étendu sur trois régions où, malgré tout, le pluralisme existe. Un pluralisme qui tient bien sûr à la multitude des titres, mais aussi et surtout à la diversité des points de vue éditoriaux et journalistiques. Même si Ouest-France et Vendée Matin sont, chaque jour, constitués à près de 80% des mêmes informations, le traitement de l’actualité est différent. « C’est d’ailleurs cet aspect là qui est important, reconnaît Pierre Regnault quand on l’interroge sur la question. Cela permet une vision plus complète de ce qui nous entoure. » Et, quoi qu’on en dise, toujours plus objective qu’une vision unique. « Certains journalistes de Ouest-France m’ont même avoué que la disparition de Vendée Matin n’était pas saine pour leur propre travail », ajoute le maire de La Roche-sur-Yon.
Une situation de monopole où la hiérarchie de l’information à la Ouest-France vaudra désormais actualité quasi exclusive sur la Vendée. Le risque d’une seule et même « parole d’évangile » qui devrait alerter associations et syndicats. Un microcosme qui donne pourtant l’impression de faire délibérément le mort. Comme si ce dernier, échaudé par les comptes-rendus et couvertures du mouvement social souvent jugés partiels et partiaux, avait décidé de s’en remettre exclusivement à ses propres organes d’information et de diffusion… Un procès d’intention, sûrement. Un silence qui en dit malgré tout beaucoup sur la défiance de la presse dite classique par de plus en plus d’acteurs sociaux et associatifs.
Pourtant, personne n’est dupe. Au-delà du simple « tirage de bourre » entre collègues, des « coups » réalisés ici ou là par telle plume, cette disparition, avant d’être effective, profite déjà à ce qu’on appelle l’information institutionnelle. Une mort annoncée pour un énorme boulevard ouvert aux journaux types La Roche mag ou le Journal de la Vendée. Un gratuit, déjà ancré dans la tête des Vendéens comme étant un bimensuel d’actualité, qui n’avait pas besoin de cela pour s’étendre et faire prospérer ses idées. L’enterrement de Vendée Mat’ est proche et personne ne pleure. Le temps des larmes viendra malheureusement bien assez tôt…
Le Sans-Culotte 85 br>
– Cet article est une synthèse d’un article paru sur le site du Sans-Culotte 85 et d’un article publié dans le n° de mai 2008 du journal.