La suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques est une vieille revendication de gauche. Mais il y a suppression et suppression. Celle annoncée par Nicolas Sarkozy le 8 janvier et sur laquelle la Commission Copé travaille depuis le 19 février ne peut satisfaire ceux qui sont attachés au service public audiovisuel. A l’évidence, il s’agit d’une offensive plus grave encore que la privatisation de TF1 en 1986.
Annoncée sans concertation préalable, elle survient, en effet, au moment précis où l’ensemble des chaînes « historiques » se trouve confronté à une crise de grande envergure. Toutes voient leurs audiences diminuer et se reporter sur les nouveaux vecteurs de diffusion qui, en 2012 pourraient capter près de la moitié des téléspectateurs. Les télévisions publiques font, de plus, les frais d’un sous-financement chronique depuis maintenant plus de dix ans. Les chaînes privées, quant à elles, subissent une érosion de leurs recettes publicitaires, captées par les nouveaux supports. TF1 ou M6 cherchent donc de nouveaux « relais de croissance ». Dans la continuité des mesures favorables à l’audiovisuel privé annoncées par Christine Albanel en octobre 2007 (révision des obligations dans le domaine de la production, desserrement des contraintes dans le domaine de la publicité, réforme des dispositions relatives à la concentration), Nicolas Sarkozy a en partie exaucé leurs vœux.
La suppression annoncée crée les conditions du basculement vers le privé des 780 millions d’euros de ressources publicitaires du public. Coût total d’une telle opération pour France Télévisions : 1 milliard 200 millions d’euros par an. Or, le gouvernement se refuse obstinément à envisager une augmentation de la redevance (la plus faible d’Europe). Une mesure pourtant nécessaire, avec la taxation des recettes publicitaires et des opérateurs télecoms, pour éviter le sous-financement du sous-financement.
Ce qui se profile donc c’est la réduction des ressources des chaînes publiques, la diminution drastique de leur offre de programmes et la suppression de milliers d’emplois.
« Il n’y a aucune différence entre les programmes des chaines publiques et des chaines commerciales » affirme François Fillon. Non, M. Fillon, il n’y a aucune commune mesure, depuis 25 ans, entre l’offre publique et l’offre privée. D’un côté, des entreprises appartenant à la collectivité nationale et accomplissant des missions fixées démocratiquement : informer, distraire, instruire et cultiver des usagers citoyens (même si certains de leurs programmes ne sont pas sans reproche). De l’autre, des fabricants de spectacles chargés par leurs actionnaires de séduire un maximum de clients et de les convoyer en douceur vers les spots publicitaires avec pour objectif principal le profit maximum.
La télévision est la première des pratiques culturelles contemporaines. Chaque Français y consacre en moyenne trois heures trente-neuf chaque jour et au total 12 ans de sa vie. Un tel outil de culture, de divertissement populaire et d’information pluraliste ne peut être abandonné à la seule logique commerciale.
D’autant que le service public de télévision n’est pas le seul menacé : dans tous les domaines de la culture, le soutien de l’Etat est brutalement remis en cause.
Nous professionnels de la télévision, de la radio, du cinéma, de la presse, du théâtre, des arts plastiques, de la musique et de la danse, de la littérature, téléspectateurs, élus et citoyens exigeons que soit garanti, dès aujourd’hui et pour les décennies à venir, un service public fort et indépendant avec en son cœur pluralisme des opinions et diversité culturelle sans lequel notre Nation perdrait son âme. Ensemble, refusons que l’esprit des affaires s’empare des affaires de l’esprit
Signataires : Jack Ralite (Sénateur), Jean Bigot (Directeur de la fiction de France 2), Marc Chauvelot (Secréataire général du SNRT-CGT France 3), Maurice Failevic (réalisateur), Roger Kahane (réalisateur), Pierre Musso (universitaire) Guy Pineau (enseignant chercheur), Samira Ouardi (doctorante en sciences de l’information et de la communication), Lilianne Rossignol, Marcel Trillat (réalisateur), Jean-Francois Tealdi (grand reporter FTV, responsable syndical), Jean Voirin (secrétaire général de la Fédération CGT du spectacle)
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