Les difficultés des entreprises de presse sont marquées par une financiarisation croissante du secteur et par une dépendance de plus en plus marquée et revendiquée à l’égard des ressources publicitaires. La presse lyonnaise ne prétendant pas à l’exception se voit menacée par les désormais inévitables « déséquilibres budgétaires » qui sont très souvent à l’origine d’une recapitalisation, affermissant in fine le contrôle des actionnaires ainsi que la mise au pas des rédactions, parfois revendiquée par les nouveaux propriétaires, et trop souvent intériorisée par de nombreux journalistes.
Les ennuis comptables de l’hebdomadaire Lyon Capitale et du mensuel Lyonmag qui ont éveille l’appétit d’appropriation d’un homme d’affaires lyonnais médiatiquement discret en la personne de Christian Latouche en sont des illustrations symptomatiques.
Latouche à droite toute
Christinan Latouche, 79ème fortune française selon le magazine Challenge, est un PDG peu connu du grand public. Sa richesse, il la doit à « son » groupe Fiducial dont il a jeté les bases en 1970. [1]
Bien que peu visible, Christian Latouche n’est pas pour autant taiseux et sait se faire le porte voix décomplexé des « français de souche », « de la France qui a peur d’aller dans le métro », « peur de laisser sa voiture dans un parking » [2] et autres préoccupations éminemment progressistes, doctement déclinées lors d’un meeting du glorieux MNR (Mouvement National Républicain), présidé par Bruno Mégret l’ex bras droit de Jean Marie Le Pen.
Stratégie en deux temps ?
Sensible aux difficultés de l’hebdomadaire Lyon Capitale en redressement judiciaire dont il a été l’objet depuis l’interdiction de publier les annonces légales, Christian Latouche vient de l’acquérir, via la société Atar filiale du groupe Fiducial et succède ainsi à Xavier Ellie (ancien patron du Progrès – quotidien régional de Rhône-Alpes). Le montant de la transaction est évalué à 350 000 euros assortis de trois licenciements avalisés par les salariés de l’hebdomadaire. Le nouveau directeur n’est autre que Marc Fraysse l’ex-député RPR de Villeurbanne et soutien actif de Charles Millon quand celui-ci a tenté en mars 1998 de se faire réélire président du conseil régional avec les voix du FN.
Loin de se contenter d’un hebdomadaire au modeste tirage (près de 3 000 exemplaires) Christian Latouche lorgne voracement sur LyonMag, qui revendique plus de 20 000 exemplaires vendus et dont il est actionnaire minoritaire avec près de 10% du capital [3].
Les difficultés financières de LyonMag ont conduit son président, Phillipe Brunet-Lecomte, à se mettre en quête de plus de 500 000 euros, finalement consentis par le magnanime Latouche moyennant une caution dite de nantissement (possibilité pour le créditeur de récupérer sa créance sous forme d’actions) qu’il a fait opportunément valoir… huit jours plus tard escomptant ainsi prendre le contrôle du mensuel. Le tribunal de commerce a été saisi et doit rendre un avis dans les toutes prochaines semaines. Mais force est de constater que le manœuvrier Latouche est en passe de réussir son coup, à savoir la prise de contrôle de LyonMag.
Motivations désintéressées ?
Peu porté jusqu’alors sur les médias, Christian Latouche semble sérieusement s’y intéresser. Qu’est-ce qui pourrait le motiver ? L’opportunité de réaliser de copieux bénéfices ? Il est peu probable que ce soit le ressort principal de cette entreprise d’acquisition dans la mesure où les deux titres ne brillent pas par leurs comptabilités. En revanche, les perspectives de profit ne sont pas totalement exclues dans le cas d’un rapprochement des deux gazettes (auxquelles viendrait éventuellement se rajouter la tribune de Lyon ?). Christian Latouche, en homme averti, n’entend probablement pas insulter l’avenir et n’ignore pas que l’air du temps est aux groupes médiatiques et à la rationalisation des coûts et des effectifs… Les retombées pourraient se révéler lucratives pour lui et fatalement désastreuses pour ses salariés et pour la qualité et la pluralité de l’information dans l’agglomération lyonnaise.
Si les considérations financières ne sont pas à écarter, la volonté de constituer un puissant instrument d’influence semble prévaloir, en tout cas dans un premier temps. La possibilité de peser plus lourdement sur le débat politique lyonnais, notamment en « militant » pour des positions chères à la droite extrême, engendre ainsi un énième excentrement droitier du centre de gravité de la presse rhodanienne.
Bien que partiellement prévisibles, les mutations de la presse lyonnaise n’en sont pas moins inquiétantes : sa dépendance sans cesse accrue à l’égard des pouvoirs économique et politique risque, à terme, de mutiler le débat démocratique déjà très sensiblement amputé.