I. Les sermons de Philippe Ridet, du Monde br>
- ... Docteur ès grèves et conseiller en communication
La séquence, après plus de trente minutes de papotage, touche à sa fin. Gérard Aschiéri, secrétaire général de la FSU, termine une intervention. Il en appelle à des gestes du gouvernement pour renouer le fil du dialogue car, dit-il, « la confiance est rompue depuis plusieurs années, il faut la restaurer ». Quand, soudain, Philippe Ridet, grand spécialiste des questions de l’éducation… puisque, journaliste politique au Monde (il s’occupe, depuis 1995, de la droite en France et, nécessairement, de Nicolas Sarkoz), demande la parole.
C’est sa deuxième intervention. Quelques minutes auparavant, il avait déjà témoigné, en guise de « connaissance des dossiers », de son expérience… personnelle, à propos de l’Agence que le gouvernement veut constituer pour remplacer les professeurs absents, notamment par des étudiants.
- Philippe Ridet : - « Je parle un peu par expérience… Je partage l’opinion autour de ce plateau : vous êtes toujours systématiquement contre. Moi, on m’a demandé de faire des remplacements quand j’étais pion dans les années 70. J’avais deux ans de fac, personne ne s’est inquiété de savoir si j’avais le diplôme…donc. » br>
- Gérard Aschiéri - : « Des profs qualifiés, c’est mieux ! » br>
- Philippe Ridet : - « Oui mais il y a des situations d’urgence où il vaut mieux demander à un étudiant que de ne pas avoir de prof du tout, c’est le bon sens … »
Porte-parole expérimenté du « bon sens », Philippe Ridet intervient donc une deuxième fois quelques instants plus tard. Reconnaissons qu’il n’a pas abusé de sa présence : deux prises de parole de quelques secondes, en trente minutes d’émission, pour faire bénéficier les téléspectateurs de son « expertise », ce n’est pas trop. Quoique… En effet, cette fois encore, s’il s’immisce dans le « débat », c’est pour stigmatiser, au nom de « l’opinion autour du plateau », ces enseignants qui sont « toujours systématiquement contre ».
L’arrogance du sermonneur, épaulé par Judith Waintraub, journaliste politique au Figaro et accompagné par Paul Amar, mérite bien une petite vidéo.
Voici la transcription :
- Philippe Ridet : - « Trente secondes, trente secondes. En ce moment, les profs, vous êtes en train de perdre la bataille de la communication, mais d’une façon terrible !! C’est-à-dire que l’on parle là comme si la grève et les profs, c’était consubstantiel, comme si on parlait d’une situation quasiment normale, comme si vous deviez faire grève six ou sept fois par an [ironique sous entendu : « voilà, c’est comme çà, etc »]... et vous êtes en train de perdre la bataille de la com’. J’ai envie de vous dire : “Mais réveillez-vous, allez chercher des attachés de presse, je ne sais pas enfin, changez-vous, changez vous, changez votre discours, votre ton, soyez un peu plus…” » br>
- Paul Amar (réjoui de tenir là « un coup » ?) : « Philippe Ridet, du Monde, hein, du Monde ! » br>
- Gérard Aschiéri : - « Moi, je dirais à vous, à vous qui êtes journaliste : “ écoutez-un peu mieux ce qu’on dit” … » [Il est interrompu] br>
- Philippe Ridet : - « On a le sentiment que vous dîtes toujours la même chose, c’est ça le problème… » br>
- Gérard Aschiéri : « … parce que l’affaire des postes, quand je dis : “Ce n’est pas le seul problème ”, c’est tout de même, enfin si vous prenez les médias et notamment les médias audiovisuels, c’est la seule chose qui apparaît, quand on parle, quand on nous fait parler et c’est un des problèmes auxquels on est confronté. » br>
- - Judith Waintraub (soupirant) : « Enfin, excusez moi mais quand on se balade dans les manifs, on ne voit que çà ! » [Grande enquêtrice, Judith Waintraub se balade…] br>
- Paul Amar (en guise de réponse dilatoire à la critique d’Aschiéri) : « Alors, les uns et les autres, regardez davantage France 5 qui rend compte de la vie du monde de l’éducation et d’une façon qui n’est pas toujours conflictuelle ».
Ignorant tout des revendications et des propositions syndicales, qu’ils ne connaissent que par ce qu’en disent leurs confrères et par ce que montrent les reportages sur les manifestations, nos grands « spécialistes » ne se bornent pas à parler en courtiers des poncifs dominants (les enseignants toujours en grève, systématiquement opposés à tout) : avec Philippe Ridet, ils ont trouvé un ténor de l’arrogance sirupeuse qui fait la réputation du Monde.
Gérard Aschiéri, à juste titre, a fait remarquer que si l’on n’entend pas les propositions des syndicats, c’est d’abord parce que les médias audiovisuels les rendent inaudibles. Il aurait pu inclure France 5 et l’émission à laquelle il participe.
II. L’effacement des propositions syndicales : br>
- … La preuve par France 5
Les propositions des enseignants et de leurs syndicats ? Ce n’est ni le sujet, ni le moment. Et finalement, ce n’est pas intéressant.
D’abord, ce n’est pas le sujet
Aucun des invités, à l’exception de Gérard Aschiéri, n’était un spécialiste des questions scolaires [1].
Mais était-ce utile puisque le point de départ de la séquence était le « coup » de Nicolas Sarkozy, intervenant au soir de la journée de manifestations des enseignants le 15 mai, pour annoncer une loi sur le « Service minimum d’accueil » des élèves en cas de grève ? Toute l’émission tourne d’ailleurs ce jour-là autour de lui, à en juger par les quatre thèmes : 1. « Sarkozy et la presse : l’amour vache ? » ; 2.- « Sarkozy veut-il vraiment protéger les sources des journalistes ? » ; 3 - « Pour ou contre le service minimum à l’école ? » ; 4. « Le couac de la loi sur les OGM ».
C’est donc par de graves interrogations sur la posture de Nicolas Sarkozy que Paul Amar, fasciné en général par le « buzz », les « coups » ou les « couacs », ouvre une séquence qu’il entend dédier, non aux problèmes de l’école, mais à la politique du Président de la République, appréhendée à travers le prisme de sa stratégie de communication. Or l’annonce de Nicolas Sarkozy est à la fois une menace d’atteinte au droit de grève, une opération politique dirigée contre le PS, une fin de non-recevoir aux revendications des enseignants mobilisés et, par conséquent, une manœuvre de diversion que « Revu et corrigé » va s’employer à relayer complaisamment.
C’est d’ailleurs ce que démontre à sa façon le reportage introductif de 3 mn que son auteur, Philippe Gaudin, commente ensuite en plateau pour relever, au passage, que Nicolas Sarkozy « avait réussi quelques chose : empiéter sur le temps médiatique qui allait être accordé aux syndicats et aux manifestants ». (Comme s’il s’agissait seulement d’une question de temps). Une opération d’ « empiètement » réussie avec le consentement de ces mêmes médias, omet-il de préciser, à commencer par l’émission de France 5, puisque « Revu et corrigé » cautionne la manœuvre que l’émission prétend « décrypter », en privilégiant l’annonce de Sarkozy plutôt que de parler des revendications des enseignants et des propositions de la FSU.
À plusieurs reprises, Gérard Aschiéri tentera de les présenter. Mais en vain.
Première tentative : alors que Paul Amar le somme, « avant de parler du fond », de commenter le « coup », Gérard Aschiéri rappelle que cette belle tentative de diversion est lourde de conflits à venir, puisqu’elle ne résout absolument aucun des problèmes qui devraient préoccuper tous ceux que le sort de l’école intéresse. Mais ces problèmes sont manifestement « hors sujet » pour Paul Amar, focalisé sur le « Service Minimum d’Accueil » et l’écho sondagier du bruit médiatique : « Mais vous avez entendu le sondage ? La majorité des français approuve cette mesure ». LE sondage : cet ingénieux instrument qui tient lieu de source d’informations pour journalistes pressés de ne rien comprendre. Gérard Aschiéri réplique : « […] vous savez la question, ça relevait un peu de "Est-ce que vous préférez être riche et bien portant ou pauvre ou malade ?" […] » Puis, il tente une deuxième fois de « parler du fond », en soulignant sa volonté de sortir de ce genre de débat car, dit-il, au lieu de regarder les problèmes de l’école, on veut faire de la grève le problème. Or, si l’on ne veut pas de grève, il faut commencer à écouter ceux qui protestent au lieu de les stigmatiser. Ecouter, ne n’est apparemment pas la préoccupation de la plupart des journalistes présents….
Ensuite, ce n’est pas le moment
… Qui laissent Frédéric Lefebvre, député et porte-parole de l’UMP poursuivre une polémique dont ils partagent la cible : « J’aimerais savoir quelle est la réforme que vous avez soutenu depuis vingt ans ? J’ai l’impression que vous êtes toujours contre […] », assène le député. « Je vous retournerais la question : "quelle est la revendication que nous portons que vous soutenez ou que vous reprenez ?" » réplique Gérard Aschiéri qui donne des exemples. « Et des propositions, j’en ai à vous soumettre », poursuit-il. « Moi, je parlais des vraies réformes », commente la voix de l’UMP qui, devenue à la place de Paul Amar l’animateur du « débat », disqualifie ainsi, pour le compte de tous les participants les propositions dont on n’entendra pas parler.
Au cours des échanges qui suivent, Gérard Aschiéri répète plusieurs fois, que les profs et les syndicats sont porteurs de projets pour changer l’école et qu’ils sont prêts à en discuter avec tout le monde. Ainsi :
- Frédéric Lefebvre (animateur de substitution) : « Vous étiez dans la rue ? Pourquoi ? J’ai toujours pas bien compris… » br>
- Gérard Aschiéri : « Je peux vous réexpliquer si vous voulez ! ». Il résume la position générale : les syndicats d’enseignants refusent une politique qui sacrifie l’idée que tous les jeunes puissent réussir. Et il insiste : « Et ce n’est pas seulement une question de postes ! » Silence dans les rangs des journalistes présents qui s’abstiennent de demander des précisions.
Quand Frédéric Lefebvre s’en prend aux positions des syndicats en refusant de les entendre, il est dans son rôle de député de l’UMP. Mais que tous les journalistes, par leur silence ou leurs interventions, ne cessent d’interpeller Gérard Aschiéri sur la prétendue monomanie des professeurs concernant les effectifs ou bien de lui reprocher un message inaudible au moment où, précisément, on lui interdit de le formuler est édifiant.
Quant à Paul Amar, s’il se borne à ponctuer les échanges, c’est sans doute parce qu’il est en train de « décoder l’actualité vue par les médias ». Et que les propositions des enseignants ne figurent pas dans « son » actualité. Bref, ce n’est pas, à ses yeux, le moment d’en parler, comme le montre l’échange suivant :
- Frédéric Lefevbre : « Il y 50% d’échec en deug, ça vaut pas le coup de faire des choses et de réfléchir ? » br>
- Gérard Aschiéri : « Oui, posez-vous la question, posons ensemble la question, je vais vous proposer quelques idées… » br>
- Paul Amar l’interrompt aussitôt : « En attendant votre réponse, je vous laisse un petit peu réfléchir et je donne la parole aux journalistes politiques que sont Judith Weintraub et Maurice Szafran »
Ce qui est urgent, ce n’est pas de débattre des propositions syndicales, mais de donner la parole aux journalistes politiques qui, spécialistes de tout, ont, eux, longuement réfléchi aux problèmes de l’école …
Finalement, ce n’est pas intéressant
Si Maurice Szafran, de Marianne dénonce… la dénonciation des profs par la droite gouvernementale, Judith Waintraub, très colère, revient à la charge : « Vous dîtes que ce n’est pas qu’une question d’effectifs mais on (sic) n’entendait que à. Comment faites-vous pour dépasser ce problème ? Il n’y a pas que ça, dites-vous, mais ça a envahi tout le reste. Je veux savoir : vous en faites un postulat ? » Remplaçant Frédéric Lefebvre, et ne connaissant que ce qu’elle a lu dans Le Figaro, elle ressasse ce qu’a dit son mentor sans entendre les réponses déjà formulées, ni les suivantes.
Suite de l’échange :
- Gérard Aschiéri : « Non, mais nous voulons qu’avant de couper dans les effectifs, on commence par estimer les besoins et les faiblesses de l’école. Nous voulons une autre logique et partir des besoins. » br>
- Judith Waintraub (qui n’a ni écouté ni compris) - « Oui, mais est-ce un postulat ? » br>
- Gérard Aschiéri : - « Non ». br>
- Judith Waintraub : - « Grande nouvelle alors ! »
Ce n’est une « grande nouvelle » que pour des journalistes qui savent avant de savoir parce qu’ils ne savent que ce qu’ils lisent dans leurs médias préférés.
Gérard Aschiéri complète sa première réponse et donne, encore une fois, un exemple précis en mentionnant les dernières décisions budgétaires prises avant toute estimation des besoins réels.
Plutôt que de s’arrêter sur cette explication, Paul Amar, simple passe-plat, préfère donner la parole à Frédéric Lefebvre qui, fort de la censure médiatique des propositions syndicales, peut cyniquement affirmer ce que Philippe Ridet reprendra à son compte : « […] On ne cesse de déverser des moyens depuis des années et la seule chose que l’on entend, opinion et politiques compris, c’est les effectifs, le reste personne ne comprend ce que veulent les profs… » Affirmation cynique et démagogique, puisque la contribution de « débats » comme celui de « Revu et corrigé » offre peu de chances que « l’opinion », que le ci-devant député et citoyen prétend représenter, soit véritablement informée.
Mais finalement, cela n’intéresse pas Paul Amar qui prend bien soin de revenir à « ce qui fait polémique » : le service minimum pour accueillir les élèves. Suit d’abord un intermède sur les Agences de remplacement qui offre enfin à Philippe Ridet l’occasion d’intervenir, comme on la vu plus haut, pour courageusement hurler avec les loups (« Je partage l’opinion autour de ce plateau : vous êtes toujours systématiquement contre ») et faire part, non de son savoir journalistique, mais de son « expérience personnelle ».
Il est alors temps de revenir à la véritable « actualité » car Paul Amar est pressé, en attendant la loi, de découvrir le « système D » auquel ont recours les parents. Benjamin Vincent, journaliste de l’émission, se penche sur leurs « galères », grâce à deux ou trois exemples de solution puisés sur le net, assortis d’un éloge appuyé du site de RMC qui propose, « sans garanties », de jouer les intermédiaires. Où l’on apprend enfin à quoi servent certains médias…
La suite est longuement dédiée au « service minimum » [2]. Quand la séquence touche à sa fin, va-t-on revenir enfin sur les propositions syndicales sur l’avenir de l’école ? On aurait pu naïvement le croire puisque Paul Amar a laissé à ses interlocuteurs « le temps de réfléchir ». Non. Paul Amar est pressé : « Maurice Szafran, un mot, parce qu’on va passer à une autre séquence. » Mais plus de 4mn seront encore consacrées à laisser la parole à Szafran qui affirme que le service minimum n’est pas une atteinte au droit de grève, puis une fois de plus à Frédéric Lefebvre [3]…
… Avant que Philippe Ridet, sentencieux comme un cardinal du Monde, véhément comme un parent d’élèves exaspéré et exalté comme un chargé de communication, n’intervienne. Aveugle et sourd, il ne veut pas savoir que si les propositions syndicales sont inaudibles, c’est parce qu’elles sont évacuées dans les médias, audiovisuels notamment, comme le démontre, avec sa propre contribution, l’émission à laquelle il vient de participer
À de tels désinformateurs désinformés, on a envie de répondre : « Mais réveillez-vous, devenez vraiment des journalistes, je ne sais pas, changez-vous, changez vous, changez votre discours, votre ton, soyez un peu plus… ». Ou un peu moins…
Henri Maler et Mathias Roux br>
- Avec Ricar à la vidéo.