Officiellement, la mesure vise à retenir les annonceurs susceptibles de migrer sur Internet. Mais après la notification par le président de la République, le 8 janvier dernier, de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, nul ne doute qu’il s’agisse d’un nouveau cadeau offert aux chaînes privées en train de devenir des groupes multimédias [1]. Selon des agences en achat d’espace, la nouvelle coupure leur rapporterait 300 millions d’euros (Le Figaro, 31 mai – 1er juin 2008). Les deux tiers de cette manne – 197 millions d’euros – tomberait dans l’escarcelle de TF1. Deux poids, deux mesures : l’annonce de Jean-François Copé succède au refus exprimé par Nicolas Sarkozy d’augmenter de… deux euros la redevance audiovisuelle destinée aux chaînes publiques.
Une taxe sur les revenus publicitaires envisagée par la commission Copé afin d’associer les opérateurs privés au financement des chaînes publiques devrait rapporter 80 millions d’euros. Jugeant l’effort insoutenable, les entreprises de médias déploient un lobbying intense pour dissuader le pouvoir de mettre en œuvre un tel projet. Et pour le convaincre de revoir une réglementation qualifiée de « perverse » et « malthusienne » (Les Echos, 7 mars 2008) : TF1 et M6 réclament une révision du quota de publicité ainsi qu’un « assouplissement » du dispositif anti-concentration qui, depuis 1994, interdit à un opérateur privé de posséder plus de 49 % du capital d’une chaîne réalisant plus de 2,5 % de part d’audience nationale [2].
Leur complainte a ému Christine Albanel [3]. Dans un entretien aux Echos (3 juin 2008), la ministre de la culture et de la communication annonce le relèvement imminent du volume horaire de publicité autorisée ainsi que la remise en cause des seuils anti-concentration. « Les groupes audiovisuels français n’ont pas la taille critique au niveau international, s’inquiète Christine Albanel. Et si on les compare aux opérateurs téléphoniques, ce sont des nains ». Sachant que la concentration s’accroît aux dépens du pluralisme, le sens de l’arbitrage ne laisse aucun doute. La déclaration paraît à ce point inspirée par les bénéficiaires de la mesure que Les Echos, quotidien pourtant peu suspect d’inclinations socialisantes, interroge : « On va vous accuser de favoriser les chaînes privées. »
Ces nouvelles faveurs accordées au groupe Bouygues, actionnaire de référence de TF1, s’interprète à l’aune des liens étroits qui unissent Martin Bouygues au président de la République : le premier, témoin de mariage du second, est aussi le parrain de l’un de ses fils. « Martin, c’est pour moi la définition de l’amitié, de la droiture, de la fidélité, a confié le président de la République. Depuis vingt-cinq ans bientôt, nous nous parlons tous les jours. » (Le Point, 20 juillet 2006)
Pour TF1, il était temps que les discussions aboutissent. L’annonce de Copé intervient alors que les voyants économiques du groupe passent au rouge les uns après les autres. La part d’audience, d’abord : chevauchant les 40 % au début des années 1990, elle a pâti de la multiplication des chaînes de la Télévision numérique terrestre (TNT) et de la montée en puissance d’Internet ; en mai 2008, elle n’atteint plus que 27,2 %. Le chiffre d’affaire publicitaire, ensuite. En baisse de 3,7 % au premier trimestre, il se trouve bridé par un marché à la fois anémié et siphonné par Internet. Enfin – et surtout ! – le cours de l’action : entre le 7 mars 2000 et le 2 juin 2008, le titre TF1 s’est littéralement effondré, passant de 93 euros à moins de 13 euros. Une situation délicate pour le groupe Bouygues qui envisage, avec l’aide du président de la République, un redéploiement dans le nucléaire. Par les temps qui courent, la filière énergétique rapporte plus et plus sûrement que la télévision hertzienne. Passer sans encombre de l’une à l’autre exigeait une revalorisation préalable du groupe TF1. Les mesures annoncées par Jean-François Copé et Christine Albanel suffiront-elles à y pourvoir ?
Pierre Rimbert