L’affaire est ahurissante. Pierre Etaix n’est pas un cinéaste « commercial », il n’a réalisé que 5 films dont 4 co-écrits avec Jean-Claude Carrière, dans les années 60. Il fait partie de ces artistes un peu hors normes, dans la lignée des Buster Keaton et Jacques Tati. Clown autant que cinéaste, il a fondé en 1973 l’Ecole nationale du cirqu : c’est dire combien il se situe dans cette tradition de s’adresser au public le plus large et le plus populaire. Ses films n’étaient donc pas destinés à être enfermés dans un placard…Or c’est ce qui leur arrive !
Alors, on s’interroge : qu’est-ce qui rend impossible la rencontre entre des créateurs qui n’ont pour seuls désirs que de faire renaître leurs films et les montrer et des spectateurs qui souhaiteraient, le temps de quelques projections, s’évader d’une vie quotidienne souvent harassante dans un univers poétique et burlesque ?
Les explications nous ramènent à un tout autre univers : celui où tout s’achète et tout se vend, même le rêve et le rire.
Pierre Etaix a cédé ses droits d’auteur (plus exactement les droits patrimoniaux, droit de représentation et de reproduction). Il l’a fait dans un premier temps à la société CAPAC. Mais voyant que celle-ci n’assurait pas efficacement l’exploitation de ses films, il ne renouvelle pas le contrat, contrairement à ce que fait Jean-Claude Carrière qui n’est pas au courant de la décision de son ami. Premier imbroglio. L’exploitation des films est bloquée pour 10 ans. 10 ans, c’est très long pour des vieux films qui sont menacés de disparaître à tout jamais s’ils ne sont pas restaurés. Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière s’en inquiètent et en 2002 le tribunal de grande instance de Paris leur accorde le droit de restaurer les négatifs à leurs frais. Le jugement est confirmé en appel en 2003.
Mais la restauration, ça coûte cher. Leur avocate, Francine Wagner-Edelman, spécialiste de la question des droits d’auteur, vole alors à leur secours. Elle leur propose les services de la société Gavroche Productions, gérée par son propre frère, Alain Wagner, dans laquelle elle possède alors des parts. Deuxième cession des droits en 2004, deuxième imbroglio. Le contrat reste en projet car non signé par Gavroche Productions qui s’avère être une société fantôme, comme le souligne Le Canard Enchaîné du 12 décembre 2007 : « Gavroche Productions, créée en 1996 se présente comme une société de ‘’négoce et de production de courts métrages’’. Mais onze ans après, on attend encore la première bobine. Officiellement domiciliée dans le XIIIème arrondissement de Paris, elle se réduit surtout à une simple boîte aux lettres et ne dispose même pas d’un numéro de téléphone. » .
Au bout de deux ans pendant lesquels rien ne se passe, en novembre 2006, Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière décident d’entamer la restauration de leurs films avec la Fondation (privée) GROUPAMA GAN pour le cinéma [1]. Alain Wagner se réveille alors, signe en janvier 2007 le projet de contrat qui est publié au RPCA [2] et revendique sa qualité de cessionnaire exclusif pour le monde entier. En mai et en juillet de la même année, au festival de Cannes et au festival de Paris Cinéma, un public privilégié peut revoir « YOYO » mais le 13 juillet 2007 le tribunal de Grande Instance de Paris déboute Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière de leur demande de récupérer leurs droits et les condamne à payer les 5000 euros de frais de justice. Les deux auteurs tentent une assignation sur le fond. Pour l’instant, leurs films restent condamnés à l’oubli, ne peuvent être diffusés, même gratuitement, ni au cinéma, ni à la télévision.
Quelles leçons tirer de cette « affaire » ?
On peut bien-sûr estimer que les deux auteurs ont joué de malchance ou bien qu’ils ont été particulièrement imprudents en accordant trop vite leur confiance ; c’est d’ailleurs ce qu’ils reconnaissent eux-mêmes, ainsi que le rapporte le Canard Enchaîné du 12 décembre 2007 : « ‘’J’ai sans doute fait une erreur, j’ai peut-être signé un peu vite’’, confesse aujourd’hui Etaix. ‘’C’est une leçon pour tous les auteurs. Qu’ils soient très vigilants avant de signer quoi que ce soit ‘’, ajoute Carrière. » Un clown-cinéaste et un écrivain-scénariste : les deux auteurs ne sont pas, visiblement, des hommes d’affaires habitués aux arcanes des textes juridiques et aux subtilités visant à vous déposséder de vos droits.
Mais cette affaire révèle plus qu’une simple défaillance compréhensible.
Elle invite à réfléchir sur les conditions de la production intellectuelle et artistique et sur l’épineuse question des droits d’auteur [3] : à s’interroger sur les raisons qui poussent un auteur à céder ses droits à un tiers et à prendre ainsi le risque de voir son œuvre lui échapper, mais surtout à mettre en question l’existence de ces sociétés parasites qui s’approprient la création d’autrui pour leur seul profit.
Propriété morale de leurs auteurs, les œuvres artistiques sont aussi un bien commun : une part d’un patrimoine culturel qui devrait être inaliénable à des sociétés privées dont les motivations sont en général plus commerciales que philanthropiques. Pierre Etaix n’aurait pas dû se trouver confronté au souci de sauver les négatifs de ses films d’une destruction toujours possible. La sauvegarde des films qui constituent un patrimoine cinématographique devrait être une mission de service public et le CNC devrait avoir tous les moyens nécessaires pour effectuer les restaurations.
En acceptant la privatisation de l’entretien de ce patrimoine, on finit par en accepter la privation des droits d’auteurs et la privatisation purement commerciale des œuvres. Qu’une société, qui plus est fantôme, puisse s’autoriser à « faire main basse sur des films » [4], à en bloquer la diffusion est inacceptable, tout comme il est inacceptable qu’elle ne soit pas condamnée en justice pour ce détournement d’un bien public.
Les films de Pierre Etaix doivent être rendus à leurs légitimes propriétaires : leurs auteurs et le public auquel ils étaient destinés, c’est-à-dire nous tous !
Nadine Floury br>
- Cet article a été rédigé à partir des informations recueillies sur le site www.lesfilmsdetaix.fr, sur le site de l’ACRIF (association des cinémas de recherche d’Ile de France), sur le site paris.evous.fr, sur le blog de Serge Toubiana, directeur de la cinémathèque française et dans un article du Monde paru le 21 décembre 2007……
NB Cette pétition est désormais obsolète (mai 2011). Sur le site de la pétition , on peut désormais le message suivant : « La pétition pour la ressortie des firs de Pierre Etaix n’a plus de raison d’être et c’est tant mieux. Nous sommes heureux de vous annoncer la FIN DÉFINITIVE de l’imbroglio juridique qui bloquait depuis de nombreuses années la ressortie des films de Pierre Etaix ! L’intégrale de l’œuvre cinématographique de Pierre Étaix est ressortie sur les écrans le 7 juillet 2010. Aujourd’hui, elle est enfin disponible en DVD !!
Depuis plusieurs années, Pierre Etaix, clown-cinéaste, réalisateur de Yoyo et du Soupirant, se bat pour la ressortie de ses films. Soutenons le.
Passionné de cirque, amoureux du cinéma, Pierre Etaix est l’un des derniers dépositaires de la tradition burlesque telle qu’elle s’est construite sous l’impulsion de Buster Keaton puis de Jacques Tati dont il fut l’un des plus proches collaborateurs.
Dans les années 60, Pierre Etaix réalisa cinq longs-métrages, co-écrits avec son ami Jean-Claude Carrière. Ces films obtinrent de nombreuses récompenses, prix Delluc, des prix à Cannes, Berlin, Moscou… Pourtant, aujourd’hui, plus un seul n’est visible.
Rien à voir avec un quelconque désintérêt des diffuseurs ou du public : de nombreuses salles souhaitent projeter le célèbre YOYO, magnifiquement restauré en 2007 par la Fondation Groupama Gan pour le cinéma. Elles ne le peuvent pas !
Alors pourquoi ?
Tout simplement parce qu’un « imbroglio juridique » prive les auteurs de leurs droits et interdit la diffusion de leur œuvre.
Cette situation est inacceptable. Elle condamne à l’oubli cinq films qui comptent parmi les plus originaux du cinéma Français.
En France, pays de l’exception culturelle, quel sort réserve-t-on à l’œuvre de Pierre Etaix, ce jeune homme de 79 printemps ? Celui de Buster Keaton aux Etats-Unis : un oubli pur et simple suivi, quelques dizaines d’années plus tard, d’une reconnaissance posthume ? Maigre consolation pour l’un des derniers grands artisans du slapstick [5], toujours désireux de partager son amour du cinéma.
L’œuvre de Pierre Etaix appartient au patrimoine du cinéma français. Encore faudrait-il qu’elle soit accessible ! C’est pourquoi, nous, spectateurs, acteurs, réalisateurs, scénaristes, techniciens du cinéma et de la télévision, journalistes, responsables de salles demandons que Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière retrouvent leurs droits et les films leur public.