Dans son numéro en date du 16 juin 2008, le mensuel de critique et d’expérimentation sociales CQFD, journal associatif presque entièrement réalisé par des bénévoles, publie un court encadré en page six venant compléter un reportage sur un meeting du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) qui s’est tenu le 7 juin à Marseille. Sous le titre « Rouillan y va », cet article reprend des extraits d’une interview de Jean-Marc Rouillan réalisée par téléphone. Le voici en intégralité :
« Besoin d’orga ? Envie d’orga ? ’’Il vaut mieux un mauvais parti que pas de parti du tout.’’ C’est en citant Rosa Luxemburg que Jean-Marc Rouillan assume publiquement son ralliement au NPA. ’’Vu la décomposition des forces de résistance, je pense qu’il y a là un espoir pour plein de gens qui en ont marre de vivre sans instrument de lutte’’. L’ex d’Action directe a vraiment l’air emballé. D’autant qu’en causant avec le camarade Olivier, il a été ’’surpris par ses positions vraiment à gauche, alors qu’on pouvait s’attendre à un discours un peu béni oui-oui’’. Même pas un peu de méfiance vis-à-vis d’une O.P.A. trostkarde ? ’’Je pense que la Ligue va exploser et que ce n’est pas une magouille de leur part. C’est moi qui suis allé vers eux, j’ai été reçu très simplement. C’est quand même assez courageux de leur part d’accepter un mec dans ma situation judiciaire, puisque je suis tenu à ne pas faire de politique. Et puis, je ne suis pas sectaire non plus, la preuve j’ai même écrit pour CQFD !’’ » [1]
Deux jours plus tard, Le Canard enchaîné reprend l’information dans une brève de page deux délicatement intitulée « Adhésion directe », sans en citer la source et en déformant allègrement les faits :
« Le ’’Nouveau Parti Anticapitaliste’’ (nom provisoire) d’Olivier Besancenot n’est pas encore créé, mais il est déjà victime de son succès. Le 7 juin , à Marseille, où il était venu présenter son projet, le facteur de la LCR a eu un entretien avec Jean-Marc Rouillan, le membre fondateur du groupe Action directe qui a été, jadis, condamné à perpète pour le meurtre du général Auchan (sic ! pour Audran)... et du pédégé de Renault, Georges Besse. La rencontre a été fructueuse puisque l’ex-terroriste, actuellement en régime de semi-liberté et employé d’une maison d’édition marseillaise, a d’ores et déjà annoncé à Besancenot qu’il adhérerait à sa formation. En voilà un qui va aider à renforcer le corpus doctrinal du nouveau parti. »
Problème : le 7 juin, un samedi, Jean-Marc Rouillan était en prison, conformément au régime de semi-liberté auquel il est astreint. Joint par Acrimed, il confirme n’avoir pas rencontré Olivier Besancenot ce jour-là - contrairement à ce que prétend le Canard. En réalité, ses contacts avec la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) sont antérieurs au 7 juin. Le Canard, en lisant l’encadré de CQFD accolé à un article sur le meeting du 7 juin à Marseille, aura cru que Rouillan, en parlant de ses contacts avec Olivier Besancenot, faisait référence à une rencontre survenue ce jour-là, ce que ne dit pas CQFD et que Le Canard n’a pas cherché à vérifier.
« Emballement » médiatique ?
Qu’importe ! C’est le point de départ d’une frénésie qui ne s’emparera des médias que dix jours plus tard, au moment de la première réunion nationale des délégués des comités constitués en vue de la création du futur parti. Le Parisien, LeNouvelObs.com, Libération et France 2, pour ne citer qu’eux, vont alors se livrer à un concours de plagiats, d’extrapolations et d’amalgames visant à discréditer le NPA.
Première salve avec Le Parisien qui dans son édition du 28 juin remarque sous le titre « Un ancien d’Action directe chez Besancenot » qu’« il y a des soutiens qui ne passent pas inaperçus. » Cet article, qui fait référence au Canard enchaîné, cite certains propos de Rouillan : « Évoquant le nouveau parti anticapitaliste (NPA), l’ancien terroriste a expliqué y voir ’’un espoir pour plein de gens qui en ont marre de vivre sans instrument de lutte’’. ’’C’est moi qui suis allé vers eux, j’ai été reçu tout simplement’’, explique-t-il. » Etrange ressemblance avec les propos recueillis par CQFD douze jours plus tôt... N’ayant pu joindre Rouillan, Le Parisien, ne voulant pas s’abaisser à citer un petit journal inconnu – et sulfureux – qui vient de sortir un « scoop », fait comme s’il avait réalisé lui-même l’interview en question. Pour paraître crédible, il publie également des extraits d’interviews de l’avocat de Rouillan et de responsables marseillais et nationaux de la LCR, qui sont eux accessibles.
Un tel exploit vaudra au Parisien de se voir tresser une couronne de lauriers par LeNouvelObs.com. Recopiant le quotidien qui plagie CQFD, le site explique : « Jean-Marc Rouillan, ancien membre du groupe terroriste Action Directe, est intéressé par le nouveau parti anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot et pourrait le rejoindre, explique Le Parisien paru samedi 28 juin, confirmant des informations du Canard Enchaîné de mercredi. Jean-Marc Rouillan affirme voir dans le NPA "un espoir pour plein de gens qui en ont marre de vivre sans instrument de lutte". "C’est moi qui suis allé vers eux, j’ai été reçu tout simplement", a-t-il expliqué au Parisien . » Alors qu’il n’a jamais parlé au Parisien !
Mais ce n’est pas fini : « L’ex-compagnon de Nathalie Menigon, avec qui il a fondé Action Directe à la fin des années 70, aurait rencontré à ce sujet Olivier Besancenot lors de sa venue à Marseille le 7 juin , selon le Canard Enchaîné. Les amis du porte-parole de la Ligue Communiste Révolutionnaire confirment des rencontres régulières entre les membres du comité local de création du NPA et Rouillan, selon le Parisien, ce qui est également authentifié par l’AFP. » Or, que dit l’AFP ? « Le porte-parole et ex-candidat à la présidentielle de la LCR, Olivier Besancenot, a récemment participé à un déjeuner avec Jean-Marc Rouillan lors d’un déplacement à Marseille, a déclaré à l’AFP Alain Krivine en marge de la première réunion nationale des comités pour un "Nouveau parti anticapitaliste" (NPA), qui doit remplacer le mouvement trotskiste. » Rien de plus. Cette fois, la date est imprécise... et aucune allusion n’est faite dans cette dépêche, qui peut être consultée sur le site de la LCR, au comité marseillais du NPA. Mais puisque l’AFP « authentifie » une information du Parisien, qui « confirme » une désinformation du Canard enchaîné, c’est donc que cette désinformation doit être exacte...
C’est ce que semble penser Libération, qui écrit le 30 juin : « Interrogé sur ses liens avec Jean-Marc Rouillan, cofondateur d’Action directe, Olivier Besancenot s’est étonné d’un ’’différé dans les médias’’. Agacé, il a souligné qu’une ’’rencontre a eu lieu à Marseille, le 7 juin’’. Le leader de la LCR a déjeuné avec l’ancien terroriste d’extrême gauche, qui a montré de l’intérêt pour le Nouveau parti anticapitaliste. » Cet agacement ébauche-t-il une critique des médias à laquelle Olivier Besancenot s’est jusqu’alors refusé ? A suivre…
Un adhérent d’Acrimed était présent lors de la conférence de presse qui a eu lieu à l’occasion de la réunion nationale des 28 et 29 juin. Selon lui, non seulement Olivier Besancenot a dit que Jean-Marc Rouillan aurait toute sa place au sein du futur NPA (pourvu qu’il en accepte les principes), mais il a aussi invité les journalistes à se demander pourquoi cette « affaire » sort précisément à ce moment-là. En revanche, le même, participant à la conférence de presse, ne se souvient pas avoir entendu la moindre allusion à une rencontre ou à un déjeuner entre le porte-parole de la LCR et l’ancien d’Action directe qui aurait eu lieu le 7 juin à Marseille, même si Olivier Besancenot a confirmé avoir été contacté par ce dernier, mais sans préciser sous quelle forme. Contacté par Acrimed, le bureau politique de la LCR a précisé que Besancenot a rencontré Rouillan « autour du 7 » mais « pas le 7 ».
L’information approximative a été propagée un peu partout : exemple frappant de ce qu’est la « circulation circulaire de l’information » – ou plutôt, ici de la désinformation. Exemple d’un « emballement » qui, ne s’expliquant pas par…l’emballement, doit lui-même être expliqué.
Un journal qui fait parfois référence auprès de ses confrères – Le Canard enchaîné – publie une information erronée sur un sujet aguichant en mésinterprétant ce qu’à écrit un journal qui ne fait pas référence auprès des grands médias. Rien ne se passe dans l’immédiat… Mais quand dix jours plus tard l’information en question peut être ressortie (copiée par Le Parisien d’abord…), l’ensemble des médias se rue dessus sans prendre la peine de remonter à la source originale, si ce n’est pour la plagier afin d’attirer le chaland et tenter de disqualifier un parti de gauche contestataire en construction.
En publiant l’information selon laquelle Jean-Marc Rouillan était intéressé par le NPA, CQFD pensait peut-être être repris, mais certainement pas de la sorte. Les journalistes dominants, qui se gargarisent quand cela les arrange de leur « déontologie », feraient mieux de relire les articles du code dont ils se réclament, et notamment l’article 8, qui énonce : « Un journaliste, digne de ce nom, ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque. » Il semblerait pourtant que dans la presse dominante, l’usage veuille qu’on ne cite uniquement que ses confrères « respectables » et qu’on pille allègrement le travail de confrères « méprisables » – d’ailleurs sont-ils bien des « confrères » ? – qui produisent avec peu de moyens mais avec ténacité un petit journal de critique sociale qu’il serait fâcheux de faire découvrir au grand public.
Marie-Anne Boutoleau - Avec la documentation réunie par Ugo, Serge et Denis
Note d’Acrimed (ajoutée le 21 juillet 2008) : Le 18 juillet 2008 dans Le Parisien / Aujourd’hui en France, on pouvait lire :
« Précision
Dans son édition du 28 juin, notre journal a publié un article intitulé “Un ancien d’Action directe chez Besancenot”. L’article relatait l’intérêt de Jean-Marc Rouillan – ancien membre du groupe terroriste condamné pour meurtre et bénéficiant depuis décembre 2007 d’un régime de semi-liberté – pour le Nouveau Parti anticapitaliste de Besancenot. Les citations de Rouillan provenaient d’une interview de l’ancien d’Action directe au mensuel CQFD, publiée dans le numéro du 15 juin 2008 de cette revue éditée à Marseille. »
Annexe : Quand le service public « informe », en toute « objectivité »...
Le 28 juin, les 20 heures de France 2 et de TF1 ont consacré chacun un bref sujet à la réunion nationale des délégués du NPA. Les deux sujets ont « anglé » sur l’objectif principal de ce projet, qui est de rassembler toutes les forces de la gauche de gauche au sein d’un parti commun. Les deux chaînes ont donné la parole à Olivier Besancenot. Cependant, alors que le commentaire introductif à cette interview était assez bref, neutre et de portée générale sur la télévision de Bouygues, la chaîne de service public a axé son commentaire sur la porte ouverte par le NPA à Jean-Marc Rouillan, en condamnant fermement cette initiative.
_ - France 2, Olivier Galzi : « Il sera peut-être l’épine dans le pied du Parti socialiste. Olivier Besancenot a réuni ses comités locaux en vue de créer un nouveau parti anticapitaliste. Il s’agit de rassembler selon ses termes ’’tous ceux qui ne se résignent pas’’, y compris d’ailleurs d’anciens terroristes condamnés pour crimes de sang. Souvenez-vous de Jean-Marc Rouillan, ancien membre du groupe armé d’extrême gauche Action directe, il avait été reconnu coupable de complicité d’assassinat d’un ingénieur de l’armement et du PDG de Renault dans les années 80. et bien malgré ce parcours, Jean-Marc Rouillan aura semble-t-il sa place dans le nouveau parti d’Olivier Besancenot, c’est ce qu’il nous a confirmé tout à l’heure dans notre journal de 13 heures dont il était l’invité, on l’écoute. »
Les deux interviews qui ont suivi était du même tonneau : sur TF1, Olivier Besancenot a pu s’exprimer sur la visée générale du NPA et le public auquel il s’adresse, tandis que sur France 2 il a été sommé de s’expliquer sur ses liens avec Jean-marc Rouillan, alors même que son propos venait d’être rendu inaudible par les commentaires introductifs pleins d’objectivité du présentateur. Quant au projet politique du NPA, les téléspectateurs de France 2 n’en auront rien su...