Que Laurence Ferrari fasse la « Une » de Challenges (parce qu’elle (re)fait la France ?) est dans l’air du temps médiatique [1]
Que la plupart des (re)faiseurs de France, aux yeux de Challenges, soient issus du patronat (et des prétendues « élites »), n’est pas étonnant. Mais le choix des auteurs des portraits de ces bienfaiteurs est pour le moins surprenant.
« De Gaulle des télécoms », « charmeur », « iconoclaste fuyant les conventions »… pour comprendre le journalisme selon Challenges, du moins dans ce « dossier », le portait flatteur de Jacques Veyrat (co-dirigeant du groupe Louis Dreyfus et ex-PDG de Neuf Telecom) par Xavier Niel (vice-président d’Iliad-Free) doit être lu juste après celui de Xavier Niel par… Jacques Veyrat : « incontournable », « résultat excellent », « le plus doué des révolutionnaires de l’Internet »…
Pour bien saisir le journalisme selon Challenges, du moins dans ce « Top 100 », il faut aussi lire le portait de Stéphane Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde, et lire le portrait de Frédéric Oudéa (patron de la Société Générale)… par ledit Richard.
Pour apprécier à sa juste valeur le journalisme selon Challenges, il faut lire avec attention le portrait élogieux de Luc Besson par François-Henri Pinault : « une âme d’enfant espiègle et informé », « grand professionnel », « personnage hors norme »… PPR, dont ce dernier est le PDG, est associé à EuropaCorp, la société de production de Luc Besson, pour la réalisation d’un film... Un hasard ?
Pour déchiffrer le journalisme selon Challenges, il faut lire, sans rire, le portrait de Vincent Bolloré par Alain Minc : « activisme obsessionnel », « il ajoute à la confiance en soi du tycoon la décontraction du fils de famille », « hybride du Petit Prince et de Machiavel »… Le premier est l’employeur du second pour sa chaîne Direct 8, le second est le conseiller financier du premier, via sa boîte de conseil « AM conseil ».
Pour savourer le journalisme selon Challenges, il ne faut pas rater le portait décomplexé de Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, par Albert Frère, Président du Groupe Bruxelles Lambert qui commence par un « Bernard et moi nous entendons très bien ». On s’en serait douté.
Pour se pénétrer de l’étendue du journalisme selon Challenges, il faut vérifier qu’il ne néglige aucune variété du patronat… et ne pas s’étonner que le portrait de Jean-Michel Aulas (Président de l’Olympique Lyonnais) soit écrit par Gérard Houiller (entraîneur de Lyon de 2005 à 2007) : « C’est un très bon président, le meilleur de ceux avec qui j’ai été amené à travailler. Il est vif, intelligent, très agréable, très humain. » Très flatté aussi, non ?
Ceux qui raffolent du journalisme selon Challenges, pourront lire, dans la joie et la bonne humeur, le portait de l’économiste Jean Tirole par Michel Pébereau (Président de BNP Paribas) et celui de Michel Pébereau par l’économiste Patrick Artus (interviewé deux fois dans le même numéro) ainsi que celui de Claude Durand, PDG de Fayard, par Eric Fottorino, patron du Monde, déjà édité chez… Fayard (Besoin d’Afrique, en 1992).
Quant à ceux qui douteraient du zèle de Jean-Marie Colombani, ils pourront contempler, sur deux pages, le portrait involontairement délicieux de Nicolas Sarkozy tracé de main de maître par l’ancien directeur du Monde : « Sur le front de la société française, de ses enjeux, c’est-à-dire de la réforme du pays, il y a quelques bonnes raisons de penser qu’il vaut mieux continuer à faire ce qu’il fait. »
Que les « 100 qui (re)font la France » selon Challenges s’acclament entre eux, et soient choyés par leurs proches n’est pas vraiment une surprise. Mais que Challenges consacre et acclame ces acclamations est sans doute une prouesse du journalisme (économique) d’investigation… selon Challenges.
Mathias Reymond