Sur les traces des « incontournables »
Sorte de Josyane Savigneau (en moins drôle), la rédactrice de la « révélation », Marie-Laure Delorme, raconte : « Tout a commencé par un "indiscret" dans Le Journal du Dimanche du 15 juin 2008 : Teresa Cremisi, PDG des éditions Flammarion, allait annoncer, le 17 juin, devant 300 libraires, la parution en octobre d’un livre secret, à quatre mains, tiré dans un premier temps entre 100 000 et 150 000 exemplaires. Un tirage monumental. A partir de là, la machine à rumeurs s’est emballée pour créer le plus gros buzz littéraire jamais vu. C’est allé crescendo. Des journalistes en sont même venus, ces derniers jours, à appeler de gros imprimeurs pour connaître le nom des deux mystérieux auteurs. »
On avait fini par connaître le premier : Michel Houellebecq. Mais qui serait son complice ? Pour le découvrir, Marie-Laure Delorme a enquêté dans les rues glauques de Saint-Germain-des-Prés. Au petit matin blême, devant un café crème un peu tiède (c’est ainsi que, pris par l’ambiance « littéraire », nous l’imaginons…), elle a fini par éventer le secret : « Ce sera Houellebecq vs... BHL. Source de nombreux fantasmes, le "livre secret" annoncé par Flammarion en juin dernier, se dévoile. »
Débusquer un tel « scoop » n’a pas dû être une mince affaire. Soucieux de la littérature et préférant éviter le mélange des genres, les éditeurs et les attachés de presse sont – évidemment ! – réticents à alimenter les rédactions en « buzz » ! Si de surcroît ceux-ci travaillent pour le même patron, ils se fixent – bien sûr ! – des limites que leur intégrité leur interdit de franchir. Quand bien même les deux auteurs seraient employés par deux éditeurs Lagardère (Fayard pour Houellebecq et Grasset pour BHL).
« Le sens du jeu, le goût du feu »
Le mystère à peine levé, l’inquiétude fait place à l’impatience. Marie-Laure Delorme qui n’a pas encore lu le livre mais qui « possède déjà quelques éléments sur ce qui s’annonce comme un événement » nous allèche : « Ils disent beaucoup et donnent beaucoup dans Ennemis publics. On sait que Michel Houellebecq y est égal à lui-même et que Bernard-Henri Lévy y est au mieux de lui-même. L’auteur du Siècle de Sartre (Grasset, 2000) aurait-il enfin trouvé un partenaire à sa hauteur ? On pourrait penser que Bernard-Henri Lévy s’encanaille et que Michel Houellebecq s’embourgeoise. Aucune chance. Rien n’est jamais simple avec eux. Ils se cherchent plus qu’ils ne se trouvent. Ils ont en commun le sens du jeu et le goût du feu. »
Frétillant d’excitation, le lecteur du JDD pourra patienter grâce aux suggestions de lecture du chroniqueur maison Philippe Sollers. Par exemple ? Dans le même numéro (21 septembre 2008), des conseils d’une audace inouïe (Angot, Millet, deux auteures injustement boudées par la critique et la publicité), des choix inattendus (deux romans Gallimard, cette petite maison qui édite des auteurs marginaux comme Philippe Sollers), une solidarité émouvante (le prochain livre « très étonnant » de Josyane Savigneau qui a toujours courageusement défendu le fondateur de la revue Tel… et BHL [1]).
… Sous la direction de Claude Askolovitch
En conservant les meilleurs chroniqueurs comme Philippe Sollers tout en redynamisant son titre grâce à des scoops « glamour » et culturels, Claude Askolovitch montre qu’il est un pro. Un vrai. Du bois dont on fait les patrons de presse et les meilleurs éditorialistes.
Détendre le CSP+ après son jogging, lui raconter la politique politicienne mise en scène par les sondeurs et les communiquants, le faire rêver avec quelques portraits de footballeurs et lui prescrire de la culture à consommer, en abandonnant aux lectrices le plaisir de feuilleter (en baillant) les pages du supplément Fémina : Claude Askolovitch a tout de suite pris ses marques à la tête du Journal du dimanche.
Pourquoi chipoter et contester l’ouverture d’esprit d’un homme prêt à abandonner le magistère de Jean Daniel au Nouvel Observateur pour assumer des responsabilités éditoriales au sein du groupe Lagardère ? Et attribuer à des amitiés particulières sa soudaine promotion [2] ? L’étroitesse de ces esprits chagrins le dispute à leur ignorance. La trahison d’un journaliste « de gauche » ? Pas du tout. En revenant à Europe 1 et en intégrant le JDD, Claude Askolovitch boucle la boucle.
Jeune journaliste, Claude s’est aguerri au sein des médias de Jean-Luc Lagardère. Europe 1 mais aussi et surtout Globe puis L’Evénement du jeudi [3]. Au contact d’un autre seigneur du journalisme, Georges-Marc Benamou, il a forgé une conscience « de gauche » résolument moderne, c’est-à-dire d’abord BHLienne. Dans ces folles années 1980, le « nouveau philosophe » n’est pas qu’un modèle de beauté et d’élégance qu’on arbore en « une » régulièrement. Il est le maître à penser de toute une génération de rédacteurs à qui il transmet sa rigueur morale et sa capacité à débusquer le nazi qui sommeille en beaucoup [4].
« Asko » est de ceux-là. « Les gauchistes d’Allah » (la formule est de lui) [5], Bernard Langlois [6] ou, plus récemment, Siné n’ont pas échappé à sa vigilance.
Le talent du nouveau rédacteur en chef du JDD pour traquer les immondes en tous genres est reconnu depuis longtemps. Sa disposition à faire ou à laisser reluire les joyaux littéraires édités par son nouvel employeur n’est pas mal non plus.
Martin Schrader