La motion majoritaire
La motion E présentée par Ségolène Royal et Gérard Collomb est arrivée en tête avec près de 30 % des voix [1]. Sous le titre « Garantir la liberté de la presse », on peut lire cette déclaration de principe : « Les médias doivent pouvoir jouer leur rôle d’information en toute liberté. Leur financement doit être indépendant de toute autre puissance (des pouvoirs publics, mais surtout aujourd’hui des puissances d’argent). » (p. 133) Elle est suivie d’un vigoureux diagnostic : « La suppression de la publicité sur les chaînes publiques est un coup bas contre le service public destiné à le paupériser » (ibid.). Fort bien. Reste à savoir si les propositions sont à la hauteur de ces proclamations.
« Nous proposons de :
- Interdire à tout groupe privé vivant notamment de la commande publique de détenir plus de 25 % dans les grands médias.
- Intégrer le temps de parole du président de la République dans celui de la majorité parlementaire.
- Partager également le temps de parole de l’opposition avec celui de la majorité. » (ibid.)
Et c’est tout !
Ces propositions minimales ne disent rien (ou presque, comme on le vérifiera plus loin) ni des concentrations financiarisées et multimédias, ni des projets de la droite au pouvoir concernant la presse écrite, ni des solutions à apporter au financement de France Télévisions, ni des médias associatifs... De surcroît, chacune d’entre elles pose problème :
- Pourquoi maintenir un droit de participation (de 25 % !) des groupes privés vivant de la commande publique ?
- Pourquoi limiter la question du pluralisme politique à la répartition du temps de parole entre majorité et opposition, c’est-à-dire entre les formations politiques représentées au Parlement ?
Reste à parcourir les autres motions…
Vous avez dit « indépendance » et « pluralisme » ?
Le déficit d’indépendance des médias est souligné, d’une manière ou d’une autre, par toutes les motions. Parfois à travers des dénonciations virulentes.
Par exemple, la motion A (Delanoë) [2] souligne avec gravité l’importance de cette question : « Le combat pour les libertés n’est jamais achevé. Il demande, d’abord, une grande vigilance par rapport aux atteintes que porte ce pouvoir autoritaire à des libertés, en matière [...] d’influence sur les médias. Notre opposition doit être sur ces points, d’une totale fermeté. » (p. 20)
La motion C (Hamon) [3] insiste sur le fait que la dépendance des médias est à la fois économique et politique : « Le pluralisme est gravement mis en cause par une double soumission aux grands groupes économiques et à cette intrusion du pouvoir politique en place. L’affaiblissement et l’appauvrissement de la télévision publique en est l’illustration flagrante. Nous pensons, nous, que l’indépendance des médias, la transmission du savoir, la liberté de l’information et de la presse sont plus que jamais décisives. » (p. 107)
La motion D (Aubry) [4] parle de changer certaines règles afin de garantir une meilleure indépendance des médias ...mais sans se montrer très explicite : « Nous développerons la transparence, à travers [...] une réforme des règles applicables aux groupes de presse et aux médias audiovisuels pour garantir leur indépendance vis-à-vis des puissances de l’argent, leur pluralisme. » (p. 106)
La motion F (Utopia) [5] souligne plus fortement que toutes les autres l’uniformité qui règne dans les médias et l’idéologie libérale qu’ils diffusent [6].
Reste à savoir quelles mesures permettraient de contrecarrer ces tendances.
Vous avez dit « temps de parole » ?
Selon la réglementation en vigueur, le temps de parole politique dans l’audiovisuel est régi par un certain nombre de règles. Celle dite « des trois tiers » conduit à donner deux tiers de la parole au pouvoir en place (un tiers pour le gouvernement, un tiers pour la majorité parlementaire) contre seulement un tiers à l’opposition parlementaire. Le temps de parole du Président de la République, quoique comptabilisé, n’est pas pris en compte par le CSA ; il peut donc s’exprimer aussi souvent qu’il le souhaite. Quant aux petits partis (ceux qui ne sont pas représentés au Parlement), les médias audiovisuels sont supposés leur accorder un temps de parole « équitable » [7]. La motion E (Royal) prévoit de revenir sur deux de ces règles (voir plus haut). Les autres ne semblent pas estimer que le système actuel est particulièrement injuste puisqu’elles n’en parlent pas.
Alors, répétons ce que nous avions déjà écrit ici même – sous le titre « Temps de parole : les angoisses de Nicolas Demorand, des démocrates du PS et des caniches du CSA » - en octobre 2007 : « La démocratie, dit-on, se juge au respect du droit des minorités. Qui nous dira en quoi il serait démocratique et “de gauche” d’appliquer au pluralisme audiovisuel les conséquences du scrutin majoritaire à deux tours ? »
Vous avez dit « concentrations » ?
Tous les textes (à l’exception de la motion B du pôle écologique [8]) abordent cette question [9] et proposent des mesures anti-concentrations.
Comme on l’a vu la motion majoritaire propose uniquement d’« interdire à tout groupe privé vivant notamment de la commande publique de détenir plus de 25 % dans les grands médias » (p. 133). Quant aux autres, force est de constater qu’elles s’en tiennent à une déclaration d’intention générale : « Le renforcement des règles anti-concentration » pour la motion A, l’adoption d’« une loi anti-concentration en France » pour la motion C ou encore « un refus de la concentration et la garantie du pluralisme par la loi » pour la motion D.
Seule la motion F (Utopia), moins floue et plus ambitieuse, prend la mesure des enjeux : « Nous proposons de réguler le marché de l’audiovisuel et de la presse de manière à limiter les concentrations capitalistiques [...]. Ainsi, dans la presse et l’audiovisuel, les parts détenues par un groupe privé ne pourront pas représenter plus de 30% du capital des plus grands médias et pas plus de 15% de l’audience dans chaque type de média (presse, télévision, radio). Les entreprises réalisant plus de 10% de leur chiffre d’affaires dans les marchés publics ne doivent pas être autorisées à prendre de participation dans les médias. » (p. 156)
Vous avez dit « liaisons dangereuses » ?
Sur les entreprises bénéficiant de commandes de l’État, quatre des six motions ont jugé important de prendre position en préconisant soit la limitation soit l’interdiction pure et simple.
- Limiter à 25% la participation d’un groupe privé au capital des grands médias bénéficiant de commandes de l’État pour la motion majoritaire ; interdire aux (seules) « sociétés tenant une part conséquente de leur revenu des marchés publics d’être en même temps éditeurs de médias » (p. 107) pour la motion Aubry.
- Interdire totalement. Motion C (Hamon) : « les socialistes doivent s’engager à mettre fin aux intérêts croisés entre l’industrie des médias et la commande publique en interdisant aux firmes vivant de la commande publique (bâtiment, armement, distribution de l’eau) de détenir des parts dans le secteur des médias. » (p. 81) [10]
Et l’audiovisuel public ?
Pour répliquer à la suppression de la publicité sur l’audiovisuel public, sans compensation effective ni moyens de développement, trois motions se contentent de déclarations d’intention :
- la motion E (Royal) se borne à constater que « la suppression de la publicité sur les chaînes publiques est un coup bas contre le service public destiné à le paupériser » sans avancer la moindre solution.
- La motion A (Delanoë) est à peine moins floue : « Nous devrons donc nous battre pour un audiovisuel public fort pour une télévision de qualité, disposant d’un financement réel et pérenne, et d’une nouvelle gouvernance, parties intégrantes de son indépendance » (p. 21).
- La motion D (Aubry) évoque plus vaguement encore « des moyens dignes de ce nom réaffectés à l’audiovisuel public » (p. 107).
Seules deux motions s’engagent sur le terrain des propositions.
- La motion C (Hamon) analyse : « La suppression de la publicité pour les chaînes publiques, décidée brutalement et sans contrepartie satisfaisante, est principalement motivée par le souci d’aider financièrement les chaînes privées dirigées par des proches du Président. À terme, cette réforme va menacer l’existence même du service public de l’audiovisuel et aggraver son assujettissement au pouvoir exécutif. » Est ensuite avancée une piste pour compenser le manque à gagner : « Nous proposons donc de compenser la perte des recettes publicitaires des chaînes publiques par une taxe sur les revenus de la publicité des chaînes privées et par une augmentation de la redevance dont les ménages modestes doivent rester exonérés. » (p. 81)
- La motion F (Utopia) propose une taxe encore plus étendue : « nous préconisons également la taxation de la publicité au niveau de l’achat d’espace. Un taux de 5% représenterait en France environ un milliard d’euros de recette. » (p. 157)
Et le soutien aux médias associatifs ?
Deux motions seulement ont apparemment conscience du fait que, pour garantir le pluralisme, les mesures anti-concentration sont certes nécessaires mais non suffisantes : il faut aussi, entre autres, soutenir le tiers secteur.
- Une seule motion fait vaguement référence à cet objectif : la motion A (Delanoë) en appelle ainsi au « développement des médias associatifs et coopératifs à l’échelon local et régional » (p. 21) ...mais sans dire comment, concrètement, ce développement pourrait être réalisé.
- La motion D (Aubry) évoque uniquement le soutien aux télévisions locales, sans préciser s’il s’agit de télévisions associatives ou non : elle propose en effet d’« aider au développement et à la diversité des télévisions locales » (p. 106).
Et la réforme du CSA ?
À l’heure actuelle, les neuf membres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel sont nommés par les pouvoirs exécutif et législatif (trois par le président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l’Assemblée nationale). Conséquence : depuis janvier 2007, les neuf membres ont été nommés par la droite
La motion D (Aubry) est la seule à s’en inquiéter : « nous devrons réformer le mode de nomination des membres du CSA afin d’empêcher que 100 % des personnalités chargées de veiller au pluralisme soient désignées, comme aujourd’hui avec l’UMP, par le parti majoritaire. » (p. 107). Quant à la motion A (Delanoë), elle évoque « la réforme du CSA » sans précision aucune (p. 21).
Et caetera
Au fil des textes, on peut lire d’autres déclarations et propositions : sur la diversité culturelle dans les motions E (Royal) et F (Utopia), sur l’éducation aux médias dans la motion F, sur les moyens de communications du PS et même l’éventualité d’une chaîne de télévision du PS [11].
On peut lire aussi des critiques du rôle des médias, des sondages et de la personnalisation. Ainsi, pour la motion D (Aubry), il est nécessaire de considérer les sondages avec méfiance : « Penser par nous-mêmes plutôt que par les sondages. Les sondages nous ont souvent donné des indications que nos concitoyens ont infirmées dans les urnes. Tirons-en des leçons ! Ce ne sont pas les instituts de sondage qui doivent fixer le cap du Parti socialiste, surtout quand, à l’instar de l’IFOP, ils sont présidés par la numéro un du MEDEF... » (p. 111) Dans le même ordre d’idées, la motion C (Hamon) dit ne plus vouloir « subir l’air du temps, la dictature de l’opinion et des médias » (p. 63).
Mais encore ?
Des constats parfois pertinents. Mais aucune motion prise séparément ni leur ensemble n’apportent (si l’on excepte quelques propositions partielles et éparses) de réponses à la hauteur des enjeux.