Le bilan de cette campagne est d’une consternante diversité.
Un « livre passionnant » selon Libération qui consacre quatre pages à « l’événement » éditorial de la rentrée (1/10/2008), « une conversation ardente entre deux incontestables amis des livres » pour Le Nouvel Observateur qui en publie les bonnes feuilles (2/10), « cette rencontre se situe au sommet, l’air y est plus rare mais aussi, on le sait, plus pur » lâche Joseph Macé-Scaron, flagorneur professionnel, dans Marianne (4/10), « une bonne surprise » selon Le Parisien-Aujourd’hui en France (6/10), « une écriture de courant électrique avec ampoules à cent mille volts. Un esprit au laser, libre comme l’air, aimant jouer avec le feu » s’excite Le Journal du Dimanche (6/10), « des lettres en or » titre Ouest France (8/10), « l’échange vaut le détour » incite Le Progrès (8/10), « un ouvrage de haute portée philosophique, un de ces livres à la fois nécessaires et évidents qui occupent les meilleures places dans les bibliothèques » pour Paris Match, qui consacre un entretien fleuve avec les deux auteurs (9/10), « captivant » pour Christophe Barbier dans L’Express (9/10), « un vrai et franc exercice intellectuel » pour Télérama (11/10). Et cetera. Et cetera. Et cetera.
La palme revient au Monde et à Jean Birnbaum. Le 17 octobre, il signe un texte, dans Le Monde des Livres, qui débute par une critique du « battage médiatique » et du « marketing » accompagnant la sortie du livre. Il met en garde contre le « "ardissonisme" rampant (…) qui autorise chaque célébrité à envahir les plateaux pour prendre la pose du grand persécuté. » Et, pirouette cacahouète, contribuant à son tour au « battage médiatique », il change de trajectoire : « Mieux vaut esquiver. Se boucher les oreilles, ouvrir le volume, lire. » Et Birnbaum a lu pour nous : « Un texte d’écrivains », précise-t-il d’emblée. Soit. Mais encore ? BHL ? Un « intellectuel engagé, ami du genre humain et militant des causes perdues. » Est-ce tout ? « Ici, l’écriture est mystification. Elle ne vise pas à fonder une identité, mais à la disséminer, à la démultiplier dans un camouflage de soi qui vaut conquête du monde. » Un « camouflage de soi » ? Pas dans les médias, en tous cas ! [2]
Les auteurs sont partout. Invités au « 20 heures » de France 2 le 5 octobre, on les retrouve le lendemain dans Le « Grand Journal » sur Canal+, le 8 octobre dans « Soir 3 » sur France 3, le 10 octobre dans la matinale de France Inter, le soir même dans « Café Littéraire » sur France 2, le 31 octobre en direct sur France Culture dans « Le rendez-vous ». Et cetera. Et cetera. Et cetera.
Des interviews. Des bons mots. Des sourires…
Et comme deux émissions sur France 2 ne suffisaient pas (Le JT et « Café littéraire »), il en fallut une troisième : « On n’est pas couché » le 1er novembre, sans Houellebecq. Laurent Ruquier, non content de laisser Lévy ne répondre à aucune question, n’eut de cesse d’interrompre Eric Naulleau dès que ce dernier osa répliquer au philosophe de télévision qu’attribuer toute critique à l’antisémitisme commençait à bien faire !
C’est l’inondation, c’est l’overdose. Et pourtant, début novembre, la sulfureuse correspondance n’avait trouvé que 20 000 acheteurs.
Peut-on envisager, espérer (?), qu’un jour, une fois dans l’histoire de l’Humanité, un livre écrit (ou coécrit) par BHL ne soit pas encensé, sans le moindre recul, par les médias ? Peut-on s’attendre, à ce qu’une fois, une seule, les journalistes cire-pompes, les éditorialistes frotte-manches, les chroniqueurs lèche-bottes, ne repassent pas la chemise blanche du philosophe dans leurs émissions, sur leurs plateaux, dans leurs colonnes ? Une fois. Un coup. Un livre qu’ils liraient pour lui-même sans écouter les trompettes de la renommée de leur(s) auteur(s). C’est possible, non ? Même les brosses à reluire méritent le repos.
Barbier, Demorand, Delahousse, Picouly, Joffrin, Macé-Scaron, Val et les téléramistes : tous sont au service (de presse) de Bernard-Henri Lévy et (cette fois) de Michel Houellebecq. L’œuvre littéraire, cinématographique, journalistique et philosophique du premier est contestée ? Qu’importe. Les critiques sont presque inaudibles dans l’espace médiatique ? C’est déjà trop. Quatre critiques sont mentionnés dans le chef d’œuvre ? Selon ses auteurs, ils forment une « meute ». Et la meute (pas le complot, juste la meute…) des complaisants prend la défense de nos persécutés. Même les meilleurs ouvrages ne résisteraient pas à un tel traitement.
Mathias Reymond
Nota bene : Outre les articles que notre site a consacrés à Bernard-Henri Lévy, voici trois textes qui, parus dans des médias différents, à des époques différentes, rappellent, qu’à chaque opus du mari d’Arielle Dombasle, les médias, en chœur, crient « rebelote ! ».
- « Narcisse au bûcher », Pierre Rimbert, La vache folle, avril-mai 2000. A propos de la sortie du livre : Le Siècle de Sartre.
- « Cela dure depuis vingt ans », Serge Halimi, le Monde Diplomatique, décembre 2003. A propos de la sortie du livre : Qui a tué Daniel Pearl ?
- « BHL, évidemment », Mathias Reymond, Acrimed, 2 novembre 2007. A propos de la sortie du livre : Ce grand cadavre à la renverse.
Voir aussi le dossier du Monde Diplomatique consacré à Bernard-Henri Lévy : L’imposture Bernard-Henri Lévy.