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Les intervieweurs et le PS : Des débats d’orientation ? Circulez ! Y a rien à voir

par Denis Perais,

Au moment où nous publions cet article le résultat des votes des adhérents du Parti socialiste pour élire leur première secrétaire est l’enjeu d’un conflit majeur qui risque de faire oublier ce que fut la « couverture médiatique » de la préparation et du déroulement du congrès dudit parti. Mais il n’est jamais trop tard pour lutter contre l’amnésie…

Deux semaines avant ce congrès, le 5 novembre 2008, Michel Lépinay expliquait dans Paris Normandie qu’il fallait « que s’arrêtent les querelles de personnes pour que revienne le temps des idées. » Mais cet appel, manifestement, ne s’adressait pas aux préposés aux petits et aux grands entretiens. Des entretiens dont on aurait pu croire qu’ils étaient destinés à éclairer les lecteurs-auditeurs-téléspectateurs sur le contenu des débats. Mais nos questionneurs ayant décrété que ce contenu n’existait pas et que les débats portaient exclusivement sur les candidats, ils purent, tout à leur aise, laisser croire que les « querelles de personnes » n’entretenaient AUCUN rapport avec les problèmes d’orientation comme le montre la personnification outrancière de la plupart des questions posées lors d’interviews réalisés notamment sur France 2, France 5, RTL et dans Libération.

Confondant ce qui les intéresse avec ce qui importe au débat démocratique, les animateurs se passionnent au moment de la campagne pour la désignation du premier secrétaire du Parti socialiste pour ce qui les a passionné lors de la préparation du congrès : « la suite du feuilleton » (la formule est de Marc-Olivier Fogiel [1]). Feuilleton qui doit nous tenir en « haleine » jusqu’à l’échéance de la prochaine présidentielle et la désignation du candidat socialiste. A leurs yeux, les motions en présence font office de décor et le congrès n’est qu’un épisode parmi les nombreux rebondissements qui nous attendent.

 Quand Jean-Michel Aphatie reçoit François Hollande, le 7 novembre 2008 sur RTL, ce n’est pas pour parler des orientations en présence (sur vingt et une questions, aucune ne concerne le fond), ce n’est pas pour parler des programmes, mais pour ne s’intéresser qu’aux conflits entre les personnes qui les portent. Echantillon représentatif :

« La motion défendue par Ségolène Royal est arrivée en tête du vote des militants socialistes, hier soir : 29% des suffrages. S’agit-il d’une victoire pour Ségolène Royal, François Hollande  ? » (Une victoire de Royal ou de son programme ?) « Ségolène Royal n’est pas là votre successeur naturel avec ce résultat, François Hollande ? »  ; « Ce n’est pas Ségolène Royal ? Ce n’est pas elle qui est en train de gagner ce congrès ? » ; « Bertrand Delanoë était le grand favori de ce scrutin (sic). Il arrive en deuxième ou troisième position. (…) C’est un échec pour lui, et pour vous donc qui le souteniez ? » Etc.

A mi-parcours de l’interview, Jean-Michel Aphatie précise : « Mais vous nous avez tout le temps dit que ce qui était important, c’était les idées . » Les idées ? Pourtant ce n’est pas avec Jean-Michel Aphatie que les auditeurs pourront les découvrir…

 Quand François Vignal interroge Jean-Louis Bianco, soutien de Ségolène Royal, dans Libération, le 7 novembre, ce n’est surtout pas pour aborder le fond (zéro question sur neuf). Echantillon :

« Craignez-vous un TSR, c’est-à-dire le Tout sauf Royal, de la part des autres motions ? » En substance, il n’y a pas de programme, mais seulement des individus. «  Comment interprétez-vous les propos de François Hollande [2] sur le vote pour Royal (…) ? » ; « Pour le poste de premier secrétaire du PS, les hypothèses Peillon et Dray sont-elles toujours valables ou Royal doit-elle maintenant sortir du frigidaire sa candidature pour le poste ? »

 Quand Laurent Delahousse reçoit Ségolène Royal au journal de 20 heures le 7 novembre, ce n’est évidemment pas pour parler de son programme (sur onze questions, aucune ne porte sur le fond des propositions). Echantillon :

« Vous ne croyez pas au Tout sauf Ségolène Royal, parce qu’on l’a connu un petit peu pendant la campagne, c’est une nouvelle campagne ? » ; « Et vous êtes candidate au poste de premier secrétaire, j’ai bien compris ou pas ? Ça pourrait être vous ou pas vous ? »  ; « Ça approche, vous nous le dites quand ? »

 Quand Alba Ventura (le remplaçant de Jean-Michel Aphatie) reçoit Vincent Peillon le 10 novembre sur RTL, c’est naturellement pour parler cuisine (sur quinze questions, aucune ne porte sur les propositions). Echantillon cocasse :

« Est-ce que nous accueillons ici celui qui veut succéder à François Hollande ? »  ; « Enfin, vous avez quand même une petite idée, là. Dans dix jours, le PS aura à se prononcer sur son futur leader. Vous avez quand même une petite idée. Vous avez eu Ségolène Royal au téléphone, hier soir ? » (bis)  ; «  Vous n’arrivez pas à répondre à ma question... Hier, Julien Dray a dit : ça pourrait être moi ! Alors, est-ce que ça pourrait être vous ? » (ter) ; « Dites-moi au moins, j’insiste [mais non !], pardon ! Est-ce que ça vous plairait ou est-ce que vous n’êtes pas intéressé du tout par cette perspective ? Est-ce que ça vous plairait ? » (quater) ; « On a bien entendu que vous étiez intéressé. »  ; « Est-ce que ça veut dire que Ségolène Royal n’a pas renoncé, elle, à être leader du PS ? » ; « Vincent Peillon, est-ce que vous redoutez un front anti-Ségolène Royal ? » Etc.

 Quand Jean-Michel Aphatie, revenu en pleine forme, reçoit Benoît Hamon le 13 novembre matin sur RTL, c’est forcément pour ne pas parler du fond (sur seize questions, aucune sur le fond).

« Vous dites que vous êtes proche d’un accord politique avec Martine Aubry. Si vous parveniez à un accord politique, qui d’elle ou de vous serait candidat au poste de premier secrétaire ? »  ; « C’est-à-dire que dans un accord avec Martine Aubry, c’est vous qui représenteriez cet accord politique ? » ; « Ma question est claire : s’il y a un accord avec Martine Aubry, c’est vous ?... » ; « C’est-à-dire que dans cet accord, ce serait vous qui représenteriez... » ; « Vous avez très envie d’être premier secrétaire, Benoît Hamon, du Parti socialiste ? » Etc.

Pour résumer l’attitude quasi générale des organisateurs du « débat », prenons deux exemples qui éclairent en quelques mots leurs pratiques.

Sur le plateau de « Ripostes » sur France 5, le 9 novembre 2008, Vincent Peillon explique à Serge Moati : « Vous observerez qu’on ne parle jamais du reste [...]. Les questions de personnes ne sont pas à ce stade , l’essentiel. » Manière de dire que les idées sont prépondérantes. Mais le théâtral animateur de l’émission n’en a cure et fixe sa priorité à l’élu : le choix des « personnes [...] c’est déterminant. » [3]

Même tableau, le 13 novembre 2008, dans le magazine « A vous de juger » sur France 2 consacré à la crise financière. Arlette Chabot annonce, en préambule, à propos du Parti socialiste : «  On n’en parle pas ce soir.  » Mais ? Mais, informer pour Arlette Chabot est un sacerdoce. Et celui-ci lui enjoignant de chercher le scoop, elle ne peut s’empêcher de demander, en fin d’émission, à la maire de Lille : « Martine Aubry, je ne ferais pas mon métier de journaliste et on me reprocherait de ne pas vous avoir posé la question. Merci d’être venue parler de la crise, néanmoins , vous rêvez d’être première secrétaire ou pas ? » Malgré son insistance, la directrice de... l’information de la chaîne doit s’incliner et n’obtient pas le scoop tant espéré. Présent lui aussi sur le plateau, Olivier Besancenot sera de la même manière « sommé » de donner son avis sur ses préférences entre Benoît Hamon, Martine Aubry et Ségolène Royal.

Ces interviews le montrent : les journalistes dominants méprisent les débats dont ils prétendent rendre compte. Ils accréditent l’idée selon laquelle ces débats n’existent pas du tout au sein des formations politiques, et sont réservés aux éditorialistes qui les conseillent, les jugent et les grondent. Plutôt que d’informer – ce qui devrait être leur fonction – sur les orientations en présence, les examinateurs privilégient les jeux de pouvoir et les affrontements de personnes (dont nul ne songe à nier l’existence) au détriment de la confrontation des idées entre militants. Ils manquent une nouvelle fois l’occasion d’être des médiateurs du débat démocratique dont ils prétendent pourtant être des piliers.

Denis Perais

 Sur ce journalisme, voir ici même : « Les grands entretiens de Jean-Michel Aphatie » (pendant la compagne présidentielle de 2007) et « Divertissements de fin de semaine, par la rédaction de France 2 », 13 octobre 2008

 
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Notes

[1Sur Europe 1, le 12 novembre 2008.

[2Chez Jean-Michel Aphatie sur RTL le matin même.

[3Sur son blog, Jean Michel Aphatie sera lui encore plus brutal le 6 novembre sur RTL : « Chacun des leaders de cette famille de pensée a pensé mieux préserver ses chances de grande réussite politique en laissant constamment ouverte la question du leadership. D’où l’organisation abracadabrantesque d’un débat ainsi formulée : les idées d’abord, le chef ensuite. Posture artificielle et fausse, contre productive, et pour tout dire stupide ». Thèse qu’il contredit pourtant le 12 novembre au même endroit : « On s’en fout un peu des alliances ou des mésalliances avec X, Y, Z, extrême gauche ou ultra centre. Ce qui compte, ce sont les réponses aux formidables problèmes contemporains que posent l’économie, la finance, le fondamentalisme religieux, la prolifération nucléaire, le réchauffement climatique, pour n’évoquer que l’essentiel ».

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