Au moment où nous publions cet article, les médias et, particulièrement la presse écrite s’interrogent sur les « risques » (et beaucoup plus rarement sur les chances) d’une « contagion » (c’est comme ça qu’ils disent…) de la révolte.
On peut même lire désormais des tentatives d’explication. Des tentatives bien tardives, si l’on en juge par la « couverture » de la crise sociale et politique, marquée par plusieurs grèves générales, que traverse la Grèce depuis de longs mois sans que cela émeuve beaucoup des responsables de rédaction [1] dont l’eurolâtrie s’étend fort peu aux peuples d’Europe en lutte.
On se doute dès lors que lorsque la révolte a explosé, les télévisions, fascinées par les images de la violence des affrontements, les ont complaisamment diffusées, sans considérer outre mesure que les causes les plus profondes de cette révolte étaient, elles aussi, des faits.
I. TF1 face à une « quasi-révolte »
Le dimanche 7 décembre au JT de 13 heures, Claire Chazal ouvre « son » journal sur l’élection (que TF1 a retransmise en direct la veille …) de la nouvelle Miss France. Trois reportages plus tard, 55 secondes d’images d’affrontements nocturnes, accompagnées d’un commentaire prononcé sur un ton lugubre, informent sur la situation et sur sa cause immédiate : la mort d’un adolescent tué par un policier. Le ton est donné. Du dimanche 7 au mercredi 10 décembre, les JT de 20h de TF1 n’auront vu, pour l’essentiel, qu’affrontements et pillages.
– Dimanche 7 décembre, JT de 20 heures, présenté par Claire Chazal. « Emeutes en Grèce ». Cette incrustation lors de la présentation des titres du journal est soutenue par une présentation en forme d’aveu sur le traitement de l’information en version TF1 : « des images impressionnantes que nous commenterons ». Mais il faudra attendre, pour reprendre les titres publiés sur le site de TF1 [2], que soient abordés, dans cet ordre, les « sujets » suivants : « Avalanches : l’alternative au hors piste - Des randonneurs percutés par une voiture - Le témoignage bouleversant d’un marin miraculé - Les maternités pratiqueraient trop de césariennes ». Les « images impressionnantes » ne sont donc traitées qu’en 6ème position par Claire Chazal qui a découvert « une situation quasi insurrectionnelle ». Un reportage commenté par Gwenaël Bellec, exclusivement consacré aux affrontements, complaisamment mis en images, nous apprend que « dans tout le pays des rassemblements dégénèrent ». En 1 minute et 15 secondes, TF1 a fait le tour d’une « situation quasi insurrectionnelle », sans autre cause que la mort d’un adolescent !
– Lundi 8 décembre. JT de 20 heures, présenté par Laurence Ferrari qui annonce (elle le répètera le moment venu) « une situation de quasi révolte » [sic]. Elle n’est donc plus « quasi insurrectionnelle »… C’est à cette situation que seront consacrées, en ouverture du journal, les 3 minutes 40 d’une séquence exceptionnellement longue. Du reportage presque intégralement consacré aux affrontements, on retiendra qu’il parle indifféremment de « manifestants » et de « casseurs » (selon un terme passe-partout…), mais sans omettre ni les violences policières d’une part ni le témoignage de sympathie pour les manifestants d’une habitante d’Athènes, valant pour de nombreux autres. Puis, en direct, Nahida Nakad indique que les forces de l’ordre sont particulièrement « agressives », avant de souligner que les jeunes sont aussi « agressifs » (bis) face à la police et… « aussi avec nous les journalistes ». On se demande bien pourquoi…
– Mardi 9 décembre, JT de 20 heures, présenté par Laurence Ferrari. Annonce des titres. À l’écran : « Tensions en Grèce ». Laurence Ferrari : « Le centre d’Athènes dévasté après une nouvelle nuit de pillages . Des scènes d’émeutes se sont déroulées en fin de journée après l’enterrement de l’adolescent tué samedi par un policier, la Grèce est en plein chaos ». Puis vient le moment de « détailler ». Sur le site de TF1, le titre annoncé vaut un éditorial : « Grèce : nouveaux affrontements malgré les obsèques d’Alexis ». Laurence Ferrari « lance » le reportage avec un à propos sans le moindre parti pris : « Et puis en Grèce la flambée de violence des jeunes plonge toute la société dans l’effroi et l’inquiétude ; de nouvelles émeutes se déroulent en ce moment à Athènes et dans les principales villes du pays qui sont livrées au vandalisme et au pillage [et à la douceur des forces de police ?]. Les obsèques de l’adolescent tué samedi par un policier n’ont pas ramené le calme. » Le reportage qui suit montre pourtant des manifestants déterminés devant le Parlement d’où ils sont chassés par les forces de police, des obsèques pacifiques… avant de se poursuivre sur des images d’affrontements entre « des groupes de jeunes anarchistes » (???) et les « forces de l’ordre ». (Durée de l’ensemble : 1’40)
– Mercredi 10 décembre, JT de 20 heures, présenté par Laurence Ferrari. « Grèce : la colère des jeunes ne retombe pas », annonce le site de TF1. Évidemment, l’information est à nouveau centrée sur les scènes de violence, sur fond d’une grève générale qui est à peine mentionnée et dont on ne connaîtra donc pas les motifs. L’ordre dans lequel Laurence Ferrari présente les événements est très suggestif : « En Grèce de nouveaux affrontements ont eu lieu aujourd’hui à Athènes entre policiers et jeunes manifestants, le pays était complètement paralysé par une grève générale et après 5 jours d’émeute, la pression s’accroît sur le gouvernement grec incapable de sortir de la crise » .
Le reportage est presque exclusivement consacré à des images et à des récits d’affrontements. C’est à peine si l’on entend, entre deux tirs de grenades lacrymogènes, cette information et ce propos d’un manifestant :
- Voix off : - « Une grande majorité de Grecs soutient le mouvement des étudiants. Dans la manifestation appelée par les syndicats, ouvriers, fonctionnaires et instituteurs comprennent que des casseurs s’en prennent aux banques. »
- Un manifestant : - « […] Je crois que même le petit bourgeois était d’accord. Pourquoi ? Parce que toute la société grecque est endettée. »
Et quelque temps plus tard, ce constat : « Les forces de l’ordre bombardent tous les manifestants de gaz lacrymogènes, ils poursuivent des lycéens jusque dans les ruelles, il est clair que plus la contestation dure, plus les policiers font usage d’une force disproportionnée. » Il arrive que l’on entende de drôles de choses sur TF1…
Or si dans l’ensemble TF1 a préféré les images spectaculaires au point d’exclure toute explication des racines de la révolte, Jean-Pierre Pernaut, dont le journal est comme un État dans l’État, n’a consacré, en trois JT, que 2 minutes 45 aux manifestations en Grèce. Un record…
Intermède : Et pendant ce temps-là, Jean-Pierre Pernaut…
… Qui mérite un traitement à part : sur une même chaîne, c’est presque une autre chaîne, ou sa caricature.
– Lundi 8 décembre, JT de 13 heures. Jean-Pierre Pernaut commence « son » journal par les prévisions météo, flanquées d’un reportage sur les Auvergnats victimes du froid et s’achève sur « Les nostalgiques des jouets Dejou ». 9 minutes après le début du journal, Jean-Pierre Pernaut, après un bref sujet sur le pèlerinage de La Mecque, ménage cette heureuse transition : « Enfin, encore un mot [sic] sur l’actualité internationale… » Un mot ? En effet : 25 secondes (entre 9’15 et 9’40) d’informations en plateau (illustrées par quelques images des affrontements et des dégâts) suffiront pour faire le point sur « les violences ». Et hop !, on enchaîne sur un « sujet » consacré à l’AGV, le successeur du TGV…
– Mardi 9 décembre. JT de 13 heures, Jean-Pierre Pernaut hiérarchise l’information. Les prévisions météo sont suivies d’un reportage sur « quelque chose qui va bouleverser notre vie quotidienne », selon JPP : « Place aux ampoules nouvelles générations ». Reportage suivant ? « Inquiétude autour des ampoules basses consommations ». Après ces 4’30 environ consacrées à l’éclairage, nouveau motif d’inquiétude : la progression rapide de l’épidémie de gastroentérite. Ce « sujet » est suivi d’un reportage très convenable (mais si !) : « Les infirmières des urgences rejoignent les grévistes » à l’Hôpital Edouard Herriot de Lyon. Et, après une brève information sur une « autre grogne » (selon le terme animalier que JPP adore), c’est-à-dire sur les mobilisations lycéennes, une séquence sur la Grèce (1’50) qui, presque entièrement dédiée aux dégâts et aux affrontements, évoque indistinctement « étudiants » et « casseurs », mais relève en une phrase que rares sont les Grecs qui désavouent ces derniers.
– Mercredi 10 décembre, JT de 13 heures. Après une longue séquence consacrée à la météo, au verglas et à la neige (6’40), suivie d’une information sur le bébé enlevé puis retrouvé, Jean-Pierre Pernaut aborde les questions scolaires : les occupations d’écoles primaires, et « la grogne aussi dans les lycées » , comme dit JPP, qui relève finement que ce « comportement » est « inhabituel » à la veille de Noël. 3’15 sont consacrées aux sujets précédents. Transition toute trouvée d’une « agitation » à l’autre : « Une agitation en France qui nous amène directement aux affrontements et aux manifestations d’hier en Grèce ». Et Jean-Pierre Pernaut de constater (amèrement ?) que la grève générale du jour, prévue depuis longtemps, « n’a pas été annulée en dépit des graves incidents qui ont suivi la mort d’un étudiant tué par un policier ». Durée totale de l’information en version JPP : 30 secondes.
II. France 2 et les motifs d’une colère
Et les télévisions publiques ? Sur France 3 (voir le complément en fin d’article), règne une relative sobriété. Mais sur France 2, l’information est également focalisée sur les affrontements. Pourtant il est arrivé que, sur cette chaîne du secteur public, quelques fragments d’information sur les causes de la révolte échappent aux nuages des gaz lacrymogènes et des incendies. Et cela dès le premier jour.
– Dimanche 7 décembre, JT de 20 heures, présenté par Laurent Delahousse. 17’45 secondes après le début du journal, des images presque exclusivement consacrée aux affrontements illustrent des informations sur la situation (1’45). Puis, interrogée par Delahousse, Alexia Kefalas, journaliste grecque, correspondante de France 24, confirme que des scènes d’émeutes « se poursuivent notamment dans la capitale à Athènes, mais aussi à Thessalonique, à Patras et dans d’autres villes du pays. Des scènes de véritable western , dit-elle en cédant à la dramatisation. Les rues sont bloquées, des immeubles entiers sont calcinés ainsi que des commerces qui avaient fait leur décoration de Noël. C’est vraiment des images que la Grèce n’a pas connues depuis, n’a jamais connues tout simplement et la situation est de pire en pire ce soir. » (30 secondes)
Vient pourtant le moment d’esquisser une explication :
- Laurent Delahousse : - « La France a connu, vous le savez ce type de situation, d’émeutes en 2005. En Grèce, il s’agit de quoi, de l’expression d’une colère d’une partie de la jeunesse vis-à-vis du pouvoir en place ? »
- Alexia Kefalas : - « Par rapport à la France, c’est une autre forme de ghetto, les ghettos des jeunes, des étudiants, des étudiants qui sont en mal d’avenir , qui ne voient pas l’avenir évoluer. Le gouvernement qui est un gouvernement conservateur est englué dans les scandales depuis 2007, depuis sa réélection après les incendies ravageurs du pays, et puis il n’arrive pas à faire face, à faire de politique d’éducation, une politique pour créer un avenir à ces jeunes, des jeunes qui sont notamment, qui ont un taux de chômage le plus élevé d’Europe , qui sont surdiplômés et qui ne voient pas du tout le bout du tunnel. »
40 secondes d’explications allusives, c’est toujours ça de pris. De l’intérêt de disposer d’une correspondante permanente.
– Lundi 8 décembre. JT de 20 heures, présenté par David Pujadas. Trois minutes après le début du journal, récit en images des événements (2’10). Puis, en direct d’Athènes, évocation de la gravité de la situation avec Alexia Kefalas (40 secondes), jusqu’au moment où David Pujadas risque, en des termes choisis, une question audacieuse :
- David Pujadas : - « Alexia, est-ce que c’est une flambée de colère liée à la bavure [Comme on dit…] ou est-ce que ces malaises révèlent un malaise plus profond ? »
- Alexia Kefalas : - « La bavure a été le véritable détonateur d’une société qui va mal, d’une jeunesse qui se porte plutôt mal, qui n’a plus de repères à l’heure actuelle en Grèce. Cette jeunesse qu’on appelle jeunesse à 600 euros, qui est le salaire minimum parce qu’il y a le plus fort taux de chômage des jeunes en Grèce et elle n’a plus de repère. Il n’y a plus d’État protecteur depuis les incendies ravageurs de 2007. Il n’y a plus de mécanisme étatique et des scandales qui s’accumulent, bien entendu, avec le fonds européen d’une part mais un système social qui ne va plus, les prisons, les immigrés et, bien entendu, la liste est longue. »
La liste est longue en effet. Mais David Pujadas est pressé : « On aura le temps d’en reparler », déclare-t-il (avant d’annoncer un éventuel dernier point en fin de journal « sur ces événements en Grèce qui sont donc en train de dégénérer »). Mais 40 secondes d’explications allusives, c’est toujours ça de pris. De l’intérêt de disposer d’une correspondante permanente. (bis)
– Mardi 9 décembre, JT de 20 heures, présenté par David Pujadas. C’est le premier titre du journal. 4’ 40’’ réparties entre : quelques informations en plateau, un reportage sur l’évolution de la situation, un reportage qui nous promet de connaître « Qui sont les manifestants », et un direct d’analyse.
- David Pujadas : - « La Grèce a donc connu encore des scènes d’émeutes et d’affrontements. Les obsèques de l’adolescent de 15 ans tué par un policier ont rassemblé plusieurs milliers de personnes. Mais le recueillement, vous allez le voir, n’a pas duré longtemps ». Une phrase qui résonne comme un désaveu, voire une condamnation…
Un premier reportage est donc consacré aux obsèques et, surtout, à une présentation des affrontements qui fait la part belle au point de vue des policiers. Passons… Un second reportage est présenté ainsi :
- David Pujadas : -« […] Sur place, nos envoyés spéciaux Claude Sempère et Thierry Breton ont passé la journée aux côtés de ces manifestants. Tous ne sont pas des casseurs [Mais la plupart le sont ?]. Qui sont-ils, que veulent-ils ? […] » Le titre, sur le site de France 2 propose une présentation très différente : « Grèce : les raisons du soulèvement ». Or le contenu du reportage (d’une durée rare de 2 minutes) ne porte pas sur « ce que sont les manifestants » et, à une phrase près, encore moins sur « les raisons du soulèvement ». Il mêle récit de quelques événements et témoignages anecdotiques. Extraits :
- Claude Sampère : - « […] Nous sommes ici aux abords du parlement, en plein centre d’Athènes. Les plus grands jettent des pierres, les plus jeunes des oranges amères ramassés sur les arbres un peu partout en ville. Ces jeunes filles ont 16 ans tout juste. Elles sont lycéennes et en quelques mots elles nous expliquent leur ras-le-bol d’une société qui, selon elles, ne leur promet aucun avenir . » Selon elles ? La suite pourtant ne dit rien de leurs explications :
- Claude Sampère : - « Vous n’avez pas peur ? » Puis en voix off : « La réponse est unanime, c’est non. Dans leur sac, pas d’orange, mais une nouvelle arme préparée à la maison tôt ce matin : des œufs pourris. Étrange atmosphère tout au long de la journée dans la capitale grecque. Des rues désertes avec des barrages de police, des magasins et des dizaines de véhicules incendiés. Les raisons de la crise sont complexes : un taux de chômage de 23% chez les jeunes, un gouvernement miné par les scandales de corruption et la crise économique qui fait des ravages. » Ce sera, en 10 secondes, la seule phrase d’explication des raisons de fond de la crise.
Puis, sans transition, le même reportage propose un retour à « ce que sont les manifestants » ou du moins une partie d’entre eux :
- Claude Sampère : - « Parmi les manifestants, on trouve énormément de jeunes. Certains tiennent un discours d’ultra-gauche. » L’étiquette d’ « ultragauche » a donc émigré en Grèce. Si vous voulez savoir ce qu’est ce discours, la suite vous éclairera certinement :
- Un jeune manifestant : - « On ne sera jamais libre. Ils sont tous corrompus. »
- Claude Sampère (en voix off) : « Et sa voisine ajoute : "on n’a pas de gouvernement". »
- Le jeune manifestant : « On n’a pas de gouvernement. C’est la faute au grand capital. On est tous des esclaves des banques. » Une prise de position très ramassée, certes, mais dont on se demande en quoi elle est « ultragauche »…
La fin du reportage annonce la grève générale du lendemain. Place au direct avec Claude Sampère à Athènes qui explique surtout que, « complètement dépassé par la situation » et « miné par d’énormes scandales de corruption depuis des mois et des mois » le gouvernement « s’accroche au pouvoir » sans se laisser effrayer par la grève générale.
La tentative d’expliquer qui sont les manifestants et ce qu’ils veulent a tourné court : quelques secondes noyées dans des anecdotes confuses, sans que l’on sache si ce sont les conditions de réalisation de ce reportage, sa forme ou sa durée qui en sont responsables.
– Mercredi 10 décembre, JT de 20 heures, présenté par David Pujadas. En ce jour de grève générale, 1’15 seront consacrées à la situation en Grèce. La grève générale et ses motifs sont expédiés en une phrase. Les affrontements aussi. Pourquoi ? Parce que France 2 dispose d’un document.
- David Pujadas : - « Direction la Grèce maintenant. Toujours plongée dans la crise. Cette journée a été marquée par une grève convoquée de longue date par les syndicats et qui a paralysé notamment une partie du service public pour dénoncer je cite "la politique d’austérité" et comme chaque jour désormais, vous le voyez, les manifestations ont dégénéré en affrontements avec la police. Ils sont restés toutefois un peu plus limités qu’hier mais la tension est ravivée par un document, un document filmé sur les méthodes utilisées par la police. […] »
- Claude Sempère (en direct d’Athènes, il commente les images dont il parle) : - « Ecoutez, la télévision grecque a diffusé des images stupéfiantes qui provoquent ici un véritable scandale. Sur ces images, on voit clairement des policiers, lors des manifestations de ces derniers jours, avec leur arme de service à la main. Deux documents amateurs. […] Alors, ces images de la télévision grecque, repris ce matin par l’ensemble des journaux grecs, provoquent un énorme débat sur les méthodes utilisées par la police lors des manifestations. Et vous pouvez bien l’imaginer, la diffusion de ces images a provoqué ici de nouveau une très vive tension. »
Soit. Ces faits sont éloquents. Mais leur présentation devait-elle évacuer les motifs de la grève générale et les explications promises, toujours évoquées, jamais développées ?
Les transcriptions peuvent en effet être trompeuses. Lues plus lentement qu’elles ne sont prononcées et présentées en dehors de leur contexte (et des images qui les soutiennent), elles peuvent laisser le sentiment que, somme toute, quelques éléments d’explication ont été effectivement fournis. Mais si l’on excepte quelques généralités mentionnées fugitivement et quelques clichés sur les motifs des manifestants les plus déterminés, qu’aura-t-on appris sur les faits (oui, les faits !) qui motivent la révolte de la jeunesse grecque ? Finalement, pas grand-chose. Mais comme pas grand-chose, c’est mieux que rien, France 2 aura marqué à peu de frais sa différence avec TF1 et suggéré qu’un autre journalisme est possible… que l’on attend toujours.
Henri Maler
- Grâce aux transcriptions de Jamel, Jean-François et Nadine.
Complément : Et pendant ce temps-là sur France 3
A la différence des JT de TF1 et de France 2, le 19/20 de France 3 ne s’est pas focalisé sur les « images impressionnantes » qui ont mobilisé Claire Chazal et les Croisés de la chaîne privée, mais aussi les reportages diffusés sur la première chaîne publique. A deux reprises le JT s’est ouvert sur la situation en Grèce. Et, à quelques exceptions près, le refus de dramatiser l’information a imposé une certaine retenue.
– Lundi 8 décembre. Le 19/20 présenté par Audrey Pulvar s’ouvre sur les « échauffourées opposant une partie de la jeunesse grecque aux forces de l’ordre », selon les termes choisis par la présentatrice qui conclut ainsi son introduction : « […] Des groupes anarchistes très organisés ont propagé le mouvement d’Athènes vers les principales villes du pays et ses îles. » Affirmations pour le moins téméraires que rien ne permet d’accréditer. Suit alors un reportage sur les affrontements qui s’achève sur le rôle de cette « mouvance anarchiste, bien implantée en Grèce ». Une « mouvance » non identifiée…
Quand vient le moment d’interroger en direct d’Athènes Jean-Yves Serrand [3], celui-ci évoque en quelques mots la « guérilla urbaine » (sic) et propose une ébauche d’explication :
- Jean-Yves Serrand : - « […] Il faut savoir que les Grecs sont vraiment très vigilants quant à la violence de leur police. Il y a eu beaucoup d’affaires, notamment dans les centres de rétention contre les immigrés ces derniers mois. On a même parlé de cas de tortures par des policiers et les Grecs sont très vigilants parce que il faut se souvenir que les Grecs ont connu une dictature il y a à peine 35 ans. Vous vous rappelez des films de Costa Gavras, et ils n’ont pas du tout envie de re-connaître ça, ils veulent une police républicaine. Alors le premier ministre est venu à la télévision aujourd’hui le promettre mais il y a tellement de mécontentement social dans le pays que je crains qu’il n’ait pas été très écouté et mercredi, après-demain donc, il y a une grève générale […] »
– Mardi 9 décembre, le 19/20, présenté par Audrey Pulvar. A nouveau, en ce jour d’obsèques du manifestant assassiné, le journal s’ouvre sur la situation en Grèce. Le reportage consacré à ces obsèques, à la différence de ceux de TF1 et de France 2, ne s’attarde pas sur les affrontements. En revanche, il souligne que les médias ne sont guère les bienvenus.
- Le journaliste de France 3 : - « Ils viennent [aux obsèques] à pied un par un, une rose à la main et ne veulent plus voir les médias . […] Deux grandes marches ont lieu à Athènes mais des dizaines de lycéens ont préféré venir à l’enterrement… une cérémonie interdite aux télévisions. Le mouvement des jeunes contre la violence policière se radicalise aujourd’hui contre les médias grecs accusés de montrer d’abord les dégâts des casseurs ».
- Un étudiant : - « En diffusant en boucle tous les dégâts matériels, la télévision veut cacher tout le reste, on n’entend plus parler du point de départ, la mort d’Alexis et de tous les autres scandales du gouvernement ».
- Le journaliste de France 3 : - « Alexis est mort dans le quartier d’Exarchia, le quartier latin d’Athènes, un fief de l’extrême-gauche, des anarchistes, la police n’accepte pas d’y être interdite de séjour d’où des affrontements fréquents. Mais les médias non plus ne sont pas bienvenus, aucun jeune ne veut nous parler à visage découvert . »
- Un étudiant (dont on ne voit que les pieds) : - « Les médias, c’est le quatrième pouvoir de l’état, c’est comme si je parlais à un policier, un militaire ou un politicien, parce que vous déformez les faits ».
Le reportage ne tire ouvertement aucune conclusion hostile de ce qu’il rapporte…. Et qui sera complété en direct, quelque temps plus tard, en évoquant le cas du cameraman de France 3 qui « a été bien bousculé par des jeunes ».
Au passage on apprendra très, très vaguement qui sont ceux que les médias désignent comme des « anarchistes » : « Oui notre caméraman a été bien bousculé par des jeunes, des jeunes qu’on appelle anarchistes ici en Grèce et qui recrutent de plus en plus ; c’est pas tout à fait le même sens anarchiste qu’en Français, disons que ce sont des jeunes qui refusent la société de consommation. » Et de tenter de donner un exemple concret en évoquant le fait qu’ils préfèrent, dans une ruelle où ils sont nombreux, rester dehors sur des bancs plutôt que d’entrer dans les bars. Il est permis de sourire de cet exemple qui témoigne au moins du souci de ne pas tout mélanger : « anarchistes », « ultragauches », « terroristes » et jeunesse contestataire. Il reste que ce jour-là, sur France 3, on n’apprend toujours pas quels sont les ressorts profonds de la révolte…
– Mercredi 10 décembre, le 19/20 présenté par Audrey Pulvar. En ce jour de grève générale en Grèce, la situation dans ce pays n’ouvre plus le journal. Il faut attendre le 8ème reportage annoncé sur le site de France 3, pour que l’on entende ceci. En titre : « En Grèce l’appel à la grève générale lancée par tous les syndicats du pays a été massivement suivie. Une mobilisation renforcée par les événements de ces derniers jours. Athènes vit ce soir une cinquième nuit de violences. » Et quand vient le moment de « faire le point » :
- Audrey Pulvar : - « La Grèce a connu une nouvelle journée de tensions . Une grève générale prévue il y a longtemps [mais dont les motifs ne sont pas indiqués] a paralysé l’ensemble du pays aujourd’hui alors que depuis 4 jours à Athènes et les principales villes du pays sont le théâtre d’affrontements violents entre jeunes et forces de l’ordre. Le gouvernement reste pour le moment sourd aux appels à la démission. »
Et c’est à peu près tout…