Venant d’une rédaction – celle de Mediapart - qui comprend quelques transfuges du Monde (à commencer par son directeur, Edwy Plenel), cette initiative doit-elle être saluée comme un « rectificatif » apporté à des années de soutien à une fuite en avant qui a précipité une crise dont Le Monde n’est pas sorti ? Venant de Reporters sans frontières, cette incursion soudaine doit-elle être comprise comme un « correctif » apporté à des années de silence sur l’état des médias dans notre pays ? Faut-il voir dans l’appel « Presse libre ! » le signe d’une convergence (tardive) des résistances ou une manifestation (insistante) de la politique du flou ? L’avenir ne tardera pas à répondre à ces questions. Mais une partie de la réponse est déjà comprise dans « L’appel de la Colline » (reproduit à la fin de cet article).
« Toute voie qui s’éloignerait de ces principes serait une régression. ». Cette conclusion de l’Appel en résume le sens : c’est une déclaration de principes ou un minimum démocratique qui tient lieu de plate-forme d’opposition aux prétendues réformes imposées par le Président de la République et sa majorité : une plate-forme qui, quand elle ne reprend pas – sans les mentionner – les chartes de déontologie et des revendications syndicales formulées de longue date, noient les propositions concrètes et alternatives dans un épais brouillard.
I. Au nom des grands principes…
« La liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens », proclame la première phrase. Mais de quelle liberté de la presse nous parle-t-on ? De la liberté des entreprises de presse et de leurs actionnaires ? Ou de liberté et de l’indépendance des journalistes ? Et à l’égard de qui ou de quoi ? S’agit-il d’une liberté mise à la disposition de tous les citoyens par les seuls journalistes ? Ou d’une liberté dont devraient disposer tous les citoyens de produire et de diffuser des informations et des opinions ? Comment, sinon ne serait-elle pas un privilège des journalistes (et de leurs employeurs) ?
En tout cas, la liberté de la presse ne saurait être un but en soi, quand elle ne peut être qu’un moyen : la condition indispensable non seulement de la liberté d’opinion (qui pourrait n’être que la liberté d’opiner à titre privé), mais surtout de la liberté d’expression et de critique publiques.
C’est ce qu’énonce la phrase suivante, simple copié/collé du « Préambule » la « Charte de Munich » adoptée en 1971 par des représentants des fédérations de journalistes de la Communauté Européenne, de Suisse et d’Autriche, ainsi que de diverses organisations internationales de journalistes [1] : « Le droit à l’information, à la libre expression et à la libre critique, ainsi qu’à la diversité des opinions est une liberté fondamentale de tout être humain. » Soit. Mais un tel principe, légitime s’agissant d’une « Charte des droits et devoirs des journalistes », ne peut être élevé au rang de principe général.
En effet, le droit à l’information ne concerne pas seulement le droit de disposer d’informations, mais aussi le droit de les produire. Il recouvre donc deux droits : celui d’informer et celui d’être informé. Et ces droits supposent que soient garantis les moyens de les exercer. Autrement dit : le droit d’informer lui-même, comme le droit d’être informé, n’est pas ou ne devrait pas être un privilège (et a fortiori le monopole) des journalistes (et a fortiori des entreprises qui les emploient, surtout quand celles-ci ont pour principal objectif de réaliser des profits), mais un droit des citoyens, qui, quand on se tient à hauteur des grands principes, ne sauraient diviser les bénéficiaires de ce droit entre des « citoyens passifs » à qui l’information est destinée et des « citoyens actifs » qui la produisent. Cela va de soi ? Alors pourquoi ne pas le dire ?
Or la suite ne concerne pourtant que le droit des citoyens d’être informés, explicité en ces termes : « Sans information libre sur la réalité, ambitieuse dans ses moyens et pluraliste dans ses fins, il ne saurait y avoir d’authentique délibération démocratique. » Qui peut rester insensible à une telle proclamation, aussi généreuse que vague ? Vague et … confuse : comment peut-on affirmer que l’information doit être « pluraliste dans ses fins », quand elle doit l’être à tous égards ? Une information libre ne saurait être libre que si elle est elle-même pluraliste, qu’il s’agisse de ses sources, de son contenu ou des moyens « ambitieux » dont doit disposer sa production. Comment, sinon, garantir le pluralisme des opinions dont les journalistes ne sauraient être les seuls détenteurs, quand ils devraient être avant tout les médiateurs ? Cela va de soi ? Alors pourquoi ne pas le dire ?
Suit alors, dans le même registre, une définition de la démocratie conforme aux canons du libéralisme politique et destinée à préciser les enjeux du seul droit d’être informé : « Régime de tous les citoyens, sans privilège de naissance, de diplôme ou de fortune, une véritable démocratie suppose que tous soient pareillement [2] informés pour être libres dans leurs choix et autonomes dans leurs décisions. » Qui oserait contredire une telle proclamation de foi ? Seuls des grincheux se risqueraient à souligner que les citoyens ne peuvent guère être « libres dans leurs choix et autonomes dans leurs décisions » quand la plupart d’entre eux subissent de vertigineuses inégalités sociales et de tenaces rapports de domination. Mais l’idéalisme politique se passe fort bien d’un tel constat...
Et l’Appel enchaîne aussitôt (nouveau copié/collé non sourcé de la « Charte de Munich ») : « De ce droit du public à connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. » L’appel est donc rédigé, à grands renforts de principes consensuels, du strict point de vue des journalistes professionnels dont il rappelle quelques « droits et devoirs », en proposant un mémento déontologique [3] beaucoup moins précis que la « Charte » qu’il recycle et résume ; un mémento qui, sous peine de transformer l’invocation de la déontologie en incantation impuissante et stérile, devrait se traduire par quelques mesures précises.
Or, vues du sommet de la Colline, les conditions de réalisation des grands principes (à commencer par les conditions d’emploi et de travail des journalistes) restent à peu près invisibles. D’autant que la mise en cause du pouvoir politique a pour contrepartie une grande pudeur face au pouvoir économique.
II. … la politique du flou
« Défendre et promouvoir cet idéal – poursuit l’ « Appel » - suppose l’indépendance, la transparence et le pluralisme. » Et de préciser… sans beaucoup préciser…
« L’indépendance, c’est-à-dire »…
Suivent alors trois traductions de cette exigence générale. Et d’abord : « le respect général du droit moral des journalistes sur leur travail, afin de garantir que l’information ne soit pas réduite à une marchandise » Est-ce descendre trop vite du ciel des principes que de traduire ainsi l’exigence du respect [4] du droit moral des journalistes par des revendications précises comme le respect de la clause de cession et de la clause de conscience, respect des droits d’auteurs, respect du droit des pigistes, la résorption de la précarité, etc. ? Serait-ce trop syndical et anti-patronal ?
Deuxième traduction de la proclamation d’indépendance : « le refus impératif du mélange des intérêts industriels et médiatiques, afin de garantir que les opérateurs économiques n’aient pas d’autre objectif que l’information ».
Comment ne pas se laisser séduire par une formulation aux accents si contestataires ? Mais quels sont ces intérêts industriels qui ne doivent pas être mélangés avec les « intérêts » (???) médiatiques ? S’agit-il – et s’agit-il seulement – des intérêts des groupes privés qui tout à la fois possèdent des médias et bénéficient de marchés publics ? Ou l’interdiction du mélange s’étend-elle à tous les groupes médiatiques privés ainsi qu’aux télécommunications ? À défaut d’une réponse claire, la contestation apparemment très audacieuse se noie dans un consensus économiquement très libéral...
... Du moins si l’on ne précise pas quels sont ces « opérateurs économiques » qui n’auraient pas d’autre objectif que l’information. Ce ne peuvent être en effet que des opérateurs qui n’auraient pour objectif économique que de réaliser des bénéfices à réinvestir dans l’entreprise pour développer ses moyens d’information (ou, à tout le moins, d’éviter de creuser des déficits) et non de réaliser des profits à redistribuer entre les actionnaires. Autrement dit : ou bien un secteur public, ou bien des associations ou entreprises sans but lucratif.
D’autant que les « opérateurs privés » quand ils ne peuvent pas espérer tirer des profits de tel média particulier – ce qui est généralement le cas de la presse quotidienne nationale – peuvent poursuivre deux autres objectifs : s’approprier une « marque » pour l’intégrer dans un groupe multimédia profitable et/ou disposer de leviers d’influence politique, à l’instar de Serge Dassault [5].
Reste la troisième traduction de l’exigence d’indépendance : « la préservation absolue de l’intégrité du service public de l’audiovisuel, afin de garantir que ni ses informations ni ses programmes ne soient contrôlés par le pouvoir exécutif. » Autant dire clairement qu’une telle exigence implique une opposition totale à l’ensemble de la « réforme » en cours de l’audiovisuel public. Pourquoi laisser entendre que « l’intégrité » du service public dépend exclusivement de son indépendance à l’égard du pouvoir exécutif ? Et ne rien dire ni de la hauteur et des modalités de son financement ni de la privatisation généralisée des chaînes nationales et locales ? Toutes questions dont dépend pourtant l’indépendance du secteur public.
« La transparence, c’est-à-dire »…
… Poursuit l’appel qui mentionne – enfin ! – des mesures plus concrètes. À commencer par celle-ci : « un véritable accès, rapide et facile, à toutes les sources documentaires d’intérêt public pour la vie démocratique et le sort des citoyens, à l’image du Freedom of Information Act en vigueur aux Etats-Unis depuis 1967. » Soit. Mais la référence au « Freedom of Information Act » étatsunien est notoirement insuffisante, tant son contenu est restrictif [6], alors que la « Charte de Munich » l’est a priori beaucoup moins [7]. Quelles sont donc ces « sources documentaires d’intérêt public » ? Des sources administratives ? Des sources gouvernementales ? Des accès aux livres de comptes et aux archives des entreprises ?
Deuxième garantie de la transparence : « une large protection des sources des journalistes, assurant le droit des citoyens à les alerter et à les informer, inspirée de l’excellente loi belge en vigueur depuis 2005 » à laquelle le SNJ et le SNJ-CGT se réfèrent [8] … parce qu’ils n’ont pas attendu l’ « Appel » de la Colline pour résister à la loi liberticide sur la protection des sources soumise au Parlement.
Troisième garantie : « une publicité étendue sur tous les actes du pouvoir exécutif ayant une incidence directe sur notre vie publique, de façon à permettre l’interpellation libre et le questionnement contradictoire des gouvernants par les journalistes. » Fort bien. On distinguera donc, en lisant bien, les « actes du pouvoir exécutif » (pourquoi lui seul ?) et les « sources documentaires d’intérêt public ». Mais pourquoi les journalistes seraient-ils les seuls capables et/ou habilités à interpeller librement et à questionner contradictoirement le pouvoir éxécutif [9] ?
Mais il y a nettement plus significatif que ces approximations. En effet, les exigences de transparence présentées par « l’Appel », non seulement ne concernent que les seuls journalistes, mais elles ne s’adressent, du moins explicitement, qu’aux seuls gouvernants et aux administrations publiques. Pourquoi leur champ d’application ne s’étend-elle pas aux entreprises – véritables zones de non-droit à l’information – et particulièrement aux entreprises médiatiques elles-mêmes ?
Reste le dernier « chapitre » :
« Le pluralisme, c’est-à-dire »…
On va l’apprendre en trois points. Et d’abord : « une concentration limitée et régulée, de façon à éviter tout monopole de fait ou tout abus de position dominante. » Impossible d’être plus vague. De quelles concentrations, de quelles limites et de quelles régulations s’agit-il ? Qui peut ignorer qu’il existe déjà des monopoles de fait, dans la presse quotidienne régionale notamment, et que TF1 abuse largement de sa position dominante ? Pourquoi n’en tirer aucune conséquence ? Sans doute parce que « Reporters sans frontières » estime que l’état des concentrations en France ne menace pas le pluralisme, comme le déclare Jean-François Juillard [10]. Plus « audacieux », l’Appel « Presse libre ! » (que RSF n’ a pas signé) s’insurge contre le projet de Sarkozy qui « envisage d’assouplir les dispositifs anti-concentration dans les médias, comme si ce projet n’était pas d’abord celui de groupes privés et de leurs patrons que l’ Appel se garde mentionner...
… Comme il omet de préciser que ces concentrations sont, d’ores et déjà pour nombre de médias, des concentrations financiarisées : entendons par là des concentrations dont le moteur est la recherche non de la simple rentabilité, mais de profits destinés à des actionnaires. Et qui, pour cette raison, sont particulièrement menaçantes : pour l’emploi (de plus en plus précaire) et les conditions de travail (de plus en plus contraignantes) des journalistes, pour la qualité de l’information et pour le pluralisme.
Pourquoi ce silence ? Parce que les idéaux du libéralisme politique interdisent de mentionner les effets du libéralisme économique ?
Pourtant, quand on se situe au niveau des grands principes, mieux vaut ne rien laisser dans la brume... Au risque de laisser entendre, en descendant de la Colline, que les objectifs que poursuit Sarkozy peuvent être dissociés des intérêts qu’il sert et que pour condamner Sarkozy, il convient de ménager les patrons des médias.
Revendication suivante : « une égalité de traitement de la presse numérique et de la presse imprimée, de façon à éviter toute discrimination stigmatisante d’Internet. » L’idée est généreuse. Mais placer cette revendication spécifique au même niveau que les généralités qui précèdent laissent planer un doute sérieux sur les intentions des promoteurs de l’Appel. En effet, cette revendication concerne d’abord… Médiapart, mais aussi – convenons-en – des sites comme Bakchich, Rue89 ou Arrêt sur images (@si) qui rémunèrent des journalistes professionnels. Et les autres – tous les autres ?
Mais il y a plus grave. À l’heure où l’information sur Internet est menacée, par exemple, par l’instauration d’un délai pour attaquer un site Internet en justice en cas de diffamation de trois mois à un an (ce qui est dérogatoire au droit commun) ; à l’heure où les échanges d’informations et de données sont vouées à être de plus en plus contrôlés par les pouvoirs économique et étatique (projet de loi « Création et Internet »), l’Appel de la Colline choisit de taire ces questions fondamentales [11].
Troisième et dernière revendication sur le pluralisme : « une reconnaissance à part entière de la place des lecteurs en tant que commentateurs, contributeurs et blogueurs, de façon à accroître la diffusion et le partage démocratiques des informations et des opinions. » Autre idée généreuse. Mais qu’implique cette « reconnaissance à part entière » ? Qu’une place à part doit être réservée aux seuls « commentateurs, contributeurs et blogueurs » de la presse numérique, à l’instar de celle que leur attribuent des sites comme celui de... Médiapart (ou Rue89) ? S’il ne s’agit pas – ou pas seulement – d’une « reconnaissance » des choix éditoriaux « participatifs » effectués par de tels sites (et donc de souscrire à des usages particuliers d’Internet), quelles sont les conséquences juridiques ou matérielles d’une telle « reconnaissance » ? Et que deviennent alors les sites et blogs innombrables qui contribuent, de façon indépendante, à « accroître la diffusion et le partage démocratiques des informations et des opinions » ? Faut-il comprendre que seuls doivent être reconnus à part entière les sites animés par des professionnels de la profession et par les commentateurs-contributeurs-blogueurs qui leurs sont associés ? Que dire alors des autres, et notamment des sites associatifs, animés par des bénévoles, voire même par des salariés qui ne seraient pas titulaires de la carte de presse ?
Quant aux autres conditions du pluralisme – qu’il soit interne (propre à chaque média) ou externe (réparti entre tous les médias) – il n’en est pas dit un seul mot, alors qu’elles sont décisives. Or qui peut croire que ces conditions sont remplies ? [12]
« Toute voie qui s’éloignerait de ces principes serait une régression », conclut l’Appel. Mais en mêlant des principes très généraux à des revendications très spécifiques, cet Appel est tout à la fois éthéré… et corporatiste. Il culmine à une altitude où les principes sont d’autant mieux enveloppés de nuées qu’ils sont coupés de toute exigence et de toute lutte concrètes ; et ce même Appel s’abîme dans des revendications si particulières qu’elles font totalement l’impasse sur les effets de l’emprise des médias financiarisés et globalisés (ou globalisables) sur l’ensemble des médias.
Un appel qui prétend « préserver » la télévision publique sans dire un mot des télévisions privées, qui réserve aux seuls journalistes professionnels le monopole de l’information, qui ignore totalement la contribution des médias des associations et des syndicats – et, plus généralement, des médias du Tiers secteur associatif, – est un appel marqué du sceau d’un corporatisme volontiers reproché aux syndicats de journalistes, alors que les principaux d’entre eux, à travers notamment les États généraux pour une information et des médias pluralistes, ont contribué à l’élaboration de propositions concrètes, ouvertes et effectivement pluralistes.
Plus généralement, les initiatives venues des médias eux-mêmes prétendent donner la parole au « Tiers État » exclu des États généraux de Sarkozy, mais en omettant – lors de réunions publiques très fréquentées au Théâtre de la Colline, puis au Théâtre du Rond Point – de la donner [13] aux syndicats de salariés des médias, aux médias du tiers secteur, aux pigistes précaires et aux associations qui, tous, n’ont pas attendu pour résister depuis de longues années [14]
Quant à l’appel « Presse libre ! » qui condense l’appel de la Colline, il s’illustre par cette contribution originale : « Depuis vingt-cinq ans, quelles que soient les majorités politiques, les réformes concernant les médias, malgré leurs imperfections, ont toutes contribué à renforcer la démocratie et l’État de Droit. » Il faudrait donc oublier – charitablement – toutes celles qui ont aggravé les conditions d’exercice des droits d’informer et d’être informé (y compris sous des gouvernements de gauche) et qui, en favorisant la soumission des médias à un libéralisme économique plus ou moins débridé, ont ainsi préparé le terrain aux réformes imposées par Sarkozy : comme si la « régression », c’était lui et lui seul…
Sous couvert de combattre les « réformes » de Sarkozy, les médias juchés sur la Colline s’inquiètent de l’emprise politique que ces « réformes » préparent, sans se préoccuper outre mesure de l’emprise du capitalisme médiatique que pourtant cette politique favorise…. avec toutes les conséquences que cette emprise entraîne.
Faut-il favoriser les convergences contre la politique de Sarkozy ? Oui. Mais pas dans la confusion.
Henri Maler
APPEL DE LA COLLINE, Mediapart et Reporters sans frontières, 24 novembre 2008
La liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens. Le droit à l’information, à la libre expression et à la libre critique, ainsi qu’à la diversité des opinions est une liberté fondamentale de tout être humain. Sans information libre sur la réalité, ambitieuse dans ses moyens et pluraliste dans ses fins, il ne saurait y avoir d’authentique délibération démocratique. Régime de tous les citoyens, sans privilège de naissance, de diplôme ou de fortune, une véritable démocratie suppose que tous soient pareillement informés pour être libres dans leurs choix et autonomes dans leurs décisions.
De ce droit du public à connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes.Leur première obligation est à l’égard de la vérité des faits. Leur première discipline est la recherche d’informations vérifiées, sourcées et contextualisées. Leur première loyauté est envers les citoyens et prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.
Défendre et promouvoir cet idéal suppose l’indépendance, la transparence et le pluralisme.
L’indépendance, c’est-à-dire :
- le respect général du droit moral des journalistes sur leur travail, afin de garantir que l’information ne soit pas réduite à une marchandise ;
- le refus impératif du mélange des intérêts industriels et médiatiques, afin de garantir que les opérateurs économiques n’aient pas d’autre objectif que l’information ;
- la préservation absolue de l’intégrité du service public de l’audiovisuel, afin de garantir que ni ses informations ni ses programmes ne soient contrôlés par le pouvoir exécutif.
La transparence, c’est-à-dire :
- un véritable accès, rapide et facile, à toutes les sources documentaires d’intérêt public pour la vie démocratique et le sort des citoyens, à l’image du Freedom of Information Act en vigueur aux Etats-Unis depuis 1967 ;
- une large protection des sources des journalistes, assurant le droit des citoyens à les alerter et à les informer, inspirée de l’excellente loi belge en vigueur depuis 2005 ;
- une publicité étendue sur tous les actes du pouvoir exécutif ayant une incidence directe sur notre vie publique, de façon à permettre l’interpellation libre et le questionnement contradictoire des gouvernants par les journalistes.
Le pluralisme, c’est-à-dire :
- une concentration limitée et régulée, de façon à éviter tout monopole de fait ou tout abus de position dominante ;
- une égalité de traitement de la presse numérique et de la presse imprimée, de façon à éviter toute discrimination stigmatisante d’Internet ;
- une reconnaissance à part entière de la place des lecteurs en tant que commentateurs, contributeurs et blogeurs, de façon à accroître la diffusion et le partage démocratiques des informations et des opinions.
Toute voie qui s’éloignerait de ces principes serait une régression.