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PPDA, Petit Père des Damnés de l’Audiovisuel

par Olivier Poche,

Après son éviction de TF1 pour, a-t-on dit, avoir déplu au président de la République, PPDA, fort de cette inespérée réputation d’impertinence et d’indépendance, s’est relancé sans trop de mal. Le revoilà sur France 5, animant une émission de bavardage sobrement intitulée « La traversée du miroir ». Sur le site de la chaîne, il présente cette émission dans une interview (imaginaire ?) qui ressemble fort à une farce [1]. Ce que confirme la première émission, diffusée le dimanche 11 janvier 2009 à 19 heures : « La traversée du miroir » ou PPDA au pays des merveilles.

De la théorie…

L’émission, bricolée autour d’un « concept » minimal, consiste à interviewer, à partir de « six dates déclics de la vie d’un homme ou d’une femme » et pendant 25 minutes pour chacune d’elle, deux personnalités omniprésentes dans les médias. En réalité, le projet a évolué avant même la première, et ce seront six photos, jugées sans doute plus « télégéniques », que les invités seront amenés à commenter. Autre idée révolutionnaire : les deux interviewés se croisent à la mi-temps et se posent une question – « car il peut y avoir un petit déclic, une étincelle ». On comprend que PPDA se batte les flancs avec son enflure habituelle pour trouver un intérêt à ce genre de « dispositif » :

- Patrick Poivre d’Arvor : « J’ai toujours adoré l’art de l’interview [2]. C’est la première chose que j’ai eu envie de refaire, mais d’une manière plus approfondie et plus longue. Dans le journal télévisé, les interviews durent à peu près cinq, dix minutes au maximum, dans une émission littéraire quinze ou vingt minutes au maximum. »
Avec cinq minutes de plus par « client », le changement promet effectivement d’être remarquable…

- Un interviewer anonyme : - «  Pour quelles raisons avez-vous mis en place ce dispositif ? »
- PPDA : - « Je sais, pour avoir de longue date interviewé des gens, qu’on en apprend toujours beaucoup quand on appuie là où il s’est passé quelque chose, là où il y a une fêlure. C’est ça qui est le plus intéressant, et à partir de là en général tout le reste découle plus facilement. »

Mais le plus drôle (si l’on veut…), c’est la façon dont notre journaliste vedette présente les futur(e)s invité(e)s de son émission :

- L’interviewer anonyme : - «  Concernant des personnalités connues et reconnues, qui se sont peut-être beaucoup exprimées, qu’allez-vous apporter de nouveau  ? »
- PPDA : - « D’abord on va essayer d’aller vers des gens qui ne se sont pas beaucoup exprimés . Cela n’est pas très facile, mais cela me paraît important d’essayer de donner envie à des gens qui ont peur des médias . Il y a beaucoup de personnes qui refusent de s’exprimer à la télévision parce qu’elles n’ont pas envie d’arriver sous les applaudissements ou d’être interrompues par des trublions, elles ont envie d’avoir du temps. »

Des « gens » ? Oui, mais pas n’importe lesquels : des « personnalités » – exclus donc les « vrais gens », les anonymes et leurs états d’âme sans intérêt. Des « personnalités » ? Oui, mais pas n’importe lesquelles : celles qui fréquentent peu les médias, donc, ou qui s’en méfient. Des chercheurs privés d’antenne par l’omniprésence des omniprésents ? Des artistes maudits ? On se surprend à frémir d’impatience à l’idée de voir s’ouvrir ce nouvel espace de liberté. Mais il suffit de prendre connaissance de la liste des invités pressentis pour que l’enthousiasme retombe immédiatement : « Isabelle Adjani m’a téléphoné pour me donner son accord. Françoise Hardy et Martine Aubry devraient venir assez vite, de même que Valéry Giscard d’Estaing et bien d’autres… ». Et pour la première, « Pierre Palmade et Jean-Louis Borloo ». Tout est dit.

Des invités exceptionnels donc, dans un cadre exceptionnel, pour des rencontres exceptionnelles. C’est du moins ce que certifient France 5 [3] et le maître de cérémonie.

- L’interviewer anonyme : - « Qu’attendez-vous de ce magazine ? »
- PPDA  : - « J’ai envie que l’on aille au plus près de la vérité des êtres . On se détache donc de tout ce qui ressemble à la promotion, où les gens viennent pour vendre un livre, un disque, un slogan, une idée politique. »

Et c’est tout naturel : on est ici sur France 5. Et même sur le site de France 5. L’occasion de passer un petit coup de brosse sur les chaussures des nouveaux patrons :

- L’interviewer anonyme : - « Pourquoi avez-vous choisi France 5 ? »
- PPDA : - « C’est une chaîne qui correspond à ce que j’aime [...]. Je n’aime que les émissions qui vont vers l’approfondissement, et France 5 est vraiment la chaîne de la connaissance, de la transmission de la connaissance. C’était donc vraiment idéal pour moi. »

… à la pratique

On ne s’attardera pas sur les portraits des invités qui ouvrent l’émission, emphatiques jusqu’au burlesque (Pierre Palmade « funambule dont la vie ne tient qu’à un fil, Pierrot lunaire, halluciné, il s’appelle Pierre, Pierre Palmade… ») et qui démontrent que PPDA n’a rien perdu de ses talents de courtisan (Jean-Louis Borloo, « un homme libre, assurément » qui « essaie d’imprimer sa marque dans un monde bi-polaire qui aime trop les étiquettes »). Il faut reconnaître en revanche que toutes les promesses sont tenues. Au-delà des espérances.

« On se détache donc de tout ce qui ressemble à la promotion », d’abord. C’est une évidence qui s’impose dès la première question de PPDA au « funambule halluciné » :
- PPDA : « Je suis très… très, très ému et impressionné de découvrir que, voilà, il a suffi d’apprendre que vous veniez pour apprendre que la scène était prolongée d’un mois et demi puisque vous allez jouer « Le Comique » jusqu’à la mi-avril, voilà… »
- Pierre Palmade : « La pièce marche bien, elle continue… »
- PPDA : « "Le comique" au théâtre Fontaine à Paris… »

« Art de l’interview » du grand professionnel : il a suffi d’une minute à PPDA pour apprendre aux téléspectateurs le titre de la pièce de son invité et où acheter les billets – au prix d’une phrase dont le sens « ne tient qu’à un fil », certes, mais qui va à l’essentiel. Au cas où, cependant, on l’aurait manqué, et deux précautions valant mieux qu’une, il saura habilement placer en fin d’entretien un discret rappel :

- PPDA : « Dans votre rôle de ce personnage qui s’appelle "le comique"... Bon si vous avez trouvé ce titre-là à votre pièce qui se joue en ce moment au théâtre Fontaine… »

Entre temps, on poursuit furieusement la « vérité des êtres », grâce aux questions pénétrantes du présentateur. Première photo : le père de Pierre Palmade. La quête commence aussitôt : « Il aimait la vie ? ». Plus tard : « Il aimait beaucoup les serpents ? ». Puis on se concentre sur la personnalité de Pierre Palmade lui-même (« Vous aimez le sport ? »), sans négliger ses côtés sombres : « On parlait de Sylvie Joly tout à l’heure : c’est vrai que vous lui avez volé un agenda ? ».

Et comme l’on est sur France 5, on n’oubliera pas « la connaissance » – sous ses diverses formes. La philosophie : « Et l’humour c’est vraiment la politesse du désespoir, comme l’ont écrit un certain nombre de penseurs ? ». La politique (à propos d’une photo de l’attentat à la chaussure contre Bush)  : « Est-ce qu’il y a comme ça dans l’actualité des petits événements qui vous font rire, sourire, vous vous dites « tiens », qui peuvent vous inspirer pour vos sketches ? ». Et bien sûr, de la littérature : « Vous aimeriez mourir sur scène, comme Molière ? ». D’ailleurs, le « concept » innovant de l’émission comprend une « question rituelle » annoncée fièrement par PPDA, et qui, bien que grammaticalement hésitante, devrait contribuer à ouvrir les horizons littéraires des téléspectateurs : « S’il fallait résumer votre vie, le titre du roman de votre vie aujourd’hui, qu’est-ce que vous choisiriez comme titre ? »

C’est la mi-parcours, la rencontre entre les deux invités. Et le « déclic » attendu se produit dans une grande gerbe d’« étincelles » : Jean-Louis Borloo profite de l’occasion pour demander à Pierrot « un petit coup de main » pour sauver la planète, et le comique l’interroge gravement : « Est-ce que vous avez le temps de rire dans votre métier ? ».

L’entretien avec Jean-Louis Borloo n’offre guère plus d’intérêt. Mais il exhibe avec une grande netteté le principe de ces émissions de dépolitisation que l’on voit presque partout et qui consistent, certes, à ne pas « vendre une idée politique », mais un homme, sans faire la moindre allusion tant soit peu précise à son rôle, sa responsabilité, son passé politiques.

Ainsi Borloo pourra travailler son image en racontant son expérience du scoutisme, avec un « petit coup de main » de son interlocuteur : « C’est ce que vous avez ressenti quand vous étiez en voyage en Finlande et que vous avez sauvé un enfant , pratiquement, parce que vous avez eu un bon réflexe de scout ? », ou en évoquant son arrivée dans le club de foot de Valenciennes :
- PPDA : - « C’était pour quoi ? Pour aider ?  »
- Borloo : - « [...] Je me souviens des gamins qui avaient des, des sparadraps… »
- PPDA : - « Des sparadraps autour des … »
- Borloo : - « Des sparadraps autour des chaussures, Les grillages étaient complètement… »
- PPDA : - « Et aujourd’hui l’équipe est toujours en [?]… »

Rappelons que trois photos sur six sont choisies par les invités. Qui peut imaginer que des hommes politiques ne s’empareront pas de l’occasion qui leur est ainsi offerte de se montrer sous leur plus beau jour ? PPDA n’est pas complètement dupe, mais s’en accommode fort bien quand, par exemple, il montre à l’écran la deuxième photo choisie par son invité : une photo qui le représente à Valenciennes, avec une vieille femme devant un immeuble en train d’être détruit. PPDA remarque alors, dans un mélange inimitable de flatterie et d’impertinence : « Une photo qui est très belle […]. Elle paraît presque trop posée d’ailleurs si je puis me permettre… c’est presque propagande , d’ailleurs d’une certaine façon… »

Cette « presque impertinence » permet à PPDA de contribuer aussitôt à cette « presque propagande » avec d’autant plus de ferveur (ou moins de mauvaise conscience ?) :
- PPDA : - « Là y’a destruction d’une barre d’immeuble, elle est là, vous lui tenez la main… Vous vous dites vraiment que vous êtes responsable de son sort et du sort de tous vos administrés ? »
- Borloo :- « Ouais. Mais en fait… [Borloo se lance alors dans un véritable numéro, se levant pour raconter debout l’histoire de la photo, la vie de la vieille dame, ses enfants, etc.]…Elle avait les larmes aux yeux, et elle me disait "merci de détruire ce qui était inacceptable aujourd’hui" (…) Et au fur et à mesure que cette grande pelle mécanique au fond rentrait dans les pièces… »
- PPDA : - «  Dans son intimité...  »
- Borloo : - «  Dans son intimité… Et c’était son passé qui… Elle pleurait cette dame, elle pleurait, et elle me disait merci en même temps. D’ailleurs c’est tout le sujet de la rénovation urbaine de ce pays  »…

Des gens qui viendraient pour « vendre une idée politique » ? Pensez-vous…

Morceaux choisis en images :

Rien de bien nouveau, donc, dans ce programme de publi-bavardage, qui mélange niaiseries psychologisantes et propos de comptoirs, à part peut-être l’incurable prétention de son concepteur qui la présente comme une expérience intellectuelle de haute volée – et terminera sa première émission sur cette question : « Le succès des Ch’tis, en quelques secondes ça vous… ce bonheur, cette fierté d’être Cht’ti… Vous l’aviez vu, bien sûr ? ». Décidément, la compétition est rude au sein du secteur public. Avec PPDA, Michel Drucker (« Vivement dimanche, sur France 2) et Mireille Dumas (« Vie privée, vie publique, sur France 3 »), ont trouvé un sérieux concurrent sur les créneaux (porteurs) de la dépolitisation de la vie politique et de la réduction de la vie artistique au plus étroit narcissisme.

Olivier Poche

 
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Notes

[1Le lien avec cet entretien est périmé, décembre 2013.

[2Et notamment de l’interview imaginaire de Fidel Castro. A ce sujet et sur quelques autres, lire ici même : « Les fabuleuses histoires de Poivre d’Arvor ».

[3Sur le site de France 5, la présentation de l’émission met en valeur cette innovante innovation : « Un cadre dépouillé et quelques dates clés, La traversée du miroir est une invitation à la confidence. Chaque semaine, Patrick Poivre d’Arvor reçoit deux personnalités artistiques, politiques, littéraires, scientifiques... Tournées dans les conditions du direct, ces deux interviews de 26 minutes sont des rencontres au plus près. »

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