Annexe : le grand art du recyclage.
BHL est un « bon client ». De ceux qui ont toujours quelque chose à… vendre. Aussi était-il indispensable, plutôt que d’accorder aux journalistes présents en Israël ou à Gaza la possibilité et le temps de proposer le résultat de leurs enquêtes et de leurs analyses, d’écouter le prêche du « romanquêteur » et d’interroger simultanément Bernard-Henri Lévy et Najat Vallaud-Belkacem (PS) au 13h15 de France 2 le dimanche 18 janvier 2008 ; de laisser le premier couper sans cesse la seconde pour marteler son interprétation des événements déjà diffusée à deux reprises dans Le Point et dans le JDD ; de laisser sans réaction ses assertions les plus mensongères et, comme le dit benoîtement Laurent Delahousse, incapable d’organiser le débat, de les laisser s’ébattre sans lui.
Du bon usage du tourisme de propagande : légitimer par un court séjour dans les parages de la guerre, les leçons de géopolitique et de morale dispensées depuis Paris.
Existe-il des différences significatives entre « Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy », rédigé à l’écart des bombardements et les « Carnets de guerre » de Bernard-Henri Lévy rapporté de son séjour en dehors de Gaza ? Si l’on excepte les propos qu’il rapporte et les témoignages qu’il recueille, il n’en existe aucune : Bernard-Henri Lévy, aux abords de la guerre, s’est d’abord vu lui-même et a entendu ce qu’il croyait savoir depuis Paris.
Car avant de partir recueillir de la bouche de ses amis israéliens ce qu’il disent partout et à n’importe qui, avant de résumer les propos de quelques Palestiniens conformément à ce qu’il convient de savoir d’eux sans quitter Paris, BHL avait déjà infligé aux lecteurs du Point (et à quelques curieux…) la leçon qu’il prétend tirer de son voyage et qui, en vérité, fournit la trame de sa construction.
Les « informations décisives » sonnent toujours (au moins) deux fois.
- Avant son voyage, BHL savait déjà que le blocus humanitaire était une fiction : « Et quant au fameux blocus intégral […] ce n’est, là non plus, factuellement pas exact : les convois humanitaires n’ont jamais cessé de passer, jusqu’au début de l’offensive terrestre, au point de passage Kerem Shalom ; pour la seule journée du 2 janvier, ce sont 90 camions de vivres et de médicaments qui ont pu, selon le New York Times , entrer dans le territoire ». Ayant lu le New York Times, donc « factuellement » déjà bien pourvu, BHL va cependant approfondir l’enquête et rapporter d’Israël une « information exclusive » supplémentaire : « au terminal de Keren Shalom, extrême sud de la bande de Gaza, […] une centaine de camions passent , comme chaque matin ».
- Avant de partir, BHL savait déjà que l’opération « Plomb durci » était parfaitement justifiée par la situation intolérable des habitants des villes israéliennes visées par les roquettes du Hamas : « Aucun gouvernement au monde , aucun autre pays […] ne tolérerait de voir des milliers d’obus tomber, pendant des années, sur ses villes [1]. Mais rien ne vaut confirmation sur place, de la bouche de « Yovan » Diskin : « " Il n’y a pas un Etat au monde qui tolérerait de voir des obus tomber ainsi, tous les jours, sur la tête de ses citoyens ". Puis, comme je lui réponds que je sais cela… ». Non seulement il le sait, mais il l’a écrit, presque dans les mêmes termes que son interlocuteur, avant même de l’entendre…
- Avant de partir, BHL savait déjà que l’armée israélienne prenaient les civils sous sa protection : « les unités de Tsahal ont, pendant l’offensive aérienne, systématiquement téléphoné (la presse anglo-saxonne parle de 100 000 appels) aux Gazaouis vivant aux abords d’une cible militaire pour les inviter à évacuer les lieux ». Et visionnant les exploits d’Asaf, BHL, dans une innocente incise, rappelle ce « fait » - au cas où la seule mention de « la presse anglo-saxonne » n’aurait pas convaincu tous ses lecteurs : « incroyables films […] de ces missiles déjà lancés que le pilote, voyant […] que la jeep ciblée entre dans le garage d’un immeuble dont on n’a pas, comme c’est l’usage , alerté les occupants, détourne en pleine course et fait exploser dans un champ ».
- Avant de partir, BHL savait déjà que le Hamas était le principal, voire le seul responsable de l’existence de victimes civiles parmi les Palestiniens : « les dirigeants de Gaza […] exposent leurs populations : vieille tactique du « bouclier humain » qui fait que le Hamas […] installe ses centres de commandement, ses stocks d’armes, ses bunkers, dans les sous-sols d’immeubles, d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées ». Et BHL de prendre l’avion pour recueillir de la bouche d’Ehoud Olmert quelques précisions sur le « calcul d’un Hamas qui […] installe ses dépôts d’armes dans une cour d’école, une salle d’hôpital, une mosquée » .
- Avant de partir, BHL reconnaissait volontiers que les Israéliens « aveuglés » par leur bonne volonté, avaient pu laisser passer quelques « occasions » de faire le bien : « Ils découvriront, ce jour-là, qu’Israël a commis bien des erreurs au fil des années ( occasions manquées, long déni de la revendication nationale palestinienne, unilatéralisme ) ». Dans le salon d’Ehoud Barak, BHL s’apprête à lui « objecter qu’Israël n’en serait pas là sans la série d’occasions manquées, de faux pas, d’aveuglements, des gouvernements qui ont suivi », quand le téléphone sonne, privant ainsi Barak, mais pas le lecteur, de cette « objection » qui fixe les termes dans lesquels la critique d’Israël est permise.
- Et une fois sur place, BHL a beaucoup regardé la télévision :
Je suis à Ramallah, donc. À Sderot et à Ramallah. », nous apprend BHL au détour d’une phrase de son second « Bloc-notes » du Point, paru le 15 janvier sous le titre « Les douteux amis du peuple palestinien » et c’est depuis cette double destination, qu’il « témoigne » des manifestations qui se sont déroulées en France… telles qu’il les a vues à la télévision [2]. Et ce qu’il a vu ne lui laisse aucun doute sur les motivations des manifestants : « Où étaient-ils, ces manifestants, quand il s’agissait de sauver, non les 888, mais les 300.000 morts des massacres programmés du Darfour ? Pourquoi ne sont-ils jamais descendus dans la rue quand Poutine rasait Groznyï […] ? Pourquoi se sont-ils tus quand […] on extermina 200.000 Bosniaques , […] voici de nouveaux adeptes du vieux " deux poids, deux mesures " qui ne se soucient de la souffrance d’un musulman que lorsqu’ils se croient autorisés à l’imputer aux juifs. L’auteur de ces lignes a été au premier rang de la mobilisation en faveur des Darfouris, des Tchétchènes, des Bosniaques ».
Mais pas des Palestiniens. Et au lieu de s’attarder sur cet apparent paradoxe, BHL répète en boucle son petit couplet. Dans le JDD d’abord, où il recopie son « témoignage exclusif » sur la télévision française : « Le ton monte à Paris. Jean-Marie Le Pen déclare que Gaza est un camp de concentration. D’autres, du côté de la gauche radicale, tonnent qu’il n’y a pas eu, depuis longtemps, pire massacre de Musulmans que celui des Gazaouis. Et les 300 000 Darfouris , camarades ? Et les 200 000 Bosniaques ? Et ces dizaines de milliers de Tchétchènes que Poutine alla "buter jusque dans les chiottes " et qui ne vous arrachèrent pas une larme ? ».
Mais jamais deux sans trois. Sur France 2, quand Laurent Delahousse lui demande pourquoi ce conflit « suscite autant de passion », BHL redémarre aussitôt : « Je me rappelle quand je me battais pour le sort des musulmans bosniaques, on était une poignée. […] C’était 300 000 morts , 200 000 morts, pardon. Le Darfour on n’était pas très nombreux non plus. […] Les Tchétchènes , quand Poutine disait selon ses propres mots très élégants qu’il allait les buter jusqu’au dernier, « jusque dans les chiottes », on entendait aucun de ceux qui aujourd’hui montent le ton […] Ce qui est étrange c’est le deux poids deux mesures ». Et il en profite un peu plus tard pour marteler que le Hamas « a installé ses lance-roquettes, des dépôts d’armes dans les endroits les plus sacrés qui sont les mosquées, qui sont les écoles, qui sont les hôpitaux ». Au cas où les téléspectateurs de France 2 ne liraient ni Le Point, ni le JDD, ni les communiqués de l’armée israélienne.
De cette même émission on retiendra enfin cette dernière facétie de BHL, qui, à force de répéter sans cesse les mêmes choses finit par y croire lui-même, et déclare fièrement : « Les blessés, ça j’en apporte la preuve dans le Journal du Dimanche, il y a un hôpital israélien, le plus grand hôpital où 70% des patients sont des palestiniens, 70% des patients, avant la guerre ». Pour mémoire, rappelons que la « preuve » tenait dans une phrase : « Je passe sur le cas du Shiba Hospital de Tel Aviv dont le directeur adjoint, Raphi Walden, m’explique que 70% des patients sont des Palestiniens ».
Infinie répétition – qui est, comme on sait, le secret d’une bonne pédagogie. Et aucune différence significative. Aucune ? Si… Une petite différence s’est glissée parmi tous ces copiés-collés. Alors que son périple ne lui fera découvrir, dans le JDD, que des Palestiniens hurlants, ils deviennent, dans Le Point, étrangement modérés : « Quel soulagement de voir des Palestiniens réels au lieu de ces Palestiniens imaginaires qui pensent faire acte de résistance en s’attaquant, en France, à des synagogues ! Les premiers, je le répète, s’obligent à la modération et, avec un admirable sang-froid, tentent de préserver les chances des cohabitations de demain ; les seconds sont enragés, plus radicaux que les plus radicaux et prêts à en découdre, sur le pavé des villes d’Europe, jusqu’à la dernière goutte du sang du dernier Palestinien. Les premiers font la part des choses ; ils savent que nul, dans cette affaire, n’est ni tout blanc ni tout noir ». Mais la raison de cette différence n’est pas difficile à trouver : elle s’explique très simplement par la volonté de disqualifier les manifestants qui s’opposent à l’opération militaire en cours. Bernard-Henri et ses « faits » tournent en fonction du vent de la propagande…