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Tribune

Les petits soldats de la Voix du Nord

par La Brique,

Nous publions ci-dessous, sous forme du « tribune », deux articles parus dans le journal La Brique, illustrés par Albert Foolmoon [1] (Acrimed)

I. Les petits soldats de la Voix (La Brique, n°10, 8 janvier 2009, )

La ligne éditoriale du quotidien nordiste ? Précarité et faits divers ! Une journaliste fraîchement remerciée nous plonge dans les coulisses de cette presse peu recommandable...

« Nous ne prenons que les gens issus d’école de journalisme, vous commencez le 1er juillet à l’agence de Tourcoing » me signifie-t-on quand je décide de commencer l’aventure CDD. Dans cette agence, l’attaché de presse de la mairie appelle quotidiennement le chef d’agence : « Pouvez-vous passer telle photo, pour un concours à Tourcoing-plage ? ». Été oblige, les sujets se font rares, alors on engrange ce qu’on peut. Jusqu’à faire un papier sur les sites Internet des villes alentour. « Les gens veulent du pratique. Du pré-mâché », martèle le chef d’agence. Tourcoing a la plus mauvaise réputation parmi toutes les locales du journal. Ca se tire dans les pattes. Entre un journaliste syndiqué « trop zélé » et un chef d’agence qui refuse toute forme de libre pensée, la franche camaraderie n’est pas au menu.

Quand la chargée des ressources humaines (la « RH ») rappelle pour d’autres contrats, je refuse d’aller à l’agence de Calais (1 h 30 de Lille). « En 18 mois, je n’ai jamais refusé un seul contrat me soufflera une fille rencontrée à Béthune, « d’ailleurs, je n’ai jamais pris de vacances ». « Tu as refusé un contrat... et ils t’ont rappelé ? C’est rare », s’étonnait une autre précaire de Calais. Les ressources humaines en font presque un chantage : « Vous savez, nous recrutons à la fin de l’année et si vous refusez un contrat, c’est très mal vu. » La précarité, c’est être balancé d’agence en agence, ne pas connaître l’endroit où l’on débarque, changer de poste de travail quand les titulaires en ont besoin, rouler parfois une heure avant d’arriver au boulot, et recevoir les sujets de reportage sur la route... Également, la phrase fétiche de la RH, « on vous appelle dès qu’on a quelque chose », n’est valable que si nous-mêmes harcelons leurs services toutes les semaines. On m’a déjà appelé le lundi matin pour un contrat commençant l’après midi...

Cachez-moi cette grève

Par la suite, j’accepterai d’aller à Calais, de peur de rater d’autres opportunités. J’y suis restée deux semaines et trois jours, nous étions quatre précaires pour autant de titulaires. Un stagiaire (non rémunéré), un contrat de professionnalisation (payé moins que le SMIC), et deux CDD [2]. Quand on arrive sur une nouvelle agence, on ne connaît pas le tissu de l’information sur place. Et les journalistes de l’agence retouchent l’angle choisi pour un papier. À Calais, j’ai couvert le blocage du port par les pêcheurs, qui intéressait peu la rédaction. « Les calaisiens en ont rien à faire du blocage. Ce qu’ils veulent savoir, c’est ce qu’il provoque sur l’autoroute et le tunnel », souligne le chef d’agence. Alors on contrebalance le blocage du port par les dizaines de kilomètres de bouchons sur l’A16. Il faut que je sois honnête. Le journaliste qui veut traiter tel ou tel point, peut. A priori. Les titulaires sont capables d’en faire à leur tête même si le blâme n’est pas loin. Ainsi, un journaliste de Tourcoing a reçu un blâme pour avoir refusé de couvrir l’ouverture d’un Mac Donald ! Mais quand un CDD débarque dans une agence, il suit les recommandations des titulaires.

A Calais, je débarque avec mes gros souliers de « socialo ». « Donnez moi tous vos sujets sur le social, ça me fait pas peur. » Et l’agence s’empresse de me fournir les sujets. Quand je me pointe à une réunion de la CGT cheminots, l’accueil est tiédasse. Mais je rassure les militants : « je suis de votre côté, je vous donnerai de la place dans le journal. » Le lendemain, sur la manif, on me remercie. « C’est rare les papiers sympas sur nous. Vraiment merci. »

Tête de gondole : du sang !

Je découvre les rouages d’une presse commerciale, où la concurrence explique des choix éditoriaux discutables. Deux quotidiens s’affrontent sur le bassin calaisien : La Voix et Nord Littoral [3]. Ce dernier, pariant sur le fait divers, arrive à faire une page entière de son édition sur le calvaire d’un chat accroché à une poignée de porte (véridique). Selon La Voix, ce journal se vend bien mieux que le sien. Alors elle contre-attaque et balance également du fait divers dans les premières pages de son édition.

C’est la tête de locale qui fait office de page reine dans le journal [4]. Elle met en lumière l’événement de la veille. En réunion de rédaction du lundi, la liste des têtes de la semaine est décidée. Logiquement elle ne varie pas, sauf événement. Lors de mon CDD, je devais couvrir la manifestation du jeudi 22 mai, contre la réforme des retraites et les suppressions de professeurs. 1500 personnes ont défilé dans Calais. Chose assez rare, surtout parce que les manifs sont souvent délocalisées sur Lille. Un sujet qui mérite la tête donc. Sauf que la veille au soir, les faits divers amènent un autre sujet. Un père et son fils se sont crashés à 110 km/h sur un camion. Les photos que le journaliste ramène sont « bonnes ». On voit la tôle froissée et les pompiers qui désincarcèrent les corps. Le papier atterrit en tête et tacle la « grogne sociale ». Ultime entourloupe : le journaliste met en parallèle les bouchons provoqués par la grève des pêcheurs et l’accident...

Précaires sous surveillance

Deux mois plus tard, lorsque je recontacte la RH, elle me répond : « Votre fiche de notation est revenue de Calais et on ne vous a pas rappelé parce que c’était moyen. Orthographe moyen. Souci du détail moyen. Originalité moyen... Moyen quoi. Nous avons proposé les autres contrats aux meilleurs CDD. » À chaque agence, une feuille de notation. Une seule note défaillante et c’est la suspicion. Le matelot n’est pas bon. Virons-le du navire. Les deux agences qui ont posé problème pour mon recrutement ont été celles où mes convictions politiques ne collaient pas avec la ligne éditoriale.

Même si je garde un goût amer de mon passage, j’ai beaucoup appris sur les soucis de la presse en général : moyens techniques défaillants, précarisation des contrats, recrutement codifié... Presse qui au prix d’une concurrence souvent faussée, délaisse le terrain social pour les domaines consensuels et racoleurs. Et La Voix du Nord prépare une édition du lundi, « elle embauchera » dit-on. Mais on se trompe. Les CDD (déjà anciens) ont signé pour 12 mois pour faire tourner cette édition. Si elle ne marche pas, elle poussera à la rue une vingtaine de CDD qui ont trimé plus de deux ans de leur vie pour une publication « héritière de la résistance ».

II. Les chiens de garde La Voix (La Brique, Numéro 11)


Dans « Les petits soldats de
La Voix du Nord » , une salariée évincée de la rédaction du quotidien témoignait après un an de CDD. Ses attaques sur la primauté du fait divers et les conditions de travail ont suscité de vives réactions, souvent lamentables, de la part de chefs d’agence comme de journalistes.

Le 24 novembre, coup de téléphone. « Gaëlle David ? Pascal Martinache de l’agence de Calais. Vous vous souvenez » ? ». Il prévient d’emblée : « Nous aurions dû être bien plus méchants sur votre note de CDD, nous avons été gentils. » La notation de l’agence l’a pourtant empêchée de renouveler son contrat... Puis il déblatère sans lui laisser une seconde de répit. Dans son papier, Gaëlle racontait par exemple comment une manifestation calaisienne avait laissé place à un accident de la route en Une du canard, photo malsaine à l’appui. À quoi Martinache rétorque : « Si pour vous un papier sur un accident d’un enfant et de son père n’est pas important, c’est que vous ne comprenez rien au journalisme, vous ne serez jamais journaliste ». Un vrai journaliste préfère le racolage morbide aux mobilisations sociales, c’est bien connu !

Les chefs d’agences voient rouge

Sur la dernière grève des pêcheurs, l’agence lui demandait de mettre l’accent sur les problèmes de circulation provoqués sur l’autoroute ou le tunnel sous la Manche. Martinache se justifie encore : « À Calais, c’est normal de parler du tunnel parce que ce sont des soucis de sécurité. Bah oui. Mais vous n’y connaissez rien ». Puis il nie tout en bloc : « Vous ne connaissez rien des autres journalistes et des CDD. Tout ce que vous avez écrit ce sont des inepties ». Certes, passer plusieurs repas en compagnie de ses collègues n’a pas fait d’elle leur confidente exclusive, mais les soucis d’argent, on en parle à celles et ceux qui sont dans la même galère. Pas au chef d’agence, pas au chien de garde. Au bout de cinq minutes, il lui raccroche au nez. « Est-il vraiment si facile de cracher dans la soupe après l’avoir bue ? Sans doute, en passant par un rot. Bonne digestion ». C’est Patrick Seghy qui s’exprime, le chef d’agence de Tourcoing, sur le blog de Gaëlle qui a mis l’article en ligne [5]. Ce petit chef qui lui lança alors qu’elle était en CDD : « La politique, c’est pas bon à La Voix du Nord  » en y ajoutant un silence lourd de sous-entendus... En clair : garde à vous ! Gaëlle décrivait cette agence comme l’une des plus détestables de La Voix.

Les fayots

Des journalistes, lecteurs et lectrices sont également venus défendre leur maître sur son blog. « Tu n’as certainement pas compris que la PQR (Presse Quotidienne Régionale) doit vendre, qu’il faut te mettre à la place des lecteurs », clame Sandrine. « Enlevez les faits divers d’un journal de PQR, vous allez voir la tronche des ventes. Donc les mettre en une, c’est plutôt normal, non ? Faut bien manger », dixit Micheline. Puis Geoffroy de Saint Gilles, titulaire à Tourcoing, ne voit pas pourquoi un conflit social prendrait le dessus sur un vulgaire embouteillage : « Tu sembles vouloir faire l’opinion des gens, leur dire ce qu’il faut penser (une grève est plus importante que vos bouchons) », ajoutant « personne ne t’oblige à faire des CDD à La Voix ». « Sam » y va encore plus fort. Il décèle « une grande frustration » chez Gaëlle : « Tu pensais devenir journaliste à la Tintin ou quoi ? Tu t’es trompée de média alors. [...] Je comprends que La Voix du Nord ne t’ait pas gardée. Tu n’as aucune expérience, des préjugés idiots et infondés sur la presse régionale, tu manques de respect aux journalistes de La Voix du Nord dont je fais partie. Bon vent au pays des Bisounours ». Bon vent dans la presse pourrie, Sami ! La perle revient à « Pieds sur terre », qui met en avant les performances de La Voix, un journal financièrement bénéficiaire aux 1000 salarié.es : « Faut-il mettre en péril tous ces emplois en changeant de ligne éditoriale pour faire plaisir à quelques journalistes bobos ? ». Qu’il ouvre les yeux, les bobos sont à La Voix, et offrent des jeux, du sport et du chien écrasé au populo.

Contrepoids

La seule critique « valable », c’est le fait qu’elle ait avoué avoir glissé aux cheminots CGT être « de leur côté », lors d’une réunion syndicale. Certes, en vertu de « l’objectivité journalistique », c’est « interdit ». Mais face à la subjectivité de La Voix et des médias qui mentent, tantôt méprisant les mouvements sociaux, tantôt se faisant les apôtres de la pensée dominante, la tentation est forte d’afficher un soutien aux grévistes... pour ne pas être reçu en ennemi. Néanmoins, la majorité des dizaines de réactions - journalistes ou non - confirment la vision d’un journal pauvre en information, racoleur, bâclé. Salarié actuel de La Voix, «  un journaleux énervé  » témoigne de manière anonyme, de peur « d’être viré  ». Il confirme que « nier le fait que La Voix du Nord exploite ses CDD serait vraiment être totalement aveugle (...). Il n’y a rien de mieux pour rendre les salariés complètement dociles et dépendants à leurs chefs (...). Ce sont effectivement des « petits soldats », corvéables et malléables à merci  ».

S.G et G.D

 
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Notes

[1Voir son site.

[2Au total, à La Voix, une trentaine de CDD végètent entre contrats mensuels, plus longs ou bien plus courts. Un CDD gagne 1783,91 € bruts par mois et quelques primes.

[3Qui pourtant appartient également au groupe Voix du Nord.

[4Située après les pages région, elle est surmontée du nom de l’aire concernée.

[5Sur son blog.

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