On pouvait y lire notamment ceci :
« La crise vient démultiplier les difficultés que vivent les ouvriers de l’industrie automobile depuis deux décennies, difficultés plus ou moins masquées par de bons résultats financiers des groupes européens de l’automobile qui ont affiché des bénéfices annuels record jusqu’en 2007 (entre 2 et 6 milliards pour les groupes européens), mais mal vécues de l’intérieur en raison de l’injuste répartition de la valeur produite. […]
Dans les ateliers de montage des constructeurs ou des sous-traitants là où la main-d’oeuvre est la plus nombreuse, les ouvriers sont usés à partir de 37-40 ans : dans un cycle de travail d’une minute, ils peuvent faire jusqu’à quinze opérations mesurées en centièmes de seconde ! Le temps utile, c’est-à-dire le temps productif de valeur, peut dépasser 85 % sur certains postes de travail. Alors, c’est entre 40 % et 55 % des ouvriers-monteurs qui ont des "restrictions médicales" (selon les usines), qui devraient leur interdire certains postes. Mais si les ouvriers font valoir ces restrictions auprès des équilibreurs de postes, ils sont étiquetés comme tire-au-flanc et seront les premiers de la liste du prochain plan social. Pour faire face à la détérioration des conditions de travail, les syndicats et les délégués des CHSCT font preuve d’une imagination débordante pour remplir les cahiers réservés à leurs doléances. Sans presque jamais obtenir gain de cause, car les défis sont ailleurs : dans la conception des chaînes de montage qui permettaient aux ouvriers de "souffler" à travers de nombreuses astuces devenues impossibles. »
Mais - oh ! surprise – le site du Monde.fr nous proposait, le jour de la mise en ligne (3 mars 2009), cette mise en page (capture d’écran réalisée le même jour)
Les ouvriers (et lecteurs de ce quotidien) auront certainement été très heureux d’apprendre qu’il était possible, par ces temps de crise, de "faire des économies" en souscrivant à une carte bancaire Visa Gold grâce aux conseils de "Boursorama Banque". En même temps, et toujours pour les aider à faire encore plus d’économies, Le Monde leur propose de jouer pour "gagner des voyages en 1ère classe pour 2 personnes". Les temps sont décidément très durs...
Ces mêmes ouvriers "usés par la rentabilité", déjà détenteurs de cette carte bancaire capable de faire des miracles, apprécieront de pouvoir aussi souscrire à une assurance-vie rémunérée "4,30 % nets garantis", comme on pouvait le voir le samedi 7 mars 2009 (capture d’écran réalisée le jour même)
Touchés par cette attention toute particulière des publicités du Monde, ces mêmes ouvriers n’ont pas été déçus s’ils ont lu quelques-unes des réactions postées par les lecteurs de ce journal [2]. Extraits :
Julien F. - 03.03.09 à 15h34
« Les pauvres ouvriers contre les méchants cadres et actionnaires ? Sauf que les ouvrier font 35 heures, quand les cadres ont souvent dépassé ce temps de travail le mercredi, tout en n’étant pas payé énormément plus que les ouvriers. En effet, ils ne pouvant prétendre aux heures sup’. Quant aux actionnaires, regardez la chute de l’action ... Au final, un article par le petit bout de la lorgnette rédigé par un sociologue souvent suffisant, rarement nécessaire. »
austany - 03.03.09 à 15h41
« C’est curieux, tout ce "stress" et cette "usure".... apparus avec les 35 heures ! »
didier c. - 03.03.09 à 19h09
« L’auteur de cette tribune ne doit pas lui-même être trop usé par le travail et la rentabilité tant ses analyses semblent générales et superficielles. En tout cas encore une année sans commande voitures et les problèmes d’usure au travail seront résolus, tout le monde au chômage. »
Christian L. - 03.03.09 à 19h25
« L’auteur empile des concepts mais mélange tout pour en tirer des conclusions qu’il souhaite. Dommage, le sujet méritait mieux. »
jack p. - 05.03.09 à 12h00
« Mr Durand devrait préparer sa reconversion ! Dans 20 ans, qui sera encore ouvrier en France ? »
On l’aura compris : ces lecteurs du Monde, en très grande majorité, apprécient peu qu’un sociologue s’intéresse aux "ouvriers usés par la rentabilité". S’il fallait en douter, les publicités que leur propose le quotidien vespéral sont là pour le confirmer (et les rassurer)...